Les
larmes du Sphinx
Sur
son plateau de Gizeh, du haut de ses vingt deux mètres, le sphinx, deux fois
millénaire, pleure le désastre qui frappe sa patrie et dévore ses fils.
Le
pays des Pharaons est à feu et à sang et l'incendie qui consume les villes
riveraines du Nil, depuis la Haute Egypte, jusqu'à son delta, fait
irrémédiablement penser à une colonne vertébrale, saisie d'une gigantesque
inflammation. Réaction somme toute naturelle, d'un organisme sclérosé à force
d'invasions et de dictatures, depuis les Pharaons jusqu'aux frères musulmans, en
passant par les Grecs, les Romains, les Ottomans et les autres.
A
naviguer ainsi, de la poigne d'une dictature, aux serres d'une tyrannie, Homo
Aegyptus aura beau avoir inventé l'écriture, légué au monde un fabuleux trésor
archéologique et contribué à faire sortir l'humanité de la Préhistoire, il n'en
ignore pas moins les vertus du dialogue démocratique et du consensus national. A
preuve, ces images accablantes d'un pays désormais scindé en deux clans qui
n'échangent plus rien d'autre que des projectiles.
Et
si le Sphinx se lamente tant, c'est qu'il craint par-dessus tout que la nouvelle
plaie qui frappe son pays, ne tourne à la guerre civile et l'emporte à tout
jamais, comme elle le fait de l'Irak et de la Syrie en menaçant le Liban, la
Libye et la Tunisie.
Le
rictus du Pharaon et la onzième plaie de l'Egypte
Du
fond de sa cellule-mouroir, Hosni Moubarak s'en frotte les mains. Son procès
vient d'être reporté au 25 août, au cours d'une audience éclair, samedi 17 août,
à laquelle, l'intéressé n'assistait pas pour des raisons de sécurité. La
répression impitoyable orchestrée par le Général El Sissi et les centaines de
morts et de blessés qu'elle a engendrés apporte un répit inespéré au Raïs déchu
et relègue les crimes qui lui sont imputés, à la catégorie amateur.
Passée
la première étape qui consistait à démettre le Président démocratiquement élu,
les militaires se sont attaqués, le 14 août, aux campements de ses partisans,
faisant plusieurs dizaines de morts et des centaines de blessés, à travers tout
le pays. Un bain de sang, dont le pays se serait bien passé.
Exit
le Vice-Président Mohammed El-Baradeï, lauréat du prix Nobel de la paix, effrayé
par l'ampleur du massacre perpétré par l'armée égyptienne. Et le Fonds Monétaire
International (FMI) de bloquer les cinq (5) milliards de dollars de prêts
prévus, faute d'interlocuteur politique fiable.
Exit
aussi le fils de Mohamed Badie, guide suprême des frères musulmans, tué vendredi
par les balles des forces de l'ordre, au Caire. Et la confrérie de jurer
vengeance pour ses morts. Et le spectre de la « Gamaaâ islamya » de planer de
nouveau sur le tourisme et ses sept (7) milliards de dollars de revenus.
Comme
une avalanche
Exit
également les investisseurs étrangers, dans une Egypte éternellement sous
perfusion. Et les chiffres rouges de se nourrir les uns des autres, telle
l'avalanche le fait des cristaux de neige qui la grossissent. Et les quinze (15)
millions de touristes de 2011, de n'être plus qu'une dizaine, le taux de chômage
de frôler les quinze (15) pour cent, l'inflation les huit (8) pour cent, le
déficit budgétaire de gonfler de treize (13) pour cent du PIB, la dette
pétrolière d'enfler à huit (8) milliards et les réserves de change de fondre
comme neige au soleil, passant de trente six (36) milliards de dollars en 2011,
à seize (16) milliards aujourd'hui. Tout juste de quoi tenir trois (3) mois de
paiements des importations, pour un pays qui occupe la première place mondiale
des pays importateurs de céréales.
Ce
chapelet de catastrophes égrené, on comprend un peu mieux, que l'armée
égyptienne qui se repaît du milliard et demi de dollars annuels d'aide
américaine, depuis le traité de paix conclu entre l'Egypte et Israël en 1979,
ait tout intérêt à reprendre le pays en main. Une armée affairiste et
entrepreneuriale qui représente bon an, mal an, trente (30) à quarante (40) pour
cent du PIB.
La
revanche du « Royaume »
On
comprend également, un peu mieux l'empressement de l'Arabie saoudite à soutenir
le coup d'Etat militaire. A laisser l'Egypte plonger dans le chaos irréversible
d'un scénario à l'Algérienne, le Royaume wahhabite y perdrait leur plus grand
fief dans la région, labouré depuis plus de huit décennies par la confrérie des
frères musulmans et que les événements lui offrent sur un plateau. Hamad Ben
Khalifa et Hamad Ben Jassim, les deux parrains qataris « déposés », à
l'instigation des Etats-Unis, Riyad reprend la main et tient sa revanche sur le
Qatar, la Libye et la Turquie. Trois pays qui ont soutenu le Parti de la liberté
et de la justice de Mohamed Morsi.
Et
pour mieux enfoncer définitivement le coin, le Royaume wahhabite a promis
d'injecter douze (12) milliards de dollars, soit huit (8) fois plus que ce que
consacrent annuellement les Etats-Unis à la modernisation de l'armée égyptienne.
Un soutien qui fait oublier au pays des pharaons, les huit (8) milliards du
Qatar et au Général El Sissi, toute prudence, lorsqu'il inflige à Barack Obama
le camouflet de refuser de le prendre au téléphone, le renvoyant vers le
Président en exercice, Adly Mansour. Et pas plus Chuck Hagel, Secrétaire d'Etat
à la défense, que Anne Patterson, l'ambassadrice américaine au Caire, qui n'ont
cessé depuis jeudi dernier, de tenter de prendre langue avec leur allié
Egyptien, ne sont arrivés à se faire entendre de ce dernier.
Au
grand dam du clan républicain, qui l'accuse de manquer de courage dans cette
affaire, Barack Obama se refuse toujours à évoquer le terme de coup d'Etat,
synonyme de gel de l'aide américaine à l'Egypte. Le Président qui a fait dans le
service minimum, en terme de déclarations, comme appeler les deux clans à la
retenue ou au dialogue, aux premières heures du Pronunciamiento, s'est contenté,
pour toute mesure de rétorsion, de geler les manœuvres militaires communes, «
Bright Star », suite à l'assaut sanglant, Place Rabaa El Adaouyia, dans le souci
évident, de ménager le Caire, partie prenante dans les négociations de paix
israélo-palestiniennes. Des pourparlers dont le locataire de la Maison Blanche a
fait le cheval de bataille de sa seconde mandature.
Prudence
à Paris et durcissement de ton à Bruxelles
De
son côté, la France, sixième partenaire de l'Egypte, son septième client et son
premier investisseur, avec plus de cinquante mille (50.000) personnes employés,
dans des secteurs aussi variés que les services, l'énergie, la construction ou
l'industrie, a opté pour le service minimum, même si, par la voix de Laurent
Fabius, elle a condamné « avec la plus grande fermeté les violences sanglantes
intervenues en Egypte et demande un arrêt immédiat de la répression ». A Paris,
où il flotte comme un parfum de soulagement à voir évincer Mohamed Morsi qui
s'apprêtait à constitutionnaliser l'islamisation de l'Egypte, on préfère tout de
même, jouer la prudence et renvoyer dos-à-dos l'armée et les Pro-Morsi. En
appelant « toutes les parties à refuser l'engrenage des affrontements et à
ouvrir sans délai un dialogue incluant l'ensemble des forces politiques
égyptiennes pour trouver une issue démocratique à cette crise grave » et en
réaffirmant « sa disponibilité immédiate pour favoriser ce dialogue »,
l'Hexagone tient donc à sauver ses intérêts, en déléguant à l'Union européenne,
la prise de décisions spectaculaires. Le Quai d'Orsay se contente, pour le
moment de déconseiller aux français de se rendre en Egypte et à ceux qui s'y
trouvent déjà de le quitter ou d'éviter tout déplacement à travers le pays.
