Opinion.-
Foulard ton sari, yeux noisette et visage de Madone, Farida Aarras
aurait, à coup sûr, inspiré Léonard De Vinci. Il y a, d’ailleurs,
quelque chose de Mona Lisa dans les traits de cette belle jeune femme
qui a hérité, de ses origines rifaines, courage et dignité et de son
passage chez les nonnes espagnoles de « La Divina infantita »,
discrétion et retenue. C’est elle qui mène depuis plus de quatre ans, le
combat contre la machine qui broie son frère et anéantit le reste de la
famille.
De leur éducation chez les religieuses à Melilla, de leur départ en
Belgique, pour rejoindre leur mère, après son divorce, et de la vie
d’émigrés qui allait s’ensuivre, Farida et Ali, en ont conçu une
solidarité et une complicité qui ne se sont jamais démenties avec le
temps. Leurs photos d’enfance sont autant de témoignages de l’affection
et de l’amour qui ont toujours uni la fratrie. Autant de facteurs qui
autorisent la sœur à contester, avec sérénité, l’éventualité évoquée par
un journaliste, que son frère « pourrait avoir été un terroriste à
l’insu de la famille ».
« Tout peut être fait à l’insu de l’autre ! Mais moi je
dis ce que je sais sur lui ! Je pense que je suis la personne qui a été
la plus proche de Ali. Je ne pense pas qu’il m’aurait caché une telle
chose, si ça avait été le cas ! », répond Farida, avant de rejeter fermement l’hypothèse. « Je suis pour que l’on punisse les coupables, pas qu’on s’acharne sur des innocents et qu’on invente des preuves. » ajoute-t-elle
Un autre personnage vient compléter le tableau de cette tragédie. Une
autre femme, tout droit sortie d’une de ces représentations des « Ahlou
Al Kitab », « les gens du livre », les yeux rougis d’avoir tant
pleuré, le visage inondé de larmes, la mère, tout de blanc vêtue, comme
si elle portait le deuil de ce fils qu’on lui a pris : « Je n’ai plus rien ! » se lamente-t-elle
Ravagée par la douleur, elle interpelle ses vis-à-vis, avec cette
incompréhension et cette simplicité propres aux honnêtes gens, lorsque
les frappe l’injustice : « Je n’ai jamais eu de problèmes
avec mes enfants ! Pourquoi nous traite-t-on ainsi ? Pourquoi doit-il
rester en prison, lui qui n’a jamais fait de mal à personne ? Pourquoi
doit-on subir tout ça ? »
Chronologie d’une injustice
Retour sur l’évènement :
Nous sommes le 3 novembre 2006. Premier coup de tonnerre, dans une famille, jusque là, sans histoires.
Après la faillite de la librairie papeterie qu’il tenait dans la
capitale belge, Ali Aarrass, à la recherche d’un nouvel avenir,
retourne à Melilla, sa ville natale, qu’il avait quittée à l’âge de
quinze ans. Il y est alors arrêté, à la stupéfaction générale, pour une
sombre affaire de terrorisme, au Maroc, un pays qu’il ne connaît pas,
dont il parle tout juste la langue et qu’il n’a visité qu’à deux
reprises, lorsqu’il s’est agi de présenter son épouse à une tante
paternelle, à Nador.
L’homme est libéré sous caution, au terme d’une garde à vue de quatre jours. Fin du premier acte.
Le second débute le 1er avril 2008. Il tient du cauchemar.
Nouvelle arrestation. Ali est placé en isolement sensoriel, comprenez
par là, qu’il n’a plus droit à ce qui distingue un être humain d’une
bête féroce, enfermée dans une cage : privation de visites, de
promenade, de lecture, de nourriture à heure fixe, de colis, d’échanges
avec les gardiens et les co-détenus. Des méthodes héritées de Guantanamo
et auxquelles les américains ont donné le doux nom de « torture
blanche ».
