Surprise : les Marocains contestent sinon l'arbitraire royal dans son
ensemble, du moins une décision du roi. Le slogan qu'on a le plus
entendu hier soir, dans les manifestations durement réprimées hier à
Rabat, Tanger et Tétouan, était « 'acha al-cha'b » (vive le peuple). Comme une réponse à l'habituel « 'acha al-malik » (vive le roi).
La décision du roi de gracier Daniel Galvan, reconnu coupable d'abus
sexuels sur mineurs en 2011, a renversé la twittoma (sphère des
utilisateurs marocains de Twitter). La manifestation prévue le vendredi
même a su regonfler les rangs des manifestants du M20 que
l'essoufflement du mouvement avait dispersé. « Il y avait des visages que je n'avais pas vu depuis longtemps », rapporte Ahlem, militante du mouvement, présente hier soir dans le rassemblement de la capitale, Rabat.
En interpellant derrière leurs uniformes de policiers, les pères, les
manifestants avaient un angle parfait pour donner corps à un
rassemblement pour le moins inédit, puisque les décisions royales sont
évidemment incontestables, en temps normal.
Et même si cela n'a pas empêché l'habituelle répression violente (voir la vidéo), le
fait est que jamais l'étendue des pouvoirs du roi n'a été aussi
spécifiquement l'objet d'une révolte aussi large. De la presse aux
réseaux sociaux (voir la page Facebook de l'appel à manifester vendredi 2 août, ou sur Twitter avec #Danielgate), le sujet scandalise tout le Maroc, les défenseurs du régime étant relativement démunis pour donner la réplique aux critiques.
Alors que la branche francilienne de l'Association Marocaine des Droits de l'Homme (AMDH) appelle à manifester à Paris ce soir (18h) devant l'ambassade du Maroc, le journal indépendant Lakome publie une chronique selon laquelle le roi Mohamed 6 vient de commettre sa pire faute politique en 14 ans de règne (conjointement avec la décision, également contestée, de décorer un éminent lobbyiste pro-israélien).
Et de fait, à partir de cette décision pour le moins polémique, c'est
l'institution monarchique qui montre ses failles. Les questions
s'enchaînent et ouvrent sur les limites même du fonctionnement des
institutions marocaines.
Comment Mohamed VI a-t-il pu consentir cette grâce ? C'est la visite
de son homologue espagnol Juan Carlos, et dans le cadre d'une libération
de 48 prisonniers espagnols, que Daniel Galvan a été gracié et libéré.
Le ministre de la Justice ne s'est pas risqué à assumer la décision, se contentant de rappeler qu'elle venait « des deux souverains ». Un problème de transparence ressort, car l'Espagne et le Maroc indiquent chacun que c'est l'autre qui a constitué la liste des 48 prisonniers.
Finalement, les médias espagnols et marocains ont ouvert l'hypothèse que Daniel Galvan, d'origine irakienne, soit un agent de renseignement irakien
ayant soutenu la coalition ayant envahi son pays en 2003, et qu'il ait à
ce titre bénéficié de la protection espagnole et de cette nouvelle
identité. Ce qui expliquerait ce soutien au plus haut niveau : selon
Lakome, ce sont les services secrets espagnols qui ont demandé « avec insistance »
au palais royal marocain cette grâce (et sa sortie du territoire
marocain avec un passeport périmé). Mais il s'agit là d'une information
qui repose sur des déclarations d'une source marocaine « proche du
dossier », sans plus de précision.
C'est aussi un effet de l'hyper concentration des pouvoirs sur la
personne du roi : aucune voix dissonante ne peut témoigner à visage
découvert. Ce qui fragilise in fine les investigations menées sur le sujet.
PS : pour se faire une idée précise des faits eux-même dans cette
affaire de pédophilie, c'est parfois difficile, tant la presse marocaine
est proprement exaspérante, en particulier sur ces sujets, associant
approximations, erreurs factuelles, effets de manche ridicules... Un petit tour d'horizon désabusé des articles parus en 2011 lors du déclenchement de l'affaire.
Jean-Jacques M’µ