Chers amis lecteurs de solidmar,

Solidmar est fatigué ! Trop nourri ! En 8 ans d’existence il s’est goinfré de près de 14 000 articles et n’arrive plus à publier correctement les actualités. RDV sur son jumeau solidmar !

Pages

samedi 11 janvier 2014

Libéralisation de la médecine au Maroc. La finance contre la santé

Par Salaheddine Lemaizi, militant d’ATTAC Maroc


Le projet de révision de la Loi 10-94 relative à l’exercice de la médecine ouvrira la voie à la libéralisation des capitaux des cliniques, aux investisseurs. En d’autres termes, c’est un nouvel acte dans le processus de privatisation de la santé au Maroc.
À l’occasion de la deuxième tentative d’introduction de ce texte controversé, Pr. El Houssaine Louardi, ministre de la Santé, nous sort l’artillerie lourde. Il multiplie les sorties médiatiques pour avancer les arguments justifiants cette privatisation. Des thèses reprises avec complaisance par les médias. Dans le but de briser la pensée unique qui domine ce débat, prenons le temps de discuter et analyser les arguments du Ministère de la santé (MS)

Argument 1 : « Ce n’est pas une privatisation ». C’est une financiarisation de la santé
«Ce projet ne vise pas à privatiser la santé », rassure le ministre de la Santé. Je confirme ! La santé au Maroc est déjà privatisée.  Ce droit a été  transformé en marchandise il y a plus de trente ans. Le FMI et son PAS avec la bénédiction des différents gouvernements ont affligé à ce service public une cure d’austérité de deux décennies[1].
Nous trainons encore les boulets des « succès » de cette politique. Une santé à deux vitesses s’est installée. Face à un secteur public agonisant, les citadins se sont tournés vers un secteur privé, dopé par les compétences du public[2]. Donc ce projet n’est pas qu’une simple privatisation, c’est une opération de financiarisation du système de santé. Cette réforme ouvrira la voie aux fonds d’investissements détenus par les assureurs, les labos pharmaceutiques ou des multinationales de la santé. Les financiers qui ont tenté le même coup du temps de Yasmina Baddou, frappent à la porte du Pr. Louardi, qui semble céder aux multiples pressions économique et politiques. 

Argument 2 : « Les cliniques privées sont hors la loi ». C’est grave Docteur !
Dos au mur, le Pr Louardi déballe tout sur le secteur des cliniques. Et soudain ce secteur devient « hors la loi ». Il énumère une longue liste de manquements : moul choukra est déjà présent dans les capitaux des cliniques, les cliniques créées en SA ou Sarl sont dans l’illégalité, des médecins fonctionnaire au MS sont actionnaires des cliniques, etc…
Apprécions ici la finesse tactique de Mr le ministre. Son travail de diabolisation des cliniques est une prolongation de l’image peu reluisante dont écopent ces structures auprès de l’opinion publique. Sauf que son raisonnement ne tient pas. Nous sommes devant un responsable public qui nous dit tout bonnement que l’Etat (Secrétariat général du gouvernement et le MS) pendant des années n’a rien pu contrôlé et même quand des missions d’inspections[3] ont lieu, elles n’ont pas été traduites par des sanctions administratives. Sa solution : « inviter des investisseurs non médecins pour assainir  ce secteur ». Nous nous pouvons qu’être étonnés de cette fuite en avant.
Au lieu et place de ce projet de privatisation, le ministre de la santé devrait faire le bilan de trois décennies de marchandisation de la santé et l’échec de l’Etat dans son rôle de régulateur et planificateur du secteur public. En une phrase : nous exigeons des deux départements de tutelle de rendre des comptes sur leur gestion de ce dossier des cliniques privées, par la même occasion nous expliquer comment ce secteur est resté « hors la loi » pendant toutes ces années ?    