Au terme d’une longue et minutieuse enquête, en mars 2009,
l’impitoyable juge Baltasar Garzon, dont on se souvient qu’il fut le
pourfendeur de l’ex-dictateur chilien Augusto Pinochet, de
l’organisation basque ETA ou encore du trafiquant d’armes
international Monser Al Kassar, conclut à l’innocence du prévenu.
Contre toute attente, l’Espagne qui a pourtant signé maints accords
internationaux maintient Ali en détention, dans l’illégalité absolue.
Beaucoup plus grave, les autorités espagnoles examinent, avec le plus
grand sérieux, une demande d’extradition émanant du Maroc.
Dehors, « la Madone », flanquée de sa mère, est de tous les combats,
pour extirper son frère du sort abominable qui l’attend. C’est que le
Maroc a la réputation d’abriter de redoutables tortionnaires, dans les
rangs de ses services de police, connus pour ne s’embarrasser ni de
préliminaires, ni de scrupules, lorsqu’il s’agit de mener un
interrogatoire, même si celui-ci ne concerne que du droit commun. On
peut aisément, imaginer ce qu’il peut en être lorsqu’il est affaire de
terrorisme.
Farida mobilise autour d’elles quelques consciences, sollicite les
politiciens de tous bords. Elle constitue un comité de défense. Elle bat
le pavé à Bruxelles, à Melillia. Elle est partout. Elle créé un blog,
confectionne les affiches, enchaîne les réunions de sensibilisation,
les cellules de veille, les interviews, interpelle le gouvernement
belge, le gouvernement espagnol, l’ONU et les organisations des droits
de l’homme.
Une extradition furtive
Peine perdue ! Comme le commente si bien, le journaliste de
l’émission « INDICES » sur RTL/TVI (1), du 23 février 2011, le « belge
oublié de tous », sera extradé vers le Maroc, le 14 décembre 2010, dans
le secret absolu.
Détail particulièrement ignoble, le consulat belge, informé par la
justice espagnole, quelques heures avant, ne jugera pas utile de
prévenir la famille qui l’apprendra par les médias, deux jours plus
tard.
Autre détail, cocasse, celui-là. Le seul, probablement, susceptible
d’arracher un sourire dans cette tragique affaire, les autorités
espagnoles se seraient contentées d’une vague promesse des marocains que
Ali ne serait pas torturé.
Quelques jours avant que n’intervienne l’extradition, Abdelkader
Belliraj, le chef présumé du réseau terroriste qui porte désormais son
nom, celui à qui la police marocaine avait extorqué de prétendus aveux,
au bout de six semaines de tortures abominables, avait, lors d’une
interview donnée depuis sa cellule de la prison de Salé, donné un début
d’explication et fait la chronique annoncée de ce qui attendait Ali :
« Laffaire Aarrass, tout comme l’affaire Belliraj est
l’œuvre de milices hors-la-loi, dénommées services de sécurité, qui
usent à la fois de tortures et de sous-traitance de la torture, comme
moyen unique d’accéder à la vérité, en opposition totale avec la
législation de ce pays. L’extradition de Monsieur Aarrass le mènera
directement à la torture. Les tortionnaires brandiront, en fin de
compte, la preuve de son inculpation, après avoir obtenu ce qu’ils ont
voulu entendre, par le biais de pratiques barbares, même s’il n’y avait
aucun élément à charge contre lui. »
Tortures, abominations & co
La suite, c’est le détenu lui-même qui la raconte, lorsqu’il émerge de l’enfer où l’ont expédié les espagnols.
Le récit qu’il fait de son calvaire, rappelle, en tous points, celui
de Bouchta Charef, de Zakaria Moumni et de tant d’autres. Une procédure
qui semble avoir été rodée et codifiée, au service de l’une des polices
les plus brutales du monde.
Conduit en voiture, encagoulé et menotté dans un lieu tenu secret,
le prisonnier est, sauvagement battu, en plein air, dès sa descente de
voiture. Une méthode éprouvée, déjà, par Oufkir et ses hommes de main,
pour distiller immédiatement la terreur, dans l’esprit de la victime et
« l’attendrir », comme se plaisait à ordonner le défunt général.
Qui a dit que les années de plomb étaient derrière nous ?
Puis les bourreaux enchaînent les abominations qui ont bâti leur
réputation : gégène et coups de bâtons sur les parties génitales, viol à
la bouteille, suspension au plafond des heures durant par les poignées
ou les chevilles, coups sur la plante des pieds, sur les tibias ou le
fessier, simulation de noyade, simulacre d’exécution, injections de
produits chimiques.
Au bout de quelques jours de ce traitement moyenâgeux, Ali avoue ce qu’on veut l’entendre avouer.
Ils veulent une cache d’armes ? Il donne la seule adresse qu’il
connaît au Maroc, celle de sa malheureuse tante à Nador. Les bourreaux
l’y conduisent, sous bonne escorte, saccagent la maison, terrorisent ses
habitants et ravagent les terrains avoisinants. Rien. Et pour cause,
Ali n’a jamais eu besoin de cacher quoi que ce soit. Il n’y a donc de
cache ni ici, ni ailleurs.
Fous furieux, les tortionnaires traînent leur victime entravée, dans
le bois tout proche, l’arrosant copieusement d’insultes, dégainent
leurs armes, font ostensiblement jouer les culasses ou les barillets et
annoncent au prisonnier qu’à défaut de révélations dignes de ce nom, il
sera abattu séance tenante. Mais l’homme qui n’a rien sur la conscience,
ne peut rien avouer.
Aveux extorqués, procès-verbal truqué et procès inique
Ramené à Rabat, il est de nouveau torturé, pour lui extorquer des
aveux écrits. Il paraphe les procès-verbaux, sans les lire, ni les
signer. Les bourreaux les signent pour lui…….en arabe.
Lourde erreur : Ali ne sait ni lire ni écrire l’arabe.
La suite est un long tissu d’absurdités et la preuve des
approximations coupables des enquêteurs marocains, qui auraient, sans
doute, fait l’économie de cette tragédie en forme d’erreur judiciaire,
s’ils avaient eu l’honnêteté, la présence d’esprit ou la modestie de
réclamer simplement au juge Garzon, son fond de dossier.
Jugez plutôt :
« Soupçonné de complicité dans les attentats de Casablanca de
1983, l’homme se trouvait, au mois de mai de la même année, « en plein
déménagement d’un appartement à un autre », comme le souligne sa soeur.
« Accusé d’avoir financé un mouvement de « Moudjahiddines », Ali, était, à la période incriminée, en faillite, avec des difficultés notoires à faire vivre sa propre famille.
« Accusé d’avoir fait partie en 1982, des « Moudjahiddines du Maghreb », Ali était, à l’époque, intégré dans l’armée belge, pour y accomplir son service militaire.
« Il ne pouvait se diviser en deux, avec une partie en Belgique et une autre au Maroc ! » lance le père sarcastique.
http://youtu.be/dywDOzTi-Nk
http://youtu.be/vBRgBASCK6c
Farida et son père, avant l’extradition de Ali vers le Maroc
En réalité, toute la procédure est fondée sur les prétendus aveux de
Abdelkader Bellirej, enlevé à Marrakech et torturé pendant plus de six
semaines par les mêmes services, ceux de la DST de Témara. Sans doute
connaissait-il le nom de Ali et qu’il l’a livré pour un moment de
répit !
Malgré toutes ces incohérences et la plainte pour torture déposée par
Ali contre les services de police, le tribunal de l’a condamné, en
première instance, à quinze ans d’emprisonnement. Rarement, la justice
marocaine contredit la police et ses procès-verbaux truqués et arrachés
par les moyens que l’on sait.
Tous les criminologues et les profileurs vous le confirmeront. On ne
s’improvise ni terroriste, ni gangster, ni trafiquant d’armes à
quarante ans passés. Les statistiques sont nulles, lorsque l’individu
a, jusque là mené une vie d’honnête homme et qu’il est, de surcroît, un
chef de famille exemplaire. Le portrait même d’Ali Aarrass !
La trilogie de l’ignominie
Dans cette affaire, ce qui interpelle c’est avant tout cette sorte de
trilogie qui s’est mise en place, pour l’accomplissement d’une
ignominie, une sorte de tri-gouvernementale de l’injustice. Une
entreprise menée en totale contradiction avec les règles les plus
élémentaires du droit humain universel.
Incriminé en premier lieu, le silence assourdissant des autorités
belges, qui en aura fait les complices objectives de ce procès politique
mené par « le Maroc qui veut montrer qu’il est un Etat fort, en
terrorisant ses populations » comme le résume l’un des avocat de Ali,
Christophe Marchand.
Le calvaire de Ali, est sa peine de n’être belge qu’à moitié. Son
autre moitié, sa marocanité, il devra la porter comme une croix. Dire
que nous sommes en présence d’un racisme d’Etat, relève de l’euphémisme
ou de l’indulgence dans le langage.
La Belgique prétend avoir obéi à la règle qu’elle s’est imposée de ne
jamais intervenir, lorsqu’un de ses citoyens à la double nationalité
est aux prises avec la justice du pays de sa seconde nationalité. Je
veux bien le croire, mais la tragédie qui se déroule à Salé, concerne,
un citoyen belge ayant, jusque là, mené une vie exemplaire, payant ses
impôts, participant à la vie de la cité et accomplissant son service
militaire. Pas un chien errant !
Ni visite consulaire, ni observateur du ministère de la justice belge
au procès, ni la moindre question ou protestation adressée au Maroc,
pour les allégations de tortures subies par le prisonnier. Ce procès qui
broie un innocent et les siens n’aurait jamais du se tenir.
Il restera celui de la honte pour la Belgique et le miroir de son indignité.
L’Espagne, ensuite, signataire de multiples accords sur les droits de
l’homme aura extradé Ali Aarrass, alors même que le comité des droits
de l’homme de l’ONU siégeant à Genève avait émis un avis négatif et
ordonné des mesures provisoires. A la même période où Ali était extradé,
un certain Mohamed El Bay sur lequel pesaient les mêmes soupçons, était
innocenté et rendu la liberté. L’homme doit son salut et sa liberté à
la nationalité espagnole.
L’Espagne n’a pas, non plus, fini d’enterrer ses vieux démons ! Les
dénonciations qui pleuvent sur son compte, en sont les témoins
éloquents.
Elle devra bientôt faire face à la plainte déposée contre elle par les défenseurs de Ali Aarrass.
Enfin, concernant le Maroc, ce « plus beau pays du monde », comme
l’appellent ceux qui y ont tout confisqué, nul article, nul livre, nulle
émission et nul discours ne pourra jamais quantifier les souffrances
abominables et les injustices innombrables qu’il aura infligées aux
siens.
Il est, pour le moins étrange, que ce pays qui avait tout fait pour
pousser les rifains à s’exiler, sous peine de mourir de misère, déploie,
à présent, des trésors de diplomatie internationale et de coopération
judiciaire, pour y faire revenir leur descendance, manu militari, à
coups de dossiers vides et lui faire subir les traitements tels que
celui qui a été réservé à Ali.
Ce dernier ne connaissait rien de son pays d’origine. Il en fait
désormais partie intégrante, à son corps défendant. Cette année, il
aura fêté trois anniversaires, entre les murs de sa prison.
Les dernières lignes de ce papier seront les siens. Il les a livrés à
sa sœur, l’infatigable et si courageuse « Madone », lors de sa dernière
visite :
« Je côtoie des horreurs et des injustices qu’aucun homme ne pourrait
jamais imaginer ! Le nombre de personnes torturées dans des centres
comme celui de Temara, avant d’être amenés en prison, est
impressionnant ! Nombre de prisonniers n’ont ni avocats, ni famille pour
s’inquiéter de leur sort ! Certains d’entre eux ont été torturés des
mois durant. Si Le Seigneur a voulu mettre l’innocent que je suis à
l’épreuve, c’est, sans doute, pour que tant de mes compagnons de misère
sortent un jour, de l’ombre et de l’oubli ! »
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