Une veille femme du village d’Imider avait dit « Je jure sur celui qui a créé la terre et le ciel que nous ne quitterons pas ce camp tant que nous
n’avons pas obtenu nos droits et vaincu l’injustice et le mépris
que nous subissons depuis des décennies, ou devenir cendre que le vent
se chargera de dissiper sur cette montagne après que nos bourreaux nous
ont brûlés comme ils nous l’ont bien fait savoir. Nous ne sommes pas à
vendre ni à acheter, nous sommes libres et notre terre est tout ce que
nous possédons, en plus de notre dignité. Abbane est notre terre, et
nous sommes prêts à mourir pour elle. »
Avec ces mots qui raisonnent
dans ma tête comme un hurlement du désespoir, j’ai commencé à penser à
ce qui semblait être ma patrie, d’après ce qu’on m’avait enseigné sur
les bancs de l’école. A vrai dire, j’ai essayé de m’en inventer une
correspondant à mon idéal. Malheureusement, je ne vais pas parler
d’idéal car je n’en ai pas. Si ce n’est cette obsession m’habitant
gâchant mon sommeil. Mon pays, ce rêve lointain, avais-je répliqué à
quelqu’un un jour. Maintenant que je vois tout ce temps passé à essayer
de me trouver des explications pour ce tas de contrastes et de
paradoxes dans lesquelles ce pays traîne sans se rendre compte de
l’ampleur de sa propre déchéance.
Je ne parlerais pas de choses
que je ne connais pas, d’autres le feront à ma place s’ils en ont envie
bien sûr. Beaucoup auront déjà à me dire que je n’ai rien compris de la
vie, que je ne connais pas mon propre pays, et qu’il n’y a qu’eux qui
l’aiment et qui connaissent sa juste valeur. Ils pourront toujours me
sortir et régurgiter ces tonnes d’exploits, d’avancées démocratiques, de
justice, d’ouverture, du bon vivre, et un peuple qui danse et sourit
sans même connaître la raison. Moi je leur dis de venir passer le temps
d’un hiver sur cette montagne qui est la mienne : sans chauffage, ni
nourriture à volonté, ni médecin, ni, ni….ni vie tout court.
Tout ce que je sais, c’est que j’ai
ouvert les yeux quelque part au milieu des montagnes de l’Atlas. L’autre
Maroc si je puis l’appeler ainsi. A vrai dire, pendant toute notre
enfance, nous avons cru que le monde se limitait à ces quelques villages
qui entouraient ma vallée. Les gens ne se posaient pas trop de
questions sur la vie. On dirait qu’ils ont appris à vivre avec leur
destin comme si, au fond d’eux, ils ont compris que cela ne sert à rien
de compter sur des illusions révolues d’appartenir à une patrie qui ce
soucie de leur sort.
L’un des souvenirs qui se sont
incrustés dans mon esprit à ce jour, est celui du référendum du 1989
(si mes souvenirs et la date sont bons). J’étais encore enfant à cette
époque. Mon père (Dieu ait son âme) est rentré à la maison en tenant un
ramassis de bulletins de votes (bleus si mes souvenirs sont encore bons)
marqués par la mention « Non » (en arabe). Mon père, qui semblait avoir
pris la peine d’aller voter au nom de toute la famille (dont les tantes
et les oncles appariement), a pris le soin d’aller mettre ces bulletins
marqués « Non » dans un coin bien en sécurité. J’ai grandi depuis, et
avec un peu de recul, je comprends aujourd’hui le but de son geste.
C’était pour le seul moyen de prouver qu’il avait bien voté « Oui » et
pouvait toujours appuyer ses dires en montrant ces bulletins « Non ».
Par la « naïveté de son geste », mon père ne savait pas que les
responsables des bureaux de votes se sont déjà chargés du bon
«déroulement» de l’opération, la preuve -s’il en fallait une- c’est
qu’il avait encore le droit de rentrer chez lui. Le contraire était de
mise s’il avait déposé les « mauvais » bulletins dans l’urne.
