Lorsque des milliers de personnes ont défilé à
Casablanca lors de la marche blanche contre la pédophilie, les télés
publiques, la MAP, tous ce que le Maroc comptait d'officiels avaient
applaudi. 15 mois après, une marche contre la grâce royale d'un
pédophile espagnol condamné pourtant à 30 ans de prison ferme, a reçu un
accueil beaucoup moins chaleureux.
Un groupe de petits jeunes, pas encore tout à fait adultes, que j’ai retrouvé devant le café Balima, en face du parlement, piaffaient d'impatience et affutaient leurs slogans puisés dans un profond et sincère patriotisme. Qu'ils étaient beaux tous ces primo-manifestants armés de leur seul courage assis autour de moi, leur aîné de 35 ans, un homme presque jeune, comme s'était décrit Albert Camus. Il n'était que 21h40, mais déjà deux jeunes filles tentaient de me convaincre de leur courage en me contant leurs faits d'armes quand elles étaient au collège. En vieux singe, je faisais mine d'être impressionné mais je me doutais bien que les choses allaient se corser lorsque la manifestation prévue à 22h commencera. Cela n'a pas tardé.
Quelques minutes après, à quelques mètres de nous, un homme hausse le ton. "Je suis dans mon pays. Je ne fais rien de mal. Pourquoi voulez-vous que je parte ?", crie-t-il, seul, entouré d'une dizaine de policiers menaçants. Les forces de l'ordre s'impatientent, créent le désordre en poussant les personnes présentes et qui tardaient à obtempérer. Les jeunes tout autour commencent à siffler et huer leur attitude agressive. Les premiers coups de gourdins caressent "affectueusement" les cuisses d'un groupe de manifestants. Un cri sort du brouhaha de la foule :"Vive le peuple". Un cri qui résonnera comme un ordre d’attaque chez tous les mrouds.
Les trottoirs n'aiment pas les mroud
L’assaut est lancé. La charge sera violente. Les forces auxiliaires défoncent littéralement les 4 tables autour desquelles nous étions assis. Un merda ascendant taureau a vu rouge, fonçant tout droit et défonçant tout sur son passage. Tables retournées, verres cassés, bouteilles de soda éclatées, il continu sa folle épopée tel un cow-boy pourchassant quelques inoffensifs indiens ascendant bouddhiste. Puis c’est la chute ! Un trottoir qui ne devait pas aimer la tournure que prenait les choses est venu s’interposer, arrêtant net son assaut. Le corps du merda s’est alors minablement rétamé sur la chaussée, la tête casquée caressant les pneus des voitures stationnées.
Personne n'a osé rire. Au contraire, les filles, anciennes canailles au collège, semblaient tout à coup moins confiantes. Un jeune homme à ma gauche avoua en darija : "Je vous le dis tout de suite, moi je ne suis pas du tout porté sur la violence !" Ni une, ni deux, tout le groupe de jeunes se dispersa, me laissant seul devant une table désormais vide de toute boisson. Ahmed Benchemsi, ex-directeur du magazine TelQuel, qui passait pas loin me dira : "Bah alors, qu'est-ce-tu fais assis seul ?" J'avais envie de lui répondre que mes amis Bisounours m'avaient quitté. Mais je ne les blâmais pas pour autant. Il faut avoir du courage pour venir passer son baptême du feu en cette occasion historique. Ecoutant leur cœur, ils ont répondu présent. La prochaine fois, ils reviendront toujours aussi dignes mais avec une dose de courage en plus.
Horrible reflet, cassons le miroir !
J’entends ici et là les premiers cris de douleurs, je croise les premiers blessés, la tête en sang, le visage tuméfiés, d’autres s'éloignant en boitant la main sur une hanche. Les gyrophares des ambulances illuminent le ciel étoilé de Rabat. On dirait un champ de bataille. On se croirait à Waterloo avec les mroud composant l’armée de Napoléon. Une guerre déclenchée par les forces de l’ordre face à des manifestants pacifistes. Le Makhzen a réussi à éviter un rassemblement de militants Bisounours dont la seule arme était des slogans pleins de dignité. Mais il a perdu la guerre de la peur. Les violents assauts étaient autant de preuves que le pouvoir est tétanisé par la légitimité de ces jeunes. Cette jeunesse rassemblée devant le parlement a agi comme un miroir de cette lourde faute commise au plus haut sommet de l’Etat. Le reflet renvoyé est horrible. On a préféré casser le miroir.
Tous les Marocains ne peuvent que se reconnaitre dans le visage de ces jeunes. Comment être insensible devant cette femme qui crie devant les policiers sa peur. Sa peur suite à la libération d’un pédophile, gracié après 18 mois de prison alors qu’il aurait du y passer 30 ans. Comment ne pas être horrifié par la lèvre ensanglantée de Younès Lazrak, un animateur télé qui ne se sépare jamais de son large sourire. Comment ne pas être ému par les larmes de Nadia Lamlili, une journaliste au doigt ensanglanté, choquée par les coups de gourdins qu’elle venait de recevoir. Comment ne pas se reconnaitre dans les photos des dizaines de manifestants jeunes et moins jeunes, blessés au visage, à la tête, sur tout le corps.
Les Bisounours sont vos amis
Même certains policiers et mroud commençaient à douter de la légitimité de leur barbarie. Certains refusant de frapper, d’autres invitant discrètement les manifestants à s’éloigner. Ils sont pour l’instant encore peu nombreux nos partisans de la désobéissance civile. Mais le courage de ces jeunes qui sont peut-être leurs voisins, leurs amis, leurs cousins, la légitimité de leur cri, pourraient avec le temps faire changer les consciences. Les policiers comme les agents des forces auxiliaires ont des enfants, des neveux et nièces et ne peuvent rester indifférents à l’horreur de la libération d’un pédophile ayant violé 11 de nos enfants.
A l’heure où ces dizaines de concitoyens soignent leurs ecchymoses, il faut souligner que toutes les blessures physiques ne sont rien face à la blessure profonde infligée à un peuple, une douleur morale qui a provoqué l’indignation la plus remarquable depuis l’indépendance de notre pays. Alors même avec le visage couvert de sang, je voulais par ce texte vous dire tout simplement : on vous aime les Bisounours. Vous êtes la fierté de tout un peuple !
-----------------------------------------------------------------------
Le Maroc est mort, étouffé d’injustice
Hier j’ai compris que mon pays avait succombé à son coma juste avant de mourir.
Comme pour tous les comateux, j’avais encore l’espoir que ce Maroc malade agonisant se réveillera un jour de son état végétatif et connaîtra à nouveau la vie.
Hier encore j’espérai qu’il restait une once d’espoir pour que la justice regagne du terrain, que la sécurité des citoyens se généralise et que la société civile soit ce nouveau pouvoir qui exerce son poids et affirme son choix.
Mais à mon plus grand désarroi les choses ne se passèrent pas ainsi. Dès l’après midi les flics bloquaient les routes, interdirent aux gens de passer devant le lieu où devait avoir le sit-in et tabassaient les premiers arrivants vers 22 heures, histoire d’en finir vite, que la cause du combat ne soit pas entendue et qu’on n’en parle plus.
On était sortis pour dire non à la libération d’un monstre pédophile, pour dire non à l’injustice qui a été faite à ses 11 victimes dont une avait seulement 24 mois au moment des faits, on était sorti par humanité par empathie, par fraternité.
Ce que j’ai aussi vu hier, bien que les flics s’étaient chargés de disperser la foule et qu’ils étaient plus nombreux proportionnellement aux militants. La faute à ce faux et dangereux militantisme du clic, où l’on s’amuse à hurler et faire le beau sur facebook, pour se cacher chez soi dans son canapé juste au moment il faut sortir dans la rue.
Et je repense là à cette phrase de Brel où il dit « Ils sont plus de deux mille et je ne vois que deux », hier j’ai tristement chanté « Ils sont plus de 20.000 et je n’en voit que 1000″.
Une mobilisation monstre de notre part, n’aurait pas fait qu’il y ait 10 flics pour un manifestant.
Le plus grave dans l’histoire est de voir le silence des associations des droits des enfants, les artistes qui étaient sortis pendant la marche blanche contre la pédophilie et tous ceux qui s’étaient fait remarquer à la télé, histoire d’être vu pseudo-militant pour une cause digne.
Faites ressusciter ce pays !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire