Par Nadir Dendoune, 16/2/2015
15 personnes parmi les 33 Chibanis parisiens menacés d’expulsion, ont reçu des propositions de logement (Photo de Jean-Michel Sicot)
15 personnes parmi les 33 Chibanis parisiens menacés d’expulsion, ont reçu des propositions de logement (Photo de Jean-Michel Sicot)
Il fait assez bon à Paris ce dimanche 15
février. Il est 20h. Au Mk2 de Bastille, des badauds, bobos pour la plupart,
sortent du cinéma l'air heureux. A quelques centaines de mètres de là, au 73
rue du Faubourg Saint-Antoine, d'autres personnes, de vieux retraités
maghrébins ont eux aussi le sourire aux lèvres.
Au 1er étage, Layachi, Djamel, Saïd, Youcef,
Mohamed et Achour, trinquent ensemble, en écoutant Malika Domrane, une artiste
algérienne qui chante en kabyle. Leur bonheur fait plaisir à voir. Il y a quelques
jours, tous les locataires de cet hôtel meublé, 33 personnes au
total, menacés
d'expulsion depuis juin dernier (voir
également notre article de décembre) ont reçu un courrier rédigé
conjointement par la préfecture et la mairie de Paris, leur indiquant que
« conscients de la situation difficile à laquelle vous devez faire face, après
de nombreuses années de travail en France et de vie quotidienne dans cet
hôtel meublé dégradé et compte tenu de votre situation d'occupant de bonne
foi, la Ville de Paris et l'Etat ont décidé de vous proposer un
logement social à Paris ».
Espoir
Cette lettre précise également que toutes « les
propositions de relogement seront faites d'ici le 30 juin 2015 », date à
laquelle l'hôtel doit être vidé de tous ses occupants. Ces derniers jours,
quinze personnes ont d'ailleurs reçu une offre de logement. « Pour
la première fois depuis plusieurs mois, on n'a plus peur »,
s’enthousiasme Layachi Ait Baziz, 65 ans, qui partage depuis10 ans une
minuscule chambre de 10m2, sans douche et sans toilette, au 2ème étage avec
Said Allouche, un vieux monsieur de 82 ans. Layachi fait même partie des cinq
locataires qui ont pu visiter leur prochain appartement. Le sien est à deux pas
de la bibliothèque François Mitterand, dans le 13ème arrondissement de Paris.
Et après l'avoir visité, vendredi dernier, le retraité est aux anges. « En face
de chez moi, il y a le tramway », nous explique-t-il. « Je suis au deuxième
étage, il y a un ascenseur. C'est le grand luxe »,
continue-t-il. Layachi n'aura plus à « descendre les deux étages pour aller aux
toilettes ». Et puis, « je pourrais aussi inviter des gens », ajoute-t-il,
sourire aux lèvres.
Solidarité
Le retraité devrait recevoir ses clefs dans « un
mois environ ». Mais pas question pour lui « d’emménager sans que tous les
autres aient leur logement ». « Nous avons commencé cette aventure ensemble, nous
irons jusqu’au bout ensemble », rappelle Layachi. Car c’est grâce
à cet état d’esprit que les Chibanis des 73 rue du Faubourg Saint-Antoine ont
pu faire valoir leurs droits. « Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu
autant de gens lutter de cette manière », rappelle Jean-Baptiste Eyraud,
militant historique du Droit Au Logement (DAL), une association qui a été très
vite aux côtés des Chibanis.
Petit rappel des faits
En juin dernier, la gérante des lieux demande aux
retraités maghrébins de faire leurs valises. Propriété de la Société
Immobilière de Seine (SIS), leur immeuble doit être détruit.
Le Tribunal de grande instance de Paris en a décidé ainsi. En fait, la SIS
demandait depuis plusieurs mois que le lieu soit vidé de ses occupants
(certains parlent de gros projet immobilier qu’elle aimerait construire à la
place de cet hôtel miteux), mais les locataires n’étaient pas au courant. La
gérante avait tenu le secret pour continuer à empocher les loyers.
« Nous ne savions pas qu’il existait
autant de gens comme ça en France »
Pour les Chibanis, tout ceci paraît tellement
loin. Aujourd’hui, ils veulent juste retenir le bel élan de solidarité autour
de leur combat. « Nous ne savions pas qu’il existait autant de gens comme ça en
France », dit ému Achour Amarouche, 69 ans, au 73 rue du Faubourg Saint-Antoine
depuis 1980. « Le Dal a été formidable, mais nous avons également eu droit à la
visite de parfaits inconnus. Des citoyens qui venaient nous apporter du
réconfort, », continue Achour. « Même les politiques, notamment Ian Brossat,
l’élu au logement, ont tenu parole. Ça nous avait vraiment fait
chaud au cœur. On se sent aujourd’hui moins seuls ». Mais cette «
triste histoire » a aussi permis de tisser des liens entre des gens qui
vivaient ensemble mais ne se connaissaient à peine. « Avant la menace
d’expulsion, on se disait bonjour-au-revoir, chacun menait sa vie de son côté
», se souvient Youcef Ferkous, 72 ans, 16 ans dans cet hôtel. «
Aujourd’hui, nous sommes devenus plus que des frères de lutte. De
vrais amis », renchérit-il. « Quand on a su qu’on allait être
expulsé, je n’aurais jamais pensé à une telle issue. La vie est formidable
».
Malgré ces bonnes nouvelles, il y a
tout de même de la nostalgie tout autour de ces murs. Peut-être
aussi la peur de se retrouver seul de nouveau. « On
continuera tous à se voir », promet Mohamed en levant son verre. « Oui, il
faut prendre ça comme un nouveau départ et de toute façon, on gardera toujours
le contact», renchérit de son côté Youcef. Il est 23h. Guerouabi, le chanteur
chaabi a remplacé Malika Domrane. Tous sont désormais debout et dansent
heureux, le verre à la main…
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