Lettre à
François Hollande, président de la République mais aussi à quelques
ministres et à quelques élus qui, jadis, il y a un peu plus d’un an,
n’auraient pas laissé faire.
Riyad et Ramyi, les deux enfants pleurant derrière les grilles du
centre de rétention de Saint Jacques de La Lande près de Rennes ont
respectivement 3 ans et demi et 2 ans et demi. Ils sont les emblèmes
d’une politique hypocrite et inhumaine. Celle sur laquelle vous fermez
les yeux.
Ces deux enfants sont enfermés avec leurs parents depuis le 21
juillet. Ils sont tchétchènes, région troublée s’il en est, sur laquelle
on se lamente beaucoup dans les discours officiels et dont on plaint
beaucoup les habitants… à condition qu’ils restent au loin. On ne
connaît pas les détails de l’histoire des parents Mejidov. On sait
seulement qu’ils sont demandeurs d’asile, et que plusieurs de leurs
proches sont réfugiés en France, ce qui laisse à penser que leur demande
n’est pas dénuée de fondement, les violences s’exerçant souvent sur la
famille au sens large. Les autorités françaises ne le contestent
d’ailleurs pas : elles appliquent un texte européen (Accords Dublin II,
dont vous avez-vous-mêmes souvent dénoncé les effets dévastateurs),
selon lequel les demandeurs d’asile doivent déposer leur dossier dans le
premier pays par lequel ils entrent dans l’Union européenne, le plus
souvent la Pologne pour les Tchétchènes. Ce qui permet au gouvernement
de proclamer dans ses discours son indéfectible attachement aux droits
de l’Homme, en Tchétchénie en particulier et, dans le même temps, de
renvoyer des Tchétchènes, parents et enfants, en Pologne où ils sont
souvent emprisonnés avant d’être réexpédiés en Tchétchénie. Un peu
d’hypocrisie, peut-être ?
Même s’il est probable que les jeunes vies de Riyad et Ramyi n’ont
pas été que de miel et de roses, les conditions de leur séjour en France
ces dernières semaines ont dû leur enseigner qu’ils n’avaient pas gagné
le paradis en arrivant à Nantes, en février dernier.
Comme de nombreux demandeurs d’asile, ils ont commencé par plusieurs
semaines d’errance entre la rue et le 115. Éclaircie en avril : la
famille obtient un hébergement stable en hôtel qui permet de scolariser
Riyad. Mais, début juillet, la préfecture entreprend « d’appliquer la
loi ». En apparence, c’est neutre, c’est légitime, c’est même un
devoir. C’est la loi de la République, elle s’applique à tous, se
gargarise Valls. A voir ! D’abord parce que les états ne sont pas
obligés appliquer rigoureusement les accords de Dublin et peuvent
toujours autoriser le dépôt de demande d’asile sur leur territoire. Mais
aussi et surtout parce que ces lois sont discriminatoires puisqu’elles
ne s’appliquent qu’à certaines catégories de population, les
étrangers !
« En application de la loi » donc, les parents Mejidov sont assignés à
résidence et leurs enfants avec eux. Une convocation leur est adressée
pour un vol à destination de la Pologne le 11 juillet. Naturellement,
ils n’y défèrent pas : ils ont fui leur pays, ils ont traversé toute
l’Europe dans les conditions qu’on imagine et on voudrait qu’ils soient
volontaires pour rentrer !
Le 21 juillet à 7h du matin, une vingtaine de policiers font
irruption dans leur chambre d’hôtel, réveillent brutalement le couple
et les deux jeunes garçons. On rassemble en hâte quelques bagages, tous
sont embarqués vers le commissariat de Nantes, puis vers le CRA de
Rennes. « L’intérêt supérieur de l’enfant doit primer » assurait
François Hollande.
Le lendemain, nouveau réveil brutal par la police aux frontières, à 4
heures du matin, cette fois pour être conduits à l’aéroport. Hurlements
des parents, des enfants aussi on suppose, qui refusent d’être
embarqués. Menaces des policiers qui finissent par renoncer
provisoirement : la prochaine fois, on utilisera la force. « L’intérêt
supérieur de l’enfant doit primer ».
L’arrestation au petit matin par des dizaines de policiers, le
transport dans des véhicules de police, le commissariat, les grillages
du centre de rétention, les cellules, les uniformes, la tentative
d’embarquement, les hurlements, le stress et, pour finir, l’expérience
du tribunal. Le tribunal administratif pour commencer qui « en
application de la loi », maintient tout le monde en prison puis le Juge
des libertés et de la détention qui fait de même le 26 juillet, le
représentant de la préfecture assurant avec une belle inconscience : "En
refusant de suivre l'escorte à l'aéroport, les parents ont prolongé la
rétention des enfants".
Dans une lettre au RESF du 20 février 2012, le candidat François
Hollandeécrivait : « Je serai à cet égard particulièrement attentif au
sort des enfants. Sur ce point, je prends un engagement : celui de
refuser la rétention des enfants. […] L’intérêt supérieur de l’enfant
doit primer ». Il a manqué à sa parole.
Riyad et Ramyi Mejidov en prison depuis une semaine, maltraités,
trimballés de commissariat en tribunal, réveillés à l’aube, témoins des
menaces et des pressions sur leurs parents, en sont la preuve comme la
vingtaine, au bas mot, d’enfants passés par les CRA depuis un an.
Car, si le ministre Valls signait bien le 6 juillet 2012 une
circulaire conseillant aux préfets de préférer l’assignation à résidence
au placement en rétention des familles, le texte, visiblement rédigé
par les hauts fonctionnaires mis en place par Sarkozy, prévoyait tant de
dérogations et d’exceptions qu’en définitive seuls les enfants dont les
parents sont volontaires pour être expulsés sont assurés d’échapper au
centre de rétention.
Au-delà même de la question des enfants en rétention, cette affaire
illustre une certaine conception des principes et dela politique.
Quand en 1981, FrançoisMitterrand et RobertBadinter abolissent la peine
de mort, ils le font au nom de principes, alors même qu’ils sont
minoritaires dans le pays sur cette question. S’ils avaient fait du
Valls, ils auraient aboli la peine de mort sauf dans le cas où et celui
où, à la condition que, si toutefois. Bref, ils n’auraient pas eu le
courage d’abolir la peine de mort tout comme, en réalité, Hollande et
Valls n’ont pas eu le courage de supprimer la rétention des enfants ni
celui de revenir sur 10 ans de Sarkozysme en matière d’immigration.
Vous le savez, et nous connaissons assez certains d’entre vous pour
savoir aussi que vous le regrettez sincèrement. Plusieurs d’entre vous
ne nous le cachent pas. Vous voulez des noms ?
Pourtant, la question n’est pas de le déplorer in petto, ni même de
nous dire à demi-mot votre désaccord. Elle est, sur cette question comme
sur tant d’autres, de trouver le courage d’affirmer publiquement que la
seule politique possible n’est pas celle menée par Sarkozy, à quelques
aménagements près. Répéter, comme le fait Valls, vouloir procéder à
autant d’expulsions que Guéant et ne pas régulariser plus que lui
revient à valider la politique de ses prédécesseurs. C’est ancrer dans
l’opinion l’idée qu’à quelques nuances près dans le discours (et il est
vrai que, sauf sur les Roms, le discours a évolué), la seule politique
possible est celle mise en œuvre aussi bien par la droite que la gauche.
Le risque est que le Front national en soit le grand bénéficiaire.
Richard Moyon (RESF)
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