Rabat, février 2016. Le
Maroc cinq ans après son «printemps», qui prit le nom de «mouvement du
20-Février». Et auquel les islamistes de Justice et Spiritualité (Al Adl
Wal Ihsane) prirent une part active. Fathallah Arsalane,
vice-secrétaire général de l’organisation et son porte-parole, fait le
point.
Comment votre mouvement a-t-il accueilli les événements dits du 20-Février?
Nous y avons participé dès le début car les revendications étaient les mêmes que les nôtres. A savoir principalement la lutte contre la corruption et contre le despotisme. Notre jeunesse s’est retrouvée en force et en première ligne dans le mouvement. Notre participation a imposé au régime de répondre aux revendications, mais cette réponse s’est révélée d’un niveau faible et nullement inspirée par la volonté de changement mais bien celle de maîtriser la crise. Nous avons mis fin à notre participation en décembre 2011 car nous avons acquis la conviction que le mouvement du 20-Février n’obtiendrait rien de plus du régime et qu’au contraire les risques de confrontations violentes s’aggravaient – et notre principe fondamental reste la non-violence, car la violence ne mène nulle part. Nous nous sommes alors tournés vers d’autres façons de protester.
Durant le 20-Février, vous avez eu des contacts avec les laïcs marocains, en avez-vous encore?
Bien sûr, ces contacts continuent et ils donnent des résultats fructueux sur le terrain. Par exemple, on les a récemment invités lors du troisième anniversaire de la mort de cheikh Yacine, fondateur du mouvement. Nous envisageons une plate-forme commune autour d’un consensus avec eux.
Le mouvement Justice et Spiritualité souhaite-t-il devenir un parti politique et participer aux élections?
Nous revendiquons le droit de nous transformer en parti politique depuis les années 80 pour défendre notre projet sociétal. C’est l’Etat qui refuse que nous devenions un parti indépendant, exigeant que les partis jouent dans un jeu dont le régime détermine seul les règles. Nous refusons ces diktats, bien entendu. Nous sommes patients, nous attendons le moment où tout le Maroc voudra le changement.
Quel est ce projet que vous portez?
Il se résume dans les deux mots : justice et spiritualité. Nous prônons la démocratie et l’alternance, la participation, le respect de la diversité. Par le mot spiritualité, dans une connotation musulmane, nous montrons notre intérêt pour l’homme, son bien-être, l’esprit de fraternité, la tolérance.
En quoi consiste votre action concrètement?
Nous fondons notre action sur l’éducation qui promeut nos principes et nous disposons d’un « cercle politique » au sein du mouvement, qui est comme une structure de parti politique; nous participons aussi aux manifestations qui expriment les revendications populaires. Nos militants appartiennent à des associations et à des syndicats. Nous avons pratiqué l’aide sociale mais l’Etat veut nous en empêcher et parfois même nous concurrence sur le terrain. Nous sommes présents dans toutes les couches de la population et dans toutes les régions ; les gens nous connaissent, connaissent notre crédibilité, nous les soutenons. D’autant qu’ils savent l’échec du régime et des partis politiques pour remédier à la situation socio-économique difficile qu’ils vivent, alors que le régime nous opprime.
Vos détracteurs vous accusent d’avoir un comportement de «secte» secrète…
C’est ce que le régime prétend depuis longtemps en nous maintenant dans l’ombre, alors que nous n’avons de cesse de chercher la lumière pour dire ce que nous sommes. Nos revues et journaux sont empêchés de sortir. Rien ne peut justifier le sort qui nous est réservé, nous n’avons rien à cacher, nous condamnons la violence et prônons l’Etat de droit, nos écrits le prouvent.
Combien de militants avez-vous?
Vu notre situation et pour des raisons de sécurité, on ne peut pas déclarer de chiffres. Quand nous organisons des manifestations, les gens viennent nombreux et dépassent ceux qui font partie de nos structures. Celles-ci existent juste au Maroc même si à l’étranger nous partageons nos idées avec d’autres.
Que pensez-vous du djihadisme qui tourne au terrorisme?
Un verset du Coran dit : « On ne t’a envoyé que pour être la tolérance face à l’Humanité ». Ces actes de barbarie doivent être condamnés, ils n’ont rien à voir avec l’islam. Leurs auteurs ne sont qu’une petite minorité dans la société musulmane. Les Occidentaux savent que les musulmans sont les premières victimes du terrorisme. Au Maroc, notre mouvement est attaqué par les extrémistes qui nous trouvent trop modérés.