A
Bruxelles, les deux responsables européens Herman Van Rompuy et José Manuel
Barroso sont apparus déterminés, affirmant que l'Union était prête à réexaminer
ses relations avec l'Egypte, et que « Les affrontements doivent cesser
immédiatement, et les prisonniers politiques doivent être libérés. » Pour amener
les deux camps à la table des négociations. Bruxelles a donc opté pour un ton
durci après le gel de son aide de cinq (5) milliards d'Euros à l'Egypte.
Silence
souverain à Rabat
Pas
besoin d'évoquer la ligue arabe qui s'est fourvoyée dans un silence
assourdissant. Tout comme Rabat où Mohammed VI, qui s'était fourvoyé à applaudir
au coup d'Etat militaire, contre un Président élu démocratiquement, observe à
présent, un silence des plus empruntés. Diminué par le scandale DanielGate, et
la décoration de Malcolm Hoenlein, un lobbyiste sioniste, au service de l'Etat
d'Israël, le souverain marocain observe la plus grande circonspection dans
l'affaire égyptienne, imité en cela, par le Chef du gouvernement, Abdelilah
Benkirane, et les membres de son gouvernement, très peu empressés à prendre le
contrepied du chef de l'Etat. A telle enseigne que le président du groupe PJD, à
la Chambre des représentants, Abdellah Bouanou est intervenu dans l'hémicycle
pour exiger du gouvernement marocain, qu'il sorte de sa léthargie et assume sa
responsabilité sur les événements égyptiens et que la diplomatie marocaine se
montre à la hauteur de la tâche qui lui incombe. Un pur prêche dans le désert
!
Ce
dimanche, alors qu'une marche de soutien aux frères musulmans égyptiens,
baptisée « Légitimité », réunissait environ dix mille (10.000) personnes, à
l'instigation du Parti de la Justice et du Développement, de la Jamaa al Adl Wal
Ihssane et d'autres mouvances islamistes, les membres du gouvernement marocain,
y compris ceux du PJD, ont brillé par leur absence, trahissant l'attitude
ambigüe du Maroc.
Au
Caire, et ailleurs où le couvre-feu ne semble pas avoir dissuadé les partisans
du Président Morsi de prendre les rues d'assaut, bien malin qui peut affirmer
avec certitude si les nombreux assassinats, les destructions de biens publics et
les incendies des lieux de culte coptes, sont le fait des frères musulmans,
ivres de vengeance ou de provocateurs agissant pour le compte de l'armée ? En
attendant de répondre à cette question, une certitude demeure toutefois et qui
semble propre à l'ensemble de ceux des pays de la région qui sont tombés de
Charybde en Sylla : si les Islamistes ont très vite apporté la preuve de leur
incompétence et de leur ambition coupable à vouloir islamiser le pays et le
plonger dans l'obscurantisme, les militaires n'en ont pas moins été au-dessus de
la réputation de brutalité qui leur colle à la peau. Il sera désormais difficile
de faire confiance à un officier supérieur qui démet un président sorti des
urnes et ordonne de massacrer ses compatriotes, avant de venir disserter
tranquillement de démocratie devant les écrans de télévisions.
Les
jours qui viennent seront déterminants pour l'avenir de l'Egypte. Ils nous
diront si le Sphinx continuera de pleurer les morts à ses pieds ou si la onzième
plaie d'Egypte prendra fin comme les précédentes, afin que la vie reprenne droit
de cité, et le Nil le cours de son lit.
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