Durant ce temps-là, la
patrie pour moi était mon petit village, je ne connaissais même pas
qu’il existait un autre monde hors de ma montagne. Sauf, qu’il y avait
un événement annuel qui nous faisait croire qu’il y en avait bien un
quelque part loin d’ici mais qui nous surveille. A l’époque, la fête du
trône (l’ancienne sous le règne du roi Hassan 2) représentait pour nous
l’occasion pour sortir des classes (si on peut appeler ces murs sans
fenêtres des classes), aller chanter au nom de choses dont nous ne
comprenons même pas le sens. Il faut savoir que les chants et les pièces
de théâtres qu’on jouait se faisaient en arabe, alors que nous venons à
peine d’apprendre quelques mots de cette langue (tout le monde ne
connaissait que le berbère avant d’aller à l’école). Je me rappelle que
j’avais joué le personnage d’un soit disant résistant palestinien dont
le nom est « Ahmad al3arabi ». Le comble de la chose, c’est que je
récitais ce que j’avais appris, faisant un long monologue au nom
d’Ahmad al3arabi, alors que je ne comprenais pas un mot de ce que je
disais. Peu importe, c’était l’occasion pour Hassan le berbère de
s’oublier un peu au gré des exigences et les circonstances du moment
pour aller libérer la Palestine avec des slogans et des hurlements. Ma
réplique était de clamer aux yeux du monde, que malgré le blocus et
l’oppression israélienne le corps d’Ahmad Al3arabi sera le bouclier qui
aura à protéger sa terre contre le colonisateur. J’avais très bien joué
Ahmad al3arabi d’après le témoignage de mon instituteur. Les officiels
(cheikhs, Mouqadem, maire de la commune, etc.) étaient tous là à
applaudir, les bouches grandes ouvertes dans leurs habits de clowns et
qui faisaient terroriser la foule qui a traversé des kilomètres pour
assister à la célébration. Des « Mkhazni » étaient là aussi, pour
« maintenir » l’ordre. Le souvenir d’un d’entre eux, que beaucoup
connaissaient, me revient. Il lui suffisait de retirer sa ceinture pour
que le silence gagne l’espace. C’est dire que les gens de ces contrés
ont été conditionné à un tel comportement pavlovien depuis le
règne du Pacha Elglawi puis la période dites « des années du plomb » qui
a fini par tuer le peu de fierté qui restait dans leurs âmes avachies.
Mon monde, et celui de tous
les enfants de cette montagne, se limitait à ce cycle absurde. Nous
étions les jouets d’un système dont on ne comprenait rien. On chantait
des gloires et des causes qui ont été construites et inventées sur notre
propre tragédie. Je chantais le drame d’Ahmed al3arabi alors que
j’avais besoin que quelqu’un puisse chanter ma propre tragédie et la
déchéance de ma montagne. On dansait alors que nos corps saignaient de
misère. On se mettait à sourire quand on nous demandait de le faire pour
montrer à cette lointaine capitale que le peuple d’ici est bien heureux
sous la bienveillance des saints et des cieux.
J’ai toujours vu les drapeaux rouges
flottaient devant les portes des maisons en pierre ou en terre battus.
Le Mouqadem du village faisait des tournées plusieurs fois par jours
pour s’assurer que chaque maison a bien mis un drapeau devant sa porte.
Les gens avaient une peur insupportable que les autorités débarquent et
les accusèrent de la pire des choses…..Ce qui est incroyable dans
l’histoire, c’est que tout ce monde subissait la tutelle sur sa
propre existence et même sur ses propres rêves s’il en avait.
Le fait que le Mouqadem se
voyait obligé de sillonner le village de bout en bout, confirme que les
villageois n’ont jamais compris l’utilité de ce genre de choses, vu que
cela ne faisait que les handicaper dans leur combat pour la survie de
tous les jours. Il suffisait que l’hiver frappe aux portes de leurs
villages pour qu’ils tombent dans l’oubli, encore et encore. Le temps
qu’il faudra au vent et au froid pour enterrer des âmes, avorter des
ventres, faire danser la mort sur le corps d’enfants, de femmes et
d’hommes qui n’ont de merci que les prières qui remplissent l’horizon
sans que personne semble les entendre. On reviendra l’année d’après pour
s’assurer qu’ils sont toujours au taquet pour chanter, danser pour des
causes, des cérémonies et des exploits qui ne les concernent ni du près
ni de loin. Cela dit, Ils n’ont rien de traîtres ou d’ennemies de la
patrie, mais ils ont juste d’autres préoccupations plus urgentes dans
leur quotidiens que de planter des drapeaux ou chanter pour des gloires
qui ne les concernent pas, à savoir : lutter pour la vie, affronter le
froid et la faim…
Le hasard de la vie et les circonstances
m’ont amené à partir vers les terres du nord pour y poursuivre mes
études. Mais ce sentiment frustrant d’appartenir à une patrie qui semble
ne pas nous porter le même sentiment me poursuit. Tout au long de mon
périple, j’ai toujours regardé ces citoyens du monde être fiers de leurs
pays et de leurs patries. C’est vrai qu’ils ont de quoi être fiers.
J’ai toujours essayé de passer ce sujet sous silence le plus longtemps
possible, car je n’avais rien d’intéressant à leur raconter sur ce qui
semblait être ma « patrie ». Heureusement que la plupart de ces gens
connaissaient Marrakech et Agadir et les sables dorés. Donc, avec un
sourire jaune, je leur faisais croire qu’ils connaissaient ce qui semblait
être chez moi mieux que moi. Ça flattait leurs égos, et moi ça
m’épargnait le fait de m’aventurer dans des monologues interminables et
surtout stériles.
J’ai toujours marché à la marge de cette pensée. Me dire que je suis toujours étranger partout. Me rassurer par l’illusion que je suis un citoyen du monde. Mais cette illusion s’effondre à chaque fois que je m’apprête à passer les frontières, car on me rappelle que je ne suis pas le fils du monde……mais le fils de ce nulle part qu’on situe sur la carte comme un machin qui s’appelle « Maroc ». Des moments de faiblesse me submergeant de temps à autres. Pourquoi ce sentiment douloureux de ne pas avoir une patrie (même pour ceux et celles qui y habitent)… ? Pourquoi cette haine du soi et de cette histoire absurde qu’on nous a servie depuis notre enfance… ? Pourquoi j’ai le sentiment que mon pays ne m’a jamais laissé l’occasion de l’aimer ? Pourquoi à chaque fois qu’on essaye d’oublier, une blessure resurgit de nulle part pour nous rappeler que ce pays n’appartient qu’à une poignée de personnes qui s’assure -au jour le jour- que le reste puisse s’éteindre dans le silence sans avoir le droit de vomir sa douleur ?… J’ai fini par comprendre que ma patrie ne peut être qu’une rumeur….et malgré tout ça je continue à y croire.
http://oumada.wordpress.com/2013/06/18/comme-si-la-patrie-nest-quune-rumeur/fb_comment_id=fbc_290424441059560_1261637_29059107437620#f
J’ai toujours marché à la marge de cette pensée. Me dire que je suis toujours étranger partout. Me rassurer par l’illusion que je suis un citoyen du monde. Mais cette illusion s’effondre à chaque fois que je m’apprête à passer les frontières, car on me rappelle que je ne suis pas le fils du monde……mais le fils de ce nulle part qu’on situe sur la carte comme un machin qui s’appelle « Maroc ». Des moments de faiblesse me submergeant de temps à autres. Pourquoi ce sentiment douloureux de ne pas avoir une patrie (même pour ceux et celles qui y habitent)… ? Pourquoi cette haine du soi et de cette histoire absurde qu’on nous a servie depuis notre enfance… ? Pourquoi j’ai le sentiment que mon pays ne m’a jamais laissé l’occasion de l’aimer ? Pourquoi à chaque fois qu’on essaye d’oublier, une blessure resurgit de nulle part pour nous rappeler que ce pays n’appartient qu’à une poignée de personnes qui s’assure -au jour le jour- que le reste puisse s’éteindre dans le silence sans avoir le droit de vomir sa douleur ?… J’ai fini par comprendre que ma patrie ne peut être qu’une rumeur….et malgré tout ça je continue à y croire.
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