Argument 3 : « La libéralisation drainera des investissements». Une nouvelle dose de néolibéralisme

Ce projet de privatisation a quelques « mérites » ! Primo, ce dossier met à nu l’uniformisation économique des acteurs politiques au Maroc en cours depuis le début des années 80. A droite comme à gauche, libéralisme triomphe. Cette « réforme » a été portée au départ par une ministre istiqlalienne (Centre-droit) et elle est aujourd’hui défendue avec hargne par un ministre issu du PPS (Gauche).
 Deuxio, ce projet révèle au grand jour la domination de la pensée néolibérale sur les faiseurs de la politique de santé. Pour Pr Louardi, cette privatisation de la médecine améliorera « l’attractivité du Maroc, drainera des investisseurs étrangers, créera des emplois, stimulera la concurrence entre les cliniques pour tirer la qualité vers le haut ». En somme, le  bon vieux discours qui a prévalu pour privatiser les terres agricoles, le tissu industriel public et des services de bases. Le bilan de ce choix économique est très discutable[4].
Ce qui est problématique, c’est de vouloir appliquer ce même  raisonnement, théoriquement valable pour un secteur productif et lucratif, à un secteur social. Certes, le système de santé actuel dispose d’une composante privée lucrative[5]. Cette partie désormais indispensable pour le bon fonctionnement du système a contribué à créer une santé à deux vitesses. La nouvelle tentative de privatiser d’avantage ce service social créera un système à trois vitesses. D’une part, le secteur public agonisant et débordé avec l’arrivée des RAMEDistes, le secteur privé actuel aux infrastructures vieillissantes et le prochain secteur financé par les financiers se dotera de villes médicales 5 étoiles. La barrière de l’argent et le type d’assurance maladie priveront la grande majorité des Marocains de ce système. D’ailleurs, les financiers n’investiront pas pour soigner la veuve et l’orphelin. Ils mettront le paquet pour se répartir le gâteau de 47,7 milliards de DH, que représente la dépense globale en santé au Maroc et plus spécifiquement le juteux marché des assurés du privé, du public et du semi-public, soit 44% de ce montant[6]. Avec en prime, une décision médicale qui échappera aux professionnels de santé. Le diktat du marché, déjà omniprésent en santé, triomphera. 

Argument 4 : « C’est un moyen pour régionaliser l’offre de soins ». Un leurre ! 
Le troisième argument des promoteurs de la privatisation, c’est que ce projet permettra de réduire les écarts régionaux en offres de soins. Le ministre promet que ces investisseurs seraient prêts à s’installer dans les régions éloignées souffrant de déficit en personnel de santé et d’infrastructures de qualité. Cet argument ne résiste pas à la réalité sur le terrain. En octobre 2012, le groupe émirati Tasweek Real Estate Development and Marketing annonçait déjà la couleur. Cette société compte créer un « complexe touristico-médical » à Marrakech[7]. Les prochains investisseurs feront de même. Il ne faut pas donner des faux espoirs aux Marocains sur les régions d’installation de ces financiers. Ces derniers iront s’installer dans les régions où se trouvent une demande solvable, c'est-à-dire l’axe Rabat-Casablanca et les grandes villes (Tanger, Fès, Marrakech ou Agadir). Il sera illusoire de s’attendre de ces marchands de la santé de s’installer dans des déserts médicaux (le Sud-est, l’Oriental ou le Rif)[8].   
    
