- Par : Un dossier de Driss Bennani et Hassan Hamdani, 30/1/2013
Un officier embrasse la main de Mohammed VI (DR)
Embrasser la main
du roi est contraire aux préceptes de l’islam... et aux valeurs
universelles de droit, de démocratie et de modernité. Qu’attendons-nous
pour bannir ce “geste” ?
« Baiser
les mains est une chose étrangère à nos valeurs et à notre morale.
C'est un acte que toute âme libre refuse. Je déclare mon refus
catégorique de cette habitude et je vous appelle à n'embrasser que les
mains des parents, pour marquer votre respect à leur égard”. L’homme qui
parle ainsi n’a pas la réputation d’être un démocrate. Le pays qu’il
dirige est même l’un des plus fermés et des plus conservateurs de la
planète. En 2005 pourtant, le roi Abdallah Ibn Abdelaziz prenait tout le
monde de court en annonçant l’abolition officielle du baisemain en
Arabie Saoudite. Ironie de l’histoire, il passe pour un progressiste
pour certains observateurs marocains, déçus par les promesses non tenues
de Mohammed VI d’alléger le protocole royal au début de son règne. Le
jeune monarque était alors porteur d’espoir d’ouverture et renvoyait
l’image d’un roi “cool”. L’abolition du baisemain par Mohammed VI
faisait partie de ces signes de modernité tant attendus. Et on attend
encore… En trépignant d’impatience, surtout depuis que le débat sur ce
rituel, longtemps mis sous le boisseau, est brutalement revenu au devant
de la scène suite au déclenchement du Printemps arabe.
Modernistes vs tradition
Le
20 février 2011, la rue gronde de slogans contre la corruption et le
despotisme. Les jeunes marcheurs rêvent de modernité et de démocratie.
La revendication de monarchie parlementaire est sur toutes les lèvres.
Quelques semaines plus tard, le roi annonce une réforme
constitutionnelle, où il promet de lâcher certaines prérogatives au
profit du Chef du gouvernement. Des militants associatifs saisissent
l’occasion et ressortent alors la question hautement symbolique (et donc
politique) du baisemain. Abdelhamid Amine, vice-président de
l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), va même jusqu’à
demander, en direct à la télévision, “la suppression du baisemain et du
rituel de la prosternation, contraires aux principes fondateurs des
droits humains”. La déclaration fait mouche. Plusieurs intellectuels et
hommes politiques (dont des ministres actuels du PJD) y adhèrent.
Mais
le roi, lui, observe en silence. Il laisse passer quelques semaines
puis envoie un nouveau signal aux partis politiques. Le message est
porté par l’un des conseillers du souverain. Il dit en substance ceci :
“Seul Dieu est sacré. Quant à moi, je préfère être un roi citoyen”. Que
faut-il en déduire ? Le roi allègera-t-il enfin le protocole qui entoure
ses réceptions, ses déplacements et ses cérémonies officielles ? Rien
de tout cela à vrai dire. La cérémonie d’allégeance, quelques jours
après l’adoption de la nouvelle Constitution, ne change pas d’un iota.
Des centaines de dignitaires, en djellaba blanche, se prosternent au
passage du monarque juché sur son cheval, tandis que des serviteurs du
Palais scandent à l’unisson “Allah ybarek f’âmar Sidi”.
Les
mœurs du Makhzen sont respectées au pied de la lettre, ne présageant
aucune réforme de l’autre pierre angulaire du protocole royal : le
baisemain.
Les modernistes sont sous
le choc. Leurs espoirs sont déçus mais le débat fait rage tout de même.
Il est particulièrement ravivé par un incident survenu le 9 janvier
2012. Le prince héritier Moulay El Hassan, âgé de neuf ans, inaugure le
nouveau parc zoologique de la capitale. Il est accueilli par plusieurs
officiels qui se plient en deux pour lui embrasser sa petite mimine
d’enfant. L’héritier du trône alaouite, amusé, se laisse faire. Le choc
des images est terrible. Ces dernières font d’ailleurs le tour du monde.
Partout, et particulièrement dans les pays du Printemps arabe, la vidéo
fait scandale. La polémique reprend de plus belle.
En
mai 2012, c’est au tour d’Ahmed Raïssouni de s’inviter dans le débat.
L’ancien président du Mouvement unicité et réforme (MUR) signe une
tribune dans laquelle il considère “qu’en islam, on ne se prosterne que
devant Dieu”, suite à la réception des walis fraîchement nommés par
Mohammed VI. Le théologien, très respecté dans le monde arabe, enfonce
le clou en ajoutant que “les textes religieux sont très clairs sur ce
sujet” : le baisemain est contraire aux préceptes de l’islam. Sa tribune
ressemble à une véritable fatwa. Le front revendiquant l’abolition du
baisemain et des rituels makhzéniens s’élargit. Aux politiques et aux
modernistes, se sont désormais joints quelques religieux. “Chacun refuse
ce rituel pour ses propres raisons. Pour les progressistes, le
baisemain renforce la notion de sujet aux dépens de celle de citoyen.
Les religieux considèrent le baisemain comme un geste presque
blasphématoire. Et au nom de la modernité, les jeunes -que l’on peut
observer à travers les réseaux sociaux- y voient un archaïsme hérité
d’une autre ère”, énumère le politologue Mohamed Darif.
Amazighs, un refus groupé
La
monarchie reste mutique, à son habitude, aux appels de pied
d’intellectuels, de politiques, de religieux et de manifestants
réclamant l’abolition officielle du baisemain. C’est que depuis son
accession au trône, il y a 12 ans, Mohammed VI préfère laisser planer un
flou artistique sur la question. Il tend ou non sa main à baiser en
fonction de l’interlocuteur et du contexte politique. L’exemple le plus
marquant reste la réception des membres de l’Institut royal de la
culture amazighe (IRCAM). Le 27 juin 2002, trois ans après s’être assis
sur le trône, Mohammed VI affronte la première remise en cause d’ampleur
du cérémonial séculaire de la royauté. Ce jour-là, au palais de Rabat,
une quarantaine de militants amazighs attendent d’être nommés au conseil
d’administration de ce nouvel organisme royal. Ils se sont tous mis
d’accord pour ne pas faire le baisemain rituel au souverain.
Ce
précédent donne du grain à moudre à la presse écrite qui, dans certains
cas, le présente comme un acte d’insoumission. Cette analyse est sans
aucun doute exagérée. Plusieurs membres de l’IRCAM défendent plutôt
l’air nouveau soufflant à l’époque, ils n’étaient pas en face de Hassan
II, roi ayant nié l’amazighité, mais en face de Mohammed VI, un monarque
l’acceptant enfin. Leur refus est, selon eux, en adéquation avec
l’ouverture politique de l’époque. “Le baisemain, symbole d’un protocole
traditionnel, n’était pas obligatoire face à un nouveau roi et au début
d’une nouvelle ère”, explique ainsi Ahmed Assid, membre de l’IRCAM.
Côté face, Mohammed VI ne s’offense pas du geste, même si côté pile les
chargés du protocole ont insisté ce jour là pour que les nominés se
plient à l’étiquette. Mais les militants amazighs ont choisi de suivre
leur “éthique personnelle”, selon l’expression d’un administrateur de
l’IRCAM. Il s’agissait de souligner d’un geste fort la reconnaissance
d’une part essentielle de l’identité du Maroc passée sous silence par
Hassan II.
La même logique de rupture
avec le règne du roi défunt explique le refus du baisemain par les
membres de l’Instance équité et réconciliation (IER) lors de leur
nomination par Mohammed VI. Chargés de solder le passif des années de
plomb, ces anciens militants d’extrême-gauche, ex-opposants de la
monarchie et ayant tâté de la prison, ne pouvaient se prêter au jeu du
baisemain sans ressentir un reniement de leur engagement passé. La
symbolique était forte, lourde de sens, et ne pouvait se conclure que
par une poignée de mains à une époque où le mot d’ordre était à la
réconciliation. L’histoire bégayant, le duo Driss Yazami et Mohammed
Sebbar, tout deux d’anciens opposants politiques, ont salué Mohammed VI
sans lui embrasser la main, lors de leurs nominations à la tête du
Conseil national des droits de l’homme (CNDH), héritier de l’IER.
La main de Dieu
Dans
la foulée d’une nouvelle constitution où l’on ne parle plus de
sacralité du roi, et porté par leur victoire aux législatives de 2011,
les ministres PJD du gouvernement Benkirane ont aussi profité d’un
contexte favorable pour faire une belle entorse au protocole royal.
Comme un seul homme, ils se sont tous contentés d’embrasser l’épaule de
Mohammed VI en inclinant à peine la tête.
Ce
n’était pas à vrai dire une première. A l’époque du gouvernement
d’alternance sous Hassan II, le Premier ministre Abderrahman Youssoufi,
Mohamed Elyazghi, Mohamed Achâari et consorts avaient aussi dérogé à la
règle. . Mais dans le cas du PJD, ce refus du baisemain avait, au-delà
de la dimension « transition politique », une dimension coranique. “Ne
pas se prêter à ce rituel est dans la droite ligne des critiques émises
par Ahmed Raïssouni du MUR (think tank du PJD, ndlr) au moment de la
réception des walis par Mohammed VI. Le refus des ministres PJD de se
plier à ce geste est motivé en premier lieu par des raisons religieuses,
à savoir l’égalité des hommes devant Dieu”, explique le politologue
Youssef Belal. Le PJD n’était pas l’Istiqlal de Abbas El Fassi, chef
d’un gouvernement qui s’est plié le doigt sur la couture au protocole
dans sa totalité. Les islamistes se devaient d’incarner une rupture. « C’était clairement une manière pour le PJD de marquer son territoire d’entrée », explique le chercheur Mohamed Darif.
Mohammed
VI n’a d’ailleurs pas été surpris, il s’y attendait presque. Mustafa
Ramid, Lahbib Choubani et Saâd-Eddine El Othmani, tous trois devenus
ministres PJD, avaient déjà souligné dans un manifeste signé en mars
2011, bien avant leur victoire aux législatives, qu’ils étaient pour
l’abolition de « pratiques humiliantes et attentatoires à la dignité
humaine ». Avec le baisemain comme cible prioritaire. Mohammed VI a
appris à faire avec les entorses du PJD aux us et coutumes du Palais,
ayant déjà eu à gérer ce genre de situation avec des élus du parti de la
lampe. “Mais cela ne veut pas dire que je ne le respecte pas en tant
que symbole de l’Etat. D’ailleurs, personne ne m’en a jamais tenu
rigueur. Aucun responsable, contrairement à ce qu’on peut penser, ne
viendra vous dire qu’il faut se plier en quatre ou embrasser la main du
roi”, déclarait-il dans nos colonnes.
Commis de l’Etat : un passage obligatoire
Certes.
Le choix de se courber ou pas est accordé au nouveau gouvernement PJD,
aux institutions amazighes et à celles chargées des droits de l’homme.
Mais il n’est pas laissé aux centres de pouvoirs représentés par
l’armée, les gouverneurs et les walis. Rien de nouveau sous le soleil
pour eux. Ils sont, nouveau règne ou pas, toujours soumis aux mêmes
rites, codes et cérémonies qui prévalaient à l’époque de Hassan II. Un
lourd dispositif protocolaire qui a la même fonction coercitive qu’à
l’époque du roi défunt: le maintien de la suprématie politique et
symbolique du monarque. Mohammed VI ne disait rien d’autre dans une
interview accordée Il à Paris Match en 2004 : « Le style est différent (en comparaison avec Hassan II : ndlr)
mais le protocole marocain a sa spécificité, je tiens à ce que sa
rigueur et chacune de ses règles soient préservées. C’est un précieux
héritage du passé (…) qui doit cependant s’adapter à mon style”. Entre
les lignes, il faut lire que ce nouveau style exclut les relais directs
des pouvoirs régaliens de Mohammed VI. Cette rigidité a été justifiée
par l’ancien directeur du protocole et actuel porte-parole du Palais,
Abdelhak Lamrini, qui, dans une interview à l’hebdomadaire Maroc Hebdo,
annonçait droit dans ses bottes qu’il n’était pas question de changer
d’un iota le rituel, notamment pour toute personne liée directement au
pouvoir royal : “L’école protocolaire marocaine est une école
makhzénienne, séculaire, qui tient à ses traditions, à ses coutumes, à
l’opposé des autres protocoles qui sont plus flexibles et
considérablement plus souples.” En termes clairs, relève le politologue
Youssef Belal : “Le Palais reste pointilleux avec les militaires et les
commis de l’Etat. Pour toutes les personnes possédant le ‘hard power’,
le baisemain est un passage obligé afin de marquer leur soumission”.
Besame mucho
Qu’en
est-il du Marocain lambda ? Les scènes de liesse populaire qui
ponctuent les bains de foule de Mohammed VI et les effusions qui les
accompagnent soulignent clairement que la population accepte le
baisemain sans se poser de question. C’est ainsi que, selon le sondage
effectué en 2009 par TelQuel sur l’image qu’ont les Marocains de
Mohammed VI, une majorité des sondés affirmait être pour le baisemain.
Comment interpréter cette réalité ? Selon le politologue Mohamed Darif,
il faut voir dans cet acte le respect qu’ont les Marocains pour le roi
en tant que descendant du prophète. Un respect dû à son statut de chrif,
boosté par la déférence inhérente à son statut de monarque. « Que
les opposants au baisemain le veuillent ou nos, la société marocaine a
intériorisé le baisemain comme forme de respect pour l’aura d’un roi qui
est de surcroît un chef religieux », souligne-t-il.
Selon
Mohamed Darif, cette intériorisation est si forte que l’on embrasse
aussi la main des gens proches du roi et les représentants du pouvoir
temporel du monarque. Loi de la transitivité oblige, c’est Mohammed VI
que l’on honore ainsi. “Nous avons tous en mémoire l’image de ce vieux
monsieur embrassant la main de Fouad Ali El Himma à cause de sa
proximité avec Mohammed VI. Certaines personnes vont jusqu'à embrasser
la main des gouverneurs et des walis”, donne-t-il en exemple. “Les
Marocains possèdent une ‘théorie sauvage’, implicite, de leur régime
politique, que les modernistes opposés au baisemain ne saisissent pas
toujours. Baiser la main du roi, comme celle du pape pour un fidèle de
l’Eglise catholique, sont des gestes vus comme un honneur, et une consécration, non comme un asservissement », surenchérit le politologue Omar Saghi.
Et
à n’en pas douter, les retransmissions télévisées interminables du
cérémonial à l’époque de Hassan II, puis sous l’ère Mohammed VI, ont
contribué à incruster dans l’esprit des Marocains qu’il est inévitable
d’en passer par ce rituel. « La retransmission des activités royales dupliquent à l’infini ces images de révérence un peu anachroniques », poursuit Omar Saghi. Et le chercheur Youssef Belal de rajouter : «
La télévision généralise la dimension de servitude. Elle impacte les
gens et expliquent en partie pourquoi les citoyens lambda se jettent
pour embrasser la main de Mohammed VI ».
Un signe de la monarchie exécutive
Quand
bien même Mohammed VI voudrait-il abolir le baisemain, peut-il
s’attaquer à cette pierre angulaire du protocole makhzénien, sans
affaiblir l’image de l’institution monarchique ? La première poche de
résistance se trouve au sein même du Palais. “Le protocole royal résiste
depuis douze ans à beaucoup de changements. Ce sont des traditions
codées, jalousement gardées par des personnes qui vivent en vase clos et
qui les transmettent comme une spécificité de la monarchie marocaine”,
analyse cet ancien ministre. Une longue accumulation de signes de
servitude, des strates bâties par les prédécesseurs de Mohammed VI et
parachevées par son père Hassan II. Le deuxième écueil repose dans la
nature du pouvoir royal qui, pour être exercé pleinement, ne peut pas
abroger du jour au lendemain le baisemain, à moins d’un changement
radical des liens d’autorité qui unissent le roi à ses “sujets”. Et
même en cas d’abandon de la forme, le fond ne changerait pas. “Le
baisemain n’est qu’une conséquence de la monarchie exécutive. C’est la
matérialisation d’une conception archaïque des relations entre un roi et
ses sujets. L’abolir ne changerait pas la nature de ces relations pour
autant”, analyse Youssef Belal. Il faudrait donc, selon plusieurs de nos
interlocuteurs, que le roi fasse une croix sur ses pouvoirs de chef
religieux, militaire et politique, pour que cette pratique disparaisse
définitivement. Autant dire que ce n’est pas demain la veille. Et quand
bien même le ferait-il (on peut toujours rêver), il se trouvera toujours
des officiels, des élus et des anonymes qui lui embrasseront la main
pour humer un peu de sa baraka de chrif, descendant du prophète. Face à
toutes ces questions, le Palais semble avoir choisi la voie la plus
consensuelle, et sans doute l’une des plus floues également : le
baisemain n’est pas obligatoire sous Mohammed VI. Ceux qui y sacrifient
sont les bienvenus. Ceux qui s’en abstiennent ne sont pas inquiétés.
Encore une exception marocaine qui a de beaux jours devant elle…
Histoire. Il était une fois le baisemain
Contrairement
à ce que l’on pourrait penser, la tradition du baisemain n’est ni arabe
ni islamique. Elle serait perse ou païenne selon l’historien Abdallah
Laroui, et remonterait à des âges immémoriaux en Afrique du Nord. C’est
l’introduction de l’islam au Maroc, avec la conquête arabe, qui a
enchevêtré cette tradition antéislamique avec la pratique dans les
mosquées, les mausolées et les zaouias. Dans ces différents espaces, la
notion de baraka est omniprésente. Et, souvent, on va chercher cette
baraka dans le creux de la main du fqih ou en caressant les tombes des
Awlia’e (les saints). Les Alaouites l’ayant repris à leur compte en
accédant au trône, elle a traversé les différents règnes, avant que
Hassan II, bien plus tard, ne la renforce pour étouffer toutes velléités
de révolution ou de rébellion des élites. En tant que père et
protecteur de la nation, le roi défunt considérait avoir naturellement
droit à ce privilège, dont seuls les ouléma étaient dispensés. “Une
grande partie du protocole, jusque-là abstrait, a pris une tournure
personnalisée sous le règne de Hassan II. Parler de “servilité”, de
“soumission”, s’est justifié alors : on embrassait la main du roi moins
par respect pour une sainteté chérifienne et plus par crainte, par
courtisanerie, par calcul, et en vue d’objectifs matériels et de pouvoir
effectif”, conclut le politologue Omar Saghi.
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Littérature. Un baiser amoureux
L’écrivain
Abdellah Taïa a transcrit dans son livre Le Jour du Roi sa vision du
lien charnel qui unit la main toute-puissante de Hassan II et les lèvres
des Marocains. Extraits.
Baiser
la main de Hassan II : c’est le rêve de presque tous les Marocains. Je
suis devant ce rêve qui se réalise. Mais comment l’embrasser, la baiser,
cette main royale, propre, tellement propre ? (…) La main de Hassan II
est toujours en attente. Il faut que je me dépêche. Vite. Vite. Je
baisse la tête. Je fonce. Je prends la main du Roi dans les miennes. Je
suis courbé. Complètement. Parfaitement. Je sens la main de Hassan II.
Je la respire. Quelle chance ! Quelle chance ! Je la respire encore plus
profondément. Elle est vraiment propre, plus propre que propre. Lavée.
Très bien lavée. (…) Mon nez est encore dans sa main. Je respire encore
et encore. Je renifle. J’entre dans la peau de cette main historique
(…) Il faut continuer à renifler. Profiter de ce moment unique pour
découvrir le parfum secret, l’odeur secrète du roi et de ses mains.
Rempli de courage, je relève la tête pour embrasser l’épaule du Roi.
C’est ce que je vais faire. Oui, oui, je vais le faire, je vais le
faire. Mais, d’abord, il faut en finir avec cette main propre. La
baiser. La baiser bien comme il faut. Selon le protocole que tous les
Marocains connaissent par cœur (…) Je mets mes lèvres dans cette paume
immense, un monde à elle seule. J’y dépose trois baisers, rapides,
sincères, ravis(…) Un des trois serviteurs noirs me montre qu’il faut
que je retourne encore une fois la main et la baise sur le dos, trois
fois. Quel bonheur ! Je suis sauvé ! Je suis sauvé ! J’embrasse une
dernière fois la main royale avec davantage de ferveur.
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Réactions. Le rituel vu par nos “frères” arabes
Flash-back.
Au milieu des années 1950, en pleine époque de lutte pour
l’indépendance des Algériens, Ferhat Abbas, président du gouvernement
provisoire de la république algérienne, embrasse la main de Mohammed V
lors d’une visite officielle au Maroc. Un geste anodin à l’époque.
Entre-temps, les deux voisins sont devenus des frères ennemis, et les
Algériens ne manquent plus une occasion de souligner la “servilité” des
Marocains qui acceptent sans sourciller, depuis Hassan II, de baiser la
main de leur roi. Ces critiques sur la soumission de tout un peuple
trouvent leurs origines dans le conflit autour du Sahara qui oppose les
deux peuples. Mais elles sont aussi la manifestation de deux systèmes
politiques que tout oppose. D’un côté, une royauté, de l’autre “une
culture républicaine et égalitaire”, souligne le politologue Youssef
Belal. Aujourd’hui, les contempteurs du baisemain critiquent aussi ce
rituel au nom de l’islam. En ligne de mire : la visite du zoo de Témara
par Moulay El Hassan, accompagnée de courbettes de militaires. A ce
propos, le cofondateur du Front islamique du salut (FIS), Ali Belhaj, a
déclaré lors d’un prêche : “Vous avez vu le jeune fils de Mohammed VI ?
Ils se prosternent pour lui baiser la main. C’est ça l’islam ? (…) Nous
avons aujourd’hui des rois qui nous amènent des enfants à qui on baise
les mains et les pieds. C’est quoi ça ? C’est de l’esclavage ?”.
Printemps arabe oblige, l’Egypte a joint sa voix aux condamnations du
baisemain fait à un gamin âgé d’à peine 9 ans. Le talk-show Al Qahira Al
Yawm, suivi par près de 25 millions de téléspectateurs égyptiens, a
consacré une émission sur le thème “Nous créons nos propres dictateurs.”
Le journal Al Wafd a titré quant lui à propos de Moulay El Hassan :
“Voilà comment les Arabes construisent leurs divinités”. Le blog Bawabat
Al Ahram, très visité, s’est aussi fendu de la photo où un haut gradé
marocain se courbe pour embrasser la main du prince héritier. L’accroche
est lapidaire : “Quand on regarde le malheur des autres, on oublie le
sien”. Dont acte.
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