Ali Aarrass ou l’intégration qui mène à la case Prison de Salé
2014, sera l’année du cinquantenaire de l'accord conclu le 17 février
1964 entre le Maroc et la Belgique pour le recrutement de main d'œuvre,
l’objectif de cette incontournable commémoration sera-t-il le même
qu’en 2004, année des quarante ans de cet accord qui avait pour
objectif essentiel d'amener les nouvelles générations à revisiter
l'histoire de l'immigration marocaine en Belgique qui s'étalait alors
sur quatre générations ?
En 2014, la cinquième génération sera là
que va-t-on lui donner à savoir sur cette histoire de l’immigration ?
Que va-t-on lui apprendre en terme d’intégration ? Comment va-t-on lui
faire injonction de s’intégrer elle aussi, cinquième génération pourtant
! Lui fera-t-on le même coup qu’aux précédentes avec ce mot qui était
déjà devenu insultant au bout de la deuxième et de la troisième
générations ? Ce mot plein de promesses, mais terriblement menteur
qui a permis de maintenir en seconde zone des citoyens et citoyennes
Belges d’origines marocaines depuis des décennies maintenant ? Lui
fera-t-on encore croire à cette cinquième génération qu’elle est seule
responsable de sa «non-intégrabilité, lui fera-t-on digérer que ce mot
intégration tient de sa seule volonté, de son choix de faire partie ou
non du corps social belge ? Dans l’injonction honteuse contenue dans ce
mot intégration, au bout de tout ce temps et de tous les efforts faits
par les générations précédentes, la cinquième saura dans cette
qualification même de cinquième génération, qu’elle ne sera pas plus
intégrée et intégrable que les précédentes, elle apprendra parce
qu’injonction lui sera faite à elle aussi, que les efforts et les
désirs des précédentes auront été vains, elle tournera dans ce mot
comme un prisonnier dans sa cellule pour essayer de comprendre ce
qu’elle fait de mal, où elle a foiré, mais cognera chaque instant sur
l’immense mur -entre elle et la société qui est pourtant la sienne-
qu’est ce mot « intégration »… Un mot qui pourtant porte en lui deux
parties ; celle qui s’intègre et celle qui intègre.
Oui cette
génération aussi comprendra en 2024, quand les services culturels du
royaume organiseront une commémoration thé-à-la-menthe, pour les
soixante ans de l’accord Belgo-Marocain, et pour donner à apprendre
l’histoire de l’immigration à la sixième génération, que ses efforts
d’intégration et ses désirs de faire pleinement partie du corps social
belge auront été vains, tout comme doit le comprendre aujourd’hui Ali
Aarrass du fond de sa grève de la faim et de la soif dans la prison de
Salé au Maroc…
Ali Aarrass est un homme qu'on a accusé de
terrorisme, comme beaucoup de Musulmans depuis le 11 septembre. Qu'on a
isolé de tout autre être humain durant près de 3 ans, qu'on a depuis
lors innocenté mais qui a, malgré cela, été extradé au Maroc. Ali
Aarrass, a une famille formidablement active qui vit en Belgique, qui
pour le sauver d’abord des geôles marocaines ponctuellement, et sans
relâche, lance des appels pour qu’on ne le laisse pas croupir ni mourir
de cette injuste situation …
Cela fait plusieurs mois, que je
reçois des informations sur Ali et sur ce que cette famille meurtrie
organise pour mobiliser du monde autour de l’injustice qui leur est
faite… Emprisonner un homme, c’est toute une famille qui est sous
verrous.
J’ai vu des dessins, j’ai reçu des invitations-vidéos à
des goûters-gâteaux faits par les tous petits de la cinquième
génération, reçu des invitations à écrire, à entendre ce que subit Ali
Aarass, je me suis souvent sentie impuissante, en colère contre mon
impuissance, mais surtout contre ces pays qui sont les nôtres et qui ne
nous acceptent pas, en nous accusant de ne pas vouloir nous intégrer.
Et que l’on ne s’y trompe pas, l’histoire de Ali Aarrass, ce qu’il
vit à l’heure actuelle, est la récompense qu’il a eue pour avoir, comme
des milliers d’enfants d’immigrés, cru que l’intégration était non
seulement possible mais la seule voie ouverte…
Nous sommes lui et
moi de la même génération, je suis Française d’origines algériennes, il
est Belge d’origines marocaines, longtemps, j’ai cru que le traitement
fait à l’immigration algérienne en France, tenait à l’histoire
douloureuse entre ces deux pays, je pensais que les Français d’origines
marocaines étaient mieux lotis que nous parce qu’ils n’avaient pas la
même et tragique histoire coloniale… mais, je viens de vivre deux
années en Belgique, durant lesquelles j’ai pu me rendre compte que
l’immigration marocaine vivait ce que l’algérienne subissait en France, à
travers des propos profondément racistes – entendus entre autres
ignominies et de mes propres oreilles : « il n’y a plus d’hommes en
Belgique, il n’y a que des Marocains » et dans le traitement de
quelques affaires « belgo-marocaines » que ce soit avec ce « Strange
fruit » insoumis qu’est Souhail Chichah ( lynché, viré, harcelé pour
avoir bruyamment contesté une conférence annoncée comme débat, donc
sans contradicteur, de C. Fourest ) dans le deux poids deux mesures de
la justice belge (voir la condamnation à 18 mois avec sursis pour le
touriste porno-pédophile Belge Servati) etc. etc.
Ces deux années
en Belgique m’ont faite comprendre que les Marocains, sont à la Belgique
ce que sont les Algériens en France et à la France, que le racisme n’a
pas besoin d’histoire, bien au contraire, s’il en avait besoin on le
saurait ! Le « plus jamais ça » de Primo Lévy serait le premier regard
que l’on porterait sur tous ceux qui sont différents… L’histoire aurait
pu être l’ennemie du racisme si elle n’était pas aussi occultée et même
en terme d’intégration… L’histoire de l’intégration d’ Ali Aarrass,
tient aujourd’hui à un petit ruban…
Ali Aarrass a entamé une grève
de la faim et de la soif dans sa prison de Salé parce que ses geôliers
lui ont confisqué une partie de son courrier et sa médaille du Marathon
20 km de Bruxelles, tenue par ce petit ruban aux couleurs du drapeau
belge… Belgique qui le nie, qui nie celui qui se considère comme son
enfant, l’enfant d’un métissage belgo-marocain…
Est-ce là la
finalité de son intégration, lui qui a servi sous les drapeaux de
l’armée belge entre 1993 et 1994 ? Est-ce que son chemin d’intégration
doit se terminer dans ce Guantánamo virtuel entre Belgique et Maroc que
sont sa cellule et le traitement odieux qui lui est fait à la prison de
Salé ?
Ali AArrass est le symbole des refus de nos efforts et
de nos rêves d’intégration que l’on soit Français ou Belges d’origines
algériennes ou marocaines.
Relire la Lettre d'Ali Aarrass
Tout a commencé le 8 juillet 2013, alors que je recevais une partie de
mon courrier personnel. Parmi les quelques courriers il y avait une
enveloppe qui contenait des photos, et un médaillon des 20 kms de
Bruxelles, médaille dont le collier portait les couleurs de notre
drapeau belge. Quelques heures plus tard, le directeur donne l’ordre
qu’on me reprenne la dite enveloppe avec tout son contenu. Cela s’est
passé alors que j’avais déjà signé dans le registre, accusé de
réception, comme je le fais chaque fois que je reçois du courrier.
S’agit-il d’abus de pouvoir ou provocation ?
Je suis toujours dans l’attente qu’on me restitue l’enveloppe avec le
médaillon aux couleurs du drapeau belge. Le drapeau par lequel j’ai juré
en faisant mon service militaire dans les années 1993-94. Cela est la
preuve d’un racisme, d’une vengeance de la part du directeur et de son
confident et adjoint, Bouazza. 10 juillet 2013, ces derniers sont entrés
dans ma cellule, tandis que j’étais dans la cour à 11:30 heure. Les
autres prisonniers les ont vus rentrer alors qu’ils n’avaient pas
sollicité ma présence.
Pour me provoquer, ils ont arraché des
lettres et cartes postales collées sur le mur, dans une partie de ma
cellule. Ils les ont piétinées et ont emporté mes lettres et cartes
personnelles. Quand je suis revenu à ma cellule, ils avaient tout
fouillée. Tout avait été remué, abimé … Tout était sens sous dessus. Ils
ont pris un malin plaisir à le faire avec beaucoup de méchanceté,
haine, un racisme, du mépris, pour me toucher, surtout l’adjoint
Bouazza. Et quant au directeur qui s’appelle Abdellah Darif, il n’a
montré ni humanité ni intelligence en compagnie de son adjoint.
J’ai
demandé à le voir, il m’a reçu dans son bureau où j’ai exigé des
explications et il a répliqué en me disant qu’il est le directeur et que
je ne suis qu’un prisonnier. Qu’il décidait de tout et qu’il faisait
tout ce qu’il voulait dans sa prison ! J’ai seulement voulu lui rappeler
qu’ils ont bafoué mes droits en se comportant de la sorte ! Il m’a dit,
en me menaçant, qu’il me fera la vie impossible, et que Bouazza est
l’homme en qui il place toute sa confiance, son confident. Je suis
revenu dans ma cellule et ai demandé au fonctionnaire le droit depasser
un coup de fil. Ce dernier m’a dit qu’il a reçu l’ordre du directeur de
ne pas me donner accès au téléphone, ni à la cour, ni à la douche, ni à
mon courrier !Aujourd’hui je suis enfermé dans cette prison, avec le
droit à « plus rien! »
Et tout cela parce que j’ai dit au directeur
qu’il n’avait pas le droit d’entrer dans ma cellule, avec Bouazza, en
mon absence. Il est devenu furieux quand j’ai nommé son confident. Il
m’a chassé de son bureau avec méchanceté! Pourtant il sait très bien
qu’il a fait l’erreur de se laisser influencer par son adjoint Bouazza.
Les deux ont violé mes droits. Aujourd’hui j’en suis à me demander si
j’ai les mêmes droits que tous les prisonniers ? Il y en a qui payent
avec tout ce qu’ils ont pour avoir en retour ce qu’ils veulent, et ce
butin le directeur et son adjoint se le partagent !
J’ai donc décidé
en ce jour d’entamer une grève de la faim, une grève que je n’arrêterai
pas tant qu’on ne respecte pas mes droits ! Qu’on me restitue mes
droits ainsi que la médaille au collier des couleurs du drapeau belge
qui est le mien !
« La colère et la haine rendent aveugle ! La première pour une heure, la seconde à vie ! »
Ali Aarrass
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