Comment expliquez-vous que des Belges ou des Français se lancent dans le djihad violent?
Il est important de signaler que la majorité de ces jeunes ne connaissent pas l’arabe. Ni ne sont des musulmans pratiquants, ils ignorent leur religion et manquent de spiritualité. Leur comportement montre l’échec de l’éducation reçue en Occident. Pourquoi en arrivent-ils là ? Ils sont marginalisés, ils ont souvent versé dans la délinquance et vivent en marge de la société.
Que pensez-vous du salafisme wahhabite – un islam ultra conservateur – répandu à travers le monde grâce aux deniers saoudiens?
La mission des centres de culte dans le monde est de faciliter les rencontres et la prière des musulmans. Mais dans certains cas, en raison d’un manque de contrôle, certains extrémistes en ont profité pour faire de la propagande sur leur manière d’interpréter l’islam.
Et que pensez-vous du PJD, parti islamiste marocain au gouvernement?
Que peuvent-ils faire sur la scène politique marocaine ? La question n’est pas de savoir qui fait partie du gouvernement, mais bien qui gouverne. Ce n’est pas le gouvernement ! Islamistes modérés ou pas. C’est l’entourage royal qui gouverne. On l’a encore vu dernièrement dans les cas de grandes décisions en matière économique ou d’enseignement. Si nous participions au gouvernement dans les mêmes conditions, nous démontrerions la même impuissance.
Vous posez-vous en républicains?
Nous ne nous présentons pas en alternative unique, nous sommes convaincus que la situation critique que vit le Maroc nécessite la mobilisation et la collaboration de tous les partenaires. En Occident, royautés et républiques existent dans des contextes démocratiques, la forme importe peu, c’est le contenu qui compte. Nous souhaitons que la justice règne, que les responsables aient des compte à rendre, que le peuple élise ses représentants démocratiquement, que le régime garantisse l’égalité des droits.
Mais vous contestez cette monarchie?
A de rares exceptions près, on voit dans le monde musulman des régimes monarchiques héréditaires et despotiques, qui règnent par l’épée et la violence. Nous disons qu’un dirigeant doit être élu et doit rendre des comptes. Ce n’est pas propre à notre mouvement, c’est dans la conception musulmane de la chose publique.
Propos recueillis à Rabat le 10 février 2016 par BAUDOUIN LOOS
Comment votre mouvement a-t-il accueilli les événements dits du 20-Février?
Nous y avons participé dès le début car les revendications étaient les mêmes que les nôtres. A savoir principalement la lutte contre la corruption et contre le despotisme. Notre jeunesse s’est retrouvée en force et en première ligne dans le mouvement. Notre participation a imposé au régime de répondre aux revendications, mais cette réponse s’est révélée d’un niveau faible et nullement inspirée par la volonté de changement mais bien celle de maîtriser la crise. Nous avons mis fin à notre participation en décembre 2011 car nous avons acquis la conviction que le mouvement du 20-Février n’obtiendrait rien de plus du régime et qu’au contraire les risques de confrontations violentes s’aggravaient – et notre principe fondamental reste la non-violence, car la violence ne mène nulle part. Nous nous sommes alors tournés vers d’autres façons de protester.
Durant le 20-Février, vous avez eu des contacts avec les laïcs marocains, en avez-vous encore?
Bien sûr, ces contacts continuent et ils donnent des résultats fructueux sur le terrain. Par exemple, on les a récemment invités lors du troisième anniversaire de la mort de cheikh Yacine, fondateur du mouvement. Nous envisageons une plate-forme commune autour d’un consensus avec eux.
Le mouvement Justice et Spiritualité souhaite-t-il devenir un parti politique et participer aux élections?
Nous revendiquons le droit de nous transformer en parti politique depuis les années 80 pour défendre notre projet sociétal. C’est l’Etat qui refuse que nous devenions un parti indépendant, exigeant que les partis jouent dans un jeu dont le régime détermine seul les règles. Nous refusons ces diktats, bien entendu. Nous sommes patients, nous attendons le moment où tout le Maroc voudra le changement.
Quel est ce projet que vous portez?
Il se résume dans les deux mots : justice et spiritualité. Nous prônons la démocratie et l’alternance, la participation, le respect de la diversité. Par le mot spiritualité, dans une connotation musulmane, nous montrons notre intérêt pour l’homme, son bien-être, l’esprit de fraternité, la tolérance.
