19 Fév 2016
Posté par Sauvons l'Europe
Diplômé de l’EHESS, Pierre Henry est depuis 1997 le
Directeur général de l’association France terre d’asile qui a pour but
d’accompagner les demandeurs d’asile installés en France et de
promouvoir la tradition française en matière de droit d’asile.
L’association gère notamment plus d’une trentaine de centres d’accueil
pour demandeurs d’asile (CADA). Pierre Henry a été l’un des acteurs du
dénouement de l’affaire de Cachan en 2006. Depuis le début de la crise
des réfugiés, il est intervenu dans plusieurs médias pour dénoncer
l’inaction des dirigeants européens. Il a accepté de répondre aux
questions de Sauvons l’Europe.
Quels sont les faits à l’origine de l’accélération migratoire que nous connaissons depuis septembre 2015 ?
Deux grands évènements sont à l’origine de ce phénomène migratoire.
Tout d’abord, nous avons assisté à la dislocation de l’Etat libyen suite
à la chute du colonel Kadhafi consécutive à l’intervention militaire
d’une coalition menée par la France et le Royaume-Uni, intervention qui,
soit dit en passant, a outrepassé le mandat de l’ONU. Je n’avais bien
entendu aucune sympathie pour le dictateur, mais il faut bien remarquer
que l’après-Kadhafi n’a pas été suffisamment pensé. Or, la Libye jouait
le rôle de « tampon » entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe, rôle
d’ailleurs encouragé par les pays et les institutions européennes. On
peut notamment évoquer la fameuse phrase de M. Berlusconi suite à la
signature du Traité d’amitié et de coopération entre l’Italie et la
Libye : « Nous aurons ainsi plus de pétrole et moins de clandestins ». A
l’heure actuelle, la Libye n’est plus en mesure d’assurer ce rôle
tampon. En outre, le prolongement de la guerre civile en Syrie et la
désagrégation de l’Irak a motivé beaucoup d’habitants de ces pays,
menacés de mort, à fuir.
A-t-on une idée du nombre de personnes concernées par les déplacements ?
Aujourd’hui, il arrive entre 1500 et 2000 personnes chaque jour en
Grèce. Pour vous donner un ordre d’idée, sur 25 millions de Syriens,
plus de 12 millions ont été déplacés, dont 4 millions en dehors de la
Syrie. La plupart de ces Syriens résident aujourd’hui en Turquie, au
Liban et en Jordanie. Seule une petite partie tente de gagner l’Europe.
Comment les institutions européennes ont-elles géré la situation ?
D’abord, ce que l’on peut constater, c’est que la situation était
largement prévisible. L’Europe au sens large, c’est-à-dire les États et
les institutions, a donc globalement pêché par manque d’anticipation. La
crise libyenne n’est pas apparue du jour au lendemain. Les dirigeants
de notre continent ont aussi considéré que Bachar Al-Assad tomberait dès
les premiers mois du conflit, ils n’ont pas perçu les risques
d’enlisement. Ensuite, sur la question migratoire, l’Europe est
paralysée par les contradictions des pays qui la composent. Le 1er
naufrage d’un navire transportant des migrants a eu lieu en 2013.
Depuis, il y a eu 5 sommets européens qui n’ont concrètement décidé de
rien. Le 23 septembre 2015, l’UE s’est engagée à relocaliser 160 000
réfugiés. Aujourd’hui, seuls 500 l’ont été. Les institutions européennes
sont totalement impuissantes en dépit de certaines bonnes volontés.
Justement, comment les États membres de l’UE ont-ils fait face à l’afflux de migrants ?
La situation est fort préoccupante. Les pays de l’Est doivent enfin
comprendre que l’adhésion à l’UE suppose l’adhésion à un système de
valeurs et pas simplement à une zone de libre-échange. En Hongrie,
l’armée a été autorisée à tirer sur les migrants. La Slovaquie a annoncé
qu’elle ne pouvait accueillir que des réfugiés de confession
chrétienne, sous-entendu, par hostilité aux réfugiés musulmans. Chaque
pays y est allé de sa barrière, mais de manière désordonnée. Au-delà des
pays de l’ancien bloc de l’Est, le Danemark a voté la spoliation des
biens des réfugiés. Il s’agit là de graves atteintes aux droits humains.