Argument 5 : « Des lobbys s’opposent à cette réforme ». Un Front citoyen

Le dernier argument du ministre, c’est que les opposants à ce projet sont « des lobbys défendant des intérêts corporatistes », en l’occurrence les médecins et les professionnels de santé en général. A cette hypothèse, nous rétorquons ainsi : 44 organisations  opposés à cette privatisation se sont regroupées au sein du Front national pour la défense de la santé (FNDS)[9]
 Notre but : défendre la santé comme service public et social. C’est une première que des structures de la société civile d’horizons divers se réunissent sous un mot d’ordre du refus de la marchandisation de la santé. Dans cette large coalition, les professionnels de santé sont minoritaires, le « lobby » majoritaire est celui des citoyens signataires du texte d’Appel et qui disent de la même voix : Stop à la privatisation de la santé.      
En conclusion de ce premier essai de déconstruction de l’argumentaire du ministère de la santé sur la libéralisation de la médecine, je considère le débat actuel salutaire. Pour une rare fois, nous avons l’occasion de remettre en cause le modèle dominant de gestion d’un service public. Dans les textes à venir de démontrer les risques de dérive que contient ce projet sur les soins et l’économie de santé au Maroc. Nous aurons l’occasion de montrer qu’un autre système de santé est possible, sans recourir à une marchandisation de ce secteur.(...)



[1] Entre 1981 et 91, les ressources budgétaires du Ministère de la santé publique ont stagné.  Les parts de la Santé dans le budget de l’Etat et dans le PIB ont même régressé ; de 1,4% en 1975, sa part dans le PIB a baissé à 0,9 durant la période 85-91. Voir « Impact du Programme d’ajustement structurel sur les dépenses publiques de Santé », in Bilan décennal du PAS et perspectives de l’économie marocaine (Actes du colloque international de l’AEM, octobre 1993). 
[2] En 1997, le secteur public comptait 25 000 lits (82%) et le privé 5251 lits (18%). En 2011, le public régresse avec 22 155 lits (68%) et le privé a doublé ses infrastructures avec 10 560 lits (32%). Source : Stratégie sectorielle du ministère de la Santé (2012-2016).

[3] Le secteur des cliniques privées offrent une illustration de la cacophonie que connait le secteur de la santé. Le SGG délivre les autorisations d’ouverture et le MS se charge d’inspecter ces structures avec l’aval du…SGG. Les conclusions de ces contrôles ont peu de chance d’aboutir, vu que c’est le SGG qui a le dernier mot pour avertir ou fermer une clinique. Rappelons ici que cette « arme » de l’inspection a été utilisée par le MS dans sa bataille pour imposer la libéralisation de la médecine comme le montre la courbe des inspections : 5 en 2009, 64 en 2010, 107 en 2011, 5 en 2012 et 214 en 2013.     
[4] Pour un premier bilan, lire : ATTAC Maroc, Privatisations : stoppons l’hémorragie, Rabat, juin 2005
[5] Offre de soins du privé : cliniques : 319, cabinets : 6652, médecins : 7934, dentistes : 3827, pharmaciens : 8273. Source : Regard sur les indicateurs sanitaires, édition 2013, MS.
[6] La structure de financement du système de santé résume à elle seule l’échec de 30 ans de privatisation de ce secteur. 53,6% dépenses de santé sont supportées par les citoyens. Ce chiffre très élevé constitue un obstacle majeur pour l’accès aux soins et aux services de santé. Surtout que le taux de couverture médicale ne dépasse pas 33,7% de la population marocaine. Ce n’est pas une nouvelle vague de privatisation de la santé qui résoudra ces problèmes de fond… 
[7] Julie Chaudier, Marrakech : Création d’une ville médicale pour riches touristes, Yabiladi, le 23/10/12, http://www.yabiladi.com/articles/details/13565/marrakech-creation-d-une-ville-medicale.html
[8] Les cliniques privées offrent leurs prestations seulement aux grandes villes marocaines. 27% de ces infrastructures se trouvent dans la Grand Casablanca et 16% sont à Rabat-Salé. 
[9] Créé en 2010, cette large coalition compte des ONG de défense des consommateurs, des associations des droits de l’homme (AMDH, OMDH, FVJ, Adala, OLIE, LMDDH), des syndicats des commerçants et des professions libérales (avocats, architectes, artistes, réalisateurs, etc…) et des syndicats du secteurs de la santé public et privé. Voir notre page sur www.facebook.com/FNDS

تعليقات الزوّار

الآراء الواردة في التعليقات تعبر عن آراء أصحابها



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire