Par Mathieu Viviani, 3/2/2015
En mai 2013, l’ACAT assignait en justice le chef du contre-espionnage du Maroc pour « complicité de torture
» sur deux citoyens franco-marocains. Le 20 février 2014 voit ce haut
fonctionnaire de sécurité convoqué par la Justice française. Cet
événement déclenche une véritable brouille diplomatique entre les deux
pays. Le 25 février 2014, la Justice du royaume chérifien décide
également de riposter contre l’ONG en déposant plainte pour « diffamation et injure publique ». Hélène Legeay, responsable des programmes Maghreb de l’ACAT, livre sa réaction à Altermondes.
L’Action chrétienne pour l’abolition de la torture (ACAT) a reçu fin janvier 2015 une convocation de la Justice marocaine dans le cadre d’une plainte pour « diffamation et injure publique ». Une offensive juridique du Maroc qui fait suite à une plainte pour « complicité de torture
» que l’ONG avait déposé en mai 2013 contre Abdellatif Hammouchi, chef
du contre-espionnage marocain (DGST).
Fin février 2014, ce dernier avait
été convoqué par la justice française, mais n’avait pas donné
suite. Jugée inadmissible par la chancellerie marocaine, cette
convocation avait provoqué un véritable incident diplomatique entre la
France et le Maroc. Le royaume chérifien avait alors décidé de suspendre
ses accords de coopération judiciaire avec l’État français. Bien que
les deux pays aient officiellement rétabli cette coopération le 31
janvier 2015, le Maroc poursuit sa procédure judiciaire contre l’ACAT
ainsi qu’Adil Lamtalsi et Ennaama Asfari, deux victimes de la torture
marocaine ayant porté plainte aux côtés de l’association. Cette plainte
du Maroc n’a pour celle-ci qu’un seul et unique but : « faire taire les victimes de torture et les ONG qui luttent contre sa pratique dans ce pays ».
Comment avez-vous réagi suite au dépôt de plainte du ministère de l’Intérieur marocain à l’encontre de l’ACAT ?
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Hélène Legeay, ACAT |
Hélène Legeay : « Nous avons été en premier temps surpris de
voir l’ACAT poursuivie en justice en sa qualité d’ ONG. Nous sommes
parallèlement inquiets pour les victimes que nous soutenons dans leur
combat pour dénoncer la torture au Maroc. Je pense notamment à Adil
Lamtalsi, lui aussi visé par ce dépôt de plainte. Il encourt en
effet le risque d’un nouvel emprisonnement. D’un autre côté, cette
plainte ne nous étonne pas non plus. L’an dernier, nous avions déjà
constaté la mise en détention de citoyens marocains suite à leur
dénonciation en justice d’actes de torture. Je pense notamment à Wafaâ
Charaf, qui purge actuellement une peine de deux ans de prison au Maroc.
»
Le ministère de l’Intérieur marocain ainsi que certains médias
proches du pouvoir vous reprochent un certain parti pris contre
l’intégrité territoriale du Maroc. Que répondez-vous à cela ?
H.L : « Ce reproche nous a été fait suite à une autre plainte
que nous avions déposé au nom d’un défenseur des droits de l’homme
sahraoui. La question de la reconnaissance de cette communauté au
Maroc a toujours été très sensible. Étant donné que nous dénonçons
régulièrement