Heureusement, en face, des pays comme l’Allemagne et la Suède ont
plaidé pour un accueil organisé des réfugiés. On peut prêter à Angela
Merkel toutes les arrière-pensées que l’on veut, mais l’Allemagne traite
les demandeurs d’asile conformément à sa constitution et l’annonce
d’investissements de l’ordre de 10 milliards d’euros pour organiser cet
accueil est une bonne chose pour l’économie allemande et agit comme un
« mini plan de relance ». A l’inverse, le gouvernement socialiste
français est tétanisé par les enjeux internes et notamment la pression
du Front national. Lorsque le couple franco-allemand promeut ainsi deux
politiques différentes, il est difficile de demander, et d’imposer, au
reste de l’Europe une ligne unitaire.
Les opinions publiques européennes sont-elles prêtes à soutenir des politiques d’accueil des réfugiés ?
Il y a d’abord eu une vive émotion provoquée par les naufrages de
migrants et notamment l’épisode du jeune Aylan. Les opinions publiques
pouvaient alors entendre un discours sur l’accueil des réfugiés.
Cependant, elles se sont lassées devant l’impuissance des Etats de l’UE à
gérer de manière cohérente l’afflux de réfugiés. Ensuite, il y a eu les
attentats de novembre 2013 qui sont venus contrecarrer cette vague de
sympathie à l’égard des migrants. On a provisoirement oublié que des
drames humains avaient lieu aux portes de l’Europe. Mais au-delà des
émotions, le rôle du politique est d’éclairer les citoyens par rapport
aux grands enjeux. Ce n’est pas d’épouser les émotions fabriquées par
des chaines d’infos continues. On doit pouvoir dire à nos concitoyens
que l’accueil des réfugiés n’est pas contradictoire avec le maintien de
notre sécurité.
Une pétition proposant de
décerner le prix Nobel de la paix aux habitants des îles grecques qui
accueillent en premier lieu les réfugiés provenant de Syrie a recueilli
près de 600 000 signatures, qu’en pensez-vous ?
Il est clair que ceux qui sont confrontés aux migrants et qui les
aident sont remarquables. En Grèce comme ailleurs, les solidarités
s’exercent et c’est heureux. Cependant, il ne faut pas oublier que
partout en Europe, les populismes progressent, à l’image des néo-nazis
d’Aube dorée en Grèce, ce qui peut paralyser les gouvernements. Le
Politique a donc une responsabilité première, sa parole est primordiale
pour créer les conditions de la solidarité et ils doivent en outre
mettre en place les politiques adaptées pour éviter le développement de
sentiments anti-immigrés.
Le tableau est donc assez sombre, concrètement, que faudrait-il faire ?
Il est nécessaire de réformer la convention de Dublin qui fait peser
un poids excessif sur les pays de premières arrivées et donc notamment
sur la Grèce. Les pays aux frontières de l’UE doivent assurer la
sécurité pour l’ensemble des pays de l’Union. Ce serait beaucoup plus
pertinent que d’assigner la Grèce en procédure d’infraction vis-à-vis de
l’accord de Schengen comme l’a récemment fait la Commission européenne.
Il est à mon sens légitime de savoir qui l’on accueille. C’est
pourquoi, il faudrait dans l’idéal créer une force, financée par
l’ensemble des pays de l’Union, d’intervention et de protection aux
frontières de l’Europe afin de secourir les migrants et d’éviter
l’anarchie qui règne actuellement. Il est aussi légitime d’installer des
« hot spots » aux frontières de l’UE pour vérifier les identités et
organiser la répartition des réfugiés à l’intérieur du continent. Mais
cela demande des moyens. Ainsi, on s’apercevra que l’accueil des
réfugiés n’est absolument pas contradictoire avec la sauvegarde de notre
sécurité ! Je veux vraiment insister sur ce point.
Cet épisode relance les doutes sur la construction européenne, comment dépasser ces doutes ?
Il est évident que les interrogations sur l’intérêt de la
construction européenne vont continuer. Pour relancer l’Europe, il
faudrait à mon sens créer une Europe de projets autour d’intérêts
communs et à nombre variable. Il nous faut des pays et des projets
moteurs à l’échelle du continent. L’Europe à 28 est bloquée, nous sommes
allés trop vite dans l’élargissement.
Propos recueillis par Mehdi Mahammedi-Bouzina
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