Emilien Urbach, 19/2/2016
La
préfecture a laissé jusqu’à la fin de la semaine pour vider la moitié
de la « jungle », avant son démantèlement. Les associations dénoncent
une politique de la terre brûlée.
Calais, envoyé spécial.
« Ils ont imposé ce bidonville aux réfugiés, il y a à
peine dix mois, et aujourd’hui, ils veulent tout détruire : les
habitations de fortune et les infrastructures mises en place par les
associations. » Maya, bénévole de l’Auberge des migrants, d’ordinaire si
combative, n’arrive pas à cacher son abattement. Dans le bidonville
créé en avril 2015, à l’initiative du ministre de l’Intérieur, Bernard
Cazeneuve, et de la municipalité de Calais, l’heure est à la
stupéfaction.
Jeudi matin, la neige tombée à l’aube tapisse les toits de
bâches et les chemins boueux de la « jungle ». Sur les baraques, des
affichettes exposent le nouveau plan des autorités. En dépit de la
froidure hivernale, Fabienne Buccio, préfète du Pas-de-Calais, a lancé
l’ultimatum : la moitié du site devra être vidée de ses habitants d’ici à
la fin de la semaine. Pour la préfecture, ce nouveau coup de force
concerne 800 à 1 000 personnes. Les associations présentes au quotidien
dans le campement évoquent, pour leur part, plus de 2 000 âmes, dont «
plusieurs centaines d’enfants », obligées de tout abandonner. Elles
viennent de remporter une première victoire puisque l’école laïque du
chemin des dunes ne sera pas rasée.
« Nous refusons de participer à ça »
La préfecture voulait s’appuyer sur la collaboration des
associations, mais pour ces dernières, la coupe est pleine. Six d’entre
elles ont adressé une lettre ouverte à Bernard Cazeneuve, lui demandant
de surseoir à l’évacuation. « Lorsqu’on nous a demandé d’aider à la
création d’une bande de 100 mètres entre l’autoroute et les premières
habitations, on a joué le jeu, tempête Maya. Il s’agissait simplement de
déplacer quelques cabanes vers d’autres recoins du camp. Là, c’est de
la destruction pure et simple. Nous refusons de participer à ça. »
Si le plan de la préfète est exécuté, la semaine
prochaine, un théâtre, plusieurs lieux de culte, le centre de
vaccination, le centre d’accueil juridique, l’Ashram Kitchen, principal
lieu de distribution de repas chauds à l’intérieur du bidonville, le
centre réservé aux femmes, celui dédié aux enfants, devraient
disparaître. En plus des habitats, la zone sur laquelle Fabienne Buccio
s’apprête à envoyer ses bulldozers comprend la quasi-totalité des lieux
bâtis par les bénévoles venus de toute l’Europe pour pallier les
manquements de l’État.
La préfecture promet que des solutions dignes seront
proposées aux personnes délogées. Elle met en avant un parc de
containers aménagés en dortoirs. Mais seules 400 places y restent
disponibles. Et ce centre d’accueil provisoire suscite de nombreuses
réticences dues au manque de transparence sur l’utilisation des données
personnelles, notamment biométriques, obligatoirement collectées pour y
avoir accès. L’autre alternative soutenue serait le placement dans un
des centres d’accueil et d’orientation ouverts cet automne sur
l’ensemble du territoire national. Mais ces lieux sont, pour la plupart,
des centres de vacances fermés en basse saison et qui reprendront leur
fonction initiale dès le printemps. Ils s’apparentent, de plus, à de
véritables zones de triage, d’où de nombreux exilés, enregistrés à leur
arrivée en Europe dans un autre pays, ont été reconduits à la frontière,
selon les prérogatives du règlement de Dublin III. Les dernières
statistiques sur ces centres dits de répit établissent que 54 % des
personnes en attente de placement dans l’un d’entre eux sont passibles
d’expulsion dans le cadre de la « procédure Dublin ».
Dans le bidonville, Maya avoue son impuissance face à
l’indignité des autorités : « On n’arrête pas d’expliquer que si les
bulldozers arrivent, toute réaction violente ne servirait à rien et
serait contre-productive. Mais ici, les gens sont à bout. »
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