En quoi consiste votre action concrètement?
Nous fondons notre action sur l’éducation qui promeut nos principes et nous disposons d’un « cercle politique » au sein du mouvement, qui est comme une structure de parti politique; nous participons aussi aux manifestations qui expriment les revendications populaires. Nos militants appartiennent à des associations et à des syndicats. Nous avons pratiqué l’aide sociale mais l’Etat veut nous en empêcher et parfois même nous concurrence sur le terrain. Nous sommes présents dans toutes les couches de la population et dans toutes les régions ; les gens nous connaissent, connaissent notre crédibilité, nous les soutenons. D’autant qu’ils savent l’échec du régime et des partis politiques pour remédier à la situation socio-économique difficile qu’ils vivent, alors que le régime nous opprime.
Vos détracteurs vous accusent d’avoir un comportement de «secte» secrète…
C’est ce que le régime prétend depuis longtemps en nous maintenant dans l’ombre, alors que nous n’avons de cesse de chercher la lumière pour dire ce que nous sommes. Nos revues et journaux sont empêchés de sortir. Rien ne peut justifier le sort qui nous est réservé, nous n’avons rien à cacher, nous condamnons la violence et prônons l’Etat de droit, nos écrits le prouvent.
Combien de militants avez-vous?
Vu notre situation et pour des raisons de sécurité, on ne peut pas déclarer de chiffres. Quand nous organisons des manifestations, les gens viennent nombreux et dépassent ceux qui font partie de nos structures. Celles-ci existent juste au Maroc même si à l’étranger nous partageons nos idées avec d’autres.
Que pensez-vous du djihadisme qui tourne au terrorisme?
Un verset du Coran dit : « On ne t’a envoyé que pour être la tolérance face à l’Humanité ». Ces actes de barbarie doivent être condamnés, ils n’ont rien à voir avec l’islam. Leurs auteurs ne sont qu’une petite minorité dans la société musulmane. Les Occidentaux savent que les musulmans sont les premières victimes du terrorisme. Au Maroc, notre mouvement est attaqué par les extrémistes qui nous trouvent trop modérés.
Comment expliquez-vous que des Belges ou des Français se lancent dans le djihad violent?
Il est important de signaler que la majorité de ces jeunes ne connaissent pas l’arabe. Ni ne sont des musulmans pratiquants, ils ignorent leur religion et manquent de spiritualité. Leur comportement montre l’échec de l’éducation reçue en Occident. Pourquoi en arrivent-ils là ? Ils sont marginalisés, ils ont souvent versé dans la délinquance et vivent en marge de la société.
Que pensez-vous du salafisme wahhabite – un islam ultra conservateur – répandu à travers le monde grâce aux deniers saoudiens?
La mission des centres de culte dans le monde est de faciliter les rencontres et la prière des musulmans. Mais dans certains cas, en raison d’un manque de contrôle, certains extrémistes en ont profité pour faire de la propagande sur leur manière d’interpréter l’islam.
Et que pensez-vous du PJD, parti islamiste marocain au gouvernement?
Que peuvent-ils faire sur la scène politique marocaine ? La question n’est pas de savoir qui fait partie du gouvernement, mais bien qui gouverne. Ce n’est pas le gouvernement ! Islamistes modérés ou pas. C’est l’entourage royal qui gouverne. On l’a encore vu dernièrement dans les cas de grandes décisions en matière économique ou d’enseignement. Si nous participions au gouvernement dans les mêmes conditions, nous démontrerions la même impuissance.
Vous posez-vous en républicains?
Nous ne nous présentons pas en alternative unique, nous sommes convaincus que la situation critique que vit le Maroc nécessite la mobilisation et la collaboration de tous les partenaires. En Occident, royautés et républiques existent dans des contextes démocratiques, la forme importe peu, c’est le contenu qui compte. Nous souhaitons que la justice règne, que les responsables aient des compte à rendre, que le peuple élise ses représentants démocratiquement, que le régime garantisse l’égalité des droits.
Mais vous contestez cette monarchie?
A de rares exceptions près, on voit dans le monde musulman des régimes monarchiques héréditaires et despotiques, qui règnent par l’épée et la violence. Nous disons qu’un dirigeant doit être élu et doit rendre des comptes. Ce n’est pas propre à notre mouvement, c’est dans la conception musulmane de la chose publique.
Propos recueillis à Rabat le 10 février 2016 par BAUDOUIN LOOS
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