La section féminine du ministère de la jeunesse, avec
ses 792 établissements et ses 2 450 cadres spécialisés et agents,
essaie tant bien que mal de sauver quelques milliers de jeunes filles
par an. Une meilleure protection de ces jeunes filles passera par la
création d’une Instance nationale dédiée exclusivement à cette catégorie
de la population.
Que faut-il faire pour
venir en aide aux jeunes filles en situation de vulnérabilité, celles
qui n’ont jamais fréquenté l’école et celles l’ayant quittée
précocement, pour les aider à vivre en dignité ? La question mérite
d’être posée quand on sait les dangers qui guettent cette catégorie de
la population. C’est certain, une fille non éduquée, négligée par la
famille, non prise en charge par la société, engluée dans l’ignorance,
est une proie facile à toutes les tentations malveillantes. Dans le
milieu urbain comme dans le monde rural, elles se comptent par dizaines
de milliers. Ces chiffres sont éclairants, rappelons-les : 300 000
enfants quittent les bancs de l’école chaque année, 58% parmi eux sont
des filles. Le monde rural en est le plus touché pour les raisons que
l’on connaît (pauvreté, ignorance des parents, éloignement de
l’école...) ; 16% des filles dans cette partie du Maroc ne vont même
jamais à l’école, et seulement 57,8% fréquentent le niveau collégial,
selon les statistiques 2012-2013 du ministère de l’éducation nationale
(MEN).
Sans école, c’est le
vide, sans prise en charge précoce, ces jeunes filles risquent d’être un
vivier de la prostitution, de la traite des enfants, du travail précoce
comme petites «bonnes». Dans ce registre et selon les chiffres du Haut
commissariat au plan (HCP) suite à une enquête nationale sur l’emploi
réalisée en 2009, parmi les 8,9 millions d’enfants âgés de moins de 15
ans, environ 174 000 sont soumis au travail précoce (soit 3,8%), dont
44% sont des fillettes. Cela dit, les 30 000 enfants de la rue dont ne
cessent de parler les ONG, les médias et les instances internationales,
sont souvent, si ce n’est pas à cause de parents désunis et de familles
disloquées, le fruit de relations extraconjugales de ces jeunes filles.
Une récente étude réalisée par des ONG marocaines et françaises (publiée
par le média arabophone Alyaoum24) a mentionné que la proportion des
filles parmi ces 30 000 enfants de la rue est passée de 11% en 2009 à
27% en 2013. Il n’est pas question ici de créditer à 100% ces
estimations, mais il est absolument avéré, comme le note cette étude,
que ce sont les filles qui sont le plus victimes d’agressions sexuelles.
Violées, elles tombent enceintes, «ce qui augure pour l’avenir d’une
multiplication du nombre d’enfants de la rue, si rien n’est fait pour
les prendre en charge et les protéger».
La tranche d’âge 13-18 ans est cruciale, les jeunes filles encourent tous les dangers
Plusieurs institutions existent au
Maroc, elles sont censées protéger et défendre les droits des enfants,
mais une instance nationale dédiée aux jeunes filles en situation de
précarité et de vulnérabilité sociale, il n’en existe pas encore. Or, il
est urgent, selon Hayat Bouffrrachen, chef de la section des affaires
féminines au ministère de la jeunesse et des sports (MJS), de doter le
Maroc d’une telle institution. «J’ai assisté récemment en Jordanie,
raconte-t-elle, à la quatrième édition d’une rencontre organisée par la
Ligue Arabe dédiée aux jeunes filles. Chargés de la jeunesse, nous
étions en tant que ministère bien à notre place dans cette rencontre,
mais pas en tant qu’instance nationale exclusivement dédiée aux jeunes
filles. Nous étions le seul pays arabe à ne pas disposer encore d’une
telle structure». Et d’argumenter sa proposition en connaissance de
cause puisque cette responsable est aussi présidente de l’Organisation
marocaine de l’équité familiale: cette tranche d’âge 13-18 ans,
dit-elle, est cruciale. La fille qui abandonne l’école devient
vulnérable: «Mariage précoce, travail comme petite “bonne”, consommation
de drogues, exploitation sexuelle, viol avec son lot de prostitution,
de grossesses, d’avortement dans des conditions inhumaines ou d’enfants
nés hors du lien du mariage. Tous les dangers guettent cette catégorie
de la population, sans suivi et sans protection elle risque de sombrer
dans tous les malheurs» (voir entretien).
En
attendant la mise en œuvre des deux instances prévues par la
Constitution de 2011 et dédiées à l’enfance, à la famille et à la
jeunesse, et qui ne seront en fait que des organes consultatifs et non
de proximité (voir encadré), il y a actuellement, outre les ONG qui
travaillent avec les filles rurales en matière de scolarisation, trois
structures dédiées aux questions féminines. Il y a d’abord le ministère
de la solidarité, de la femme, de la famille et du développement social
(MSFFDS), mais ce département a plutôt vocation à chapeauter des
initiatives à caractère stratégique se rapportant aux questions
féminines (projets de loi, plans d’action nationaux…) que de faire un
travail de proximité en faveur des jeunes filles en situation de
vulnérabilité. Il y a ensuite l’Observatoire national des droits des
enfants (ONDE), présidé par la princesse Lalla Meriem, une institution
créée au début des années 1990 : là aussi, il s’agit d’un organisme qui
verse plus dans la protection des droits des enfants que dans des
actions d’aide et de soutien aux jeunes filles vulnérables. Il y a,
enfin, et c’est là l’organisme de proximité le plus important (et le
plus ancien), la Division des affaires féminines au sein du ministère de
la jeunesse et des sports (MJS) qui assure la gestion administrative,
financière et pédagogique des Foyers féminins, des Centres de formation
professionnelle et des jardins d’enfants. La Division œuvre notamment
dans le domaine de la femme, de la jeune fille et de la petite enfance.
Le budget de la section féminine est passé de 8 MDH en 2009 à 300 MDH en 2014
Que fait alors cet organisme et quel est son bilan pour l’année 2013 ?
Par rapport aux attentes et aux défis
que présente cette catégorie de la population, avouons que les
résultats ne sont pas énormes, mais la section féminine au MJS a le
mérite d’exister, de pouvoir approcher quelques milliers de ces jeunes
filles vulnérables, ne serait-ce que parce qu’elle dispose d’une
structure s’étendant sur tout le territoire national, avec 792
établissements, 2 450 cadres spécialisés et agents, entre fonctionnaires
du ministère et prestataires externes de service. Les actions de cette
section féminine sont directes, faites dans le cadre de foyers féminins,
de centres de formation professionnelle, de programmes de lutte contre
l’analphabétisme, d’activités de sensibilisation et de rayonnement, de
jardins d’enfants...
Au titre
de 2013, estime Hayat Bouffrrachen, «plus de 7000 jeunes femmes et
jeunes filles (entre 13 et 30 ans) ont bénéficié dans nos établissements
d’une formation professionnelle, avec un diplôme reconnu par l’Etat,
avec 95% d’insertion professionnelle ; et plus de 74000 ont pu suivre
nos actions d’accompagnement et de sensibilisation. N’oubliez pas qu’on
est le deuxième secteur formateur au Maroc après notre partenaire
l’OFPPT, avec cette spécificité de se consacrer aux jeunes filles».
Les
filières que cette section féminine du ministère propose touchent des
domaines aussi variés que la couture, la coiffure, l’informatique, la
broderie, la tapisserie, la gastronomie, le bureautique...Elle prodigue
même des formations pour des jeunes diplômées de l’université qui n’ont
pas pu avoir une formation adéquate avec le marché du travail.
Mais que peut un seul organisme de cette dimension pour une population féminine estimée à plus de 160
000 élèves dont l’âge varie de 12 à 18 ans et qui quitte l’école chaque
année ? Certes, il y a une augmentation continue de son budget, qui est
passé de 8 MDH en 2009 à 300 MDH en 2014 (sur un budget global du MJS
estimé à 1,3 milliard de dirhams dans l’actuelle Loi de finances), mais
on est encore loin du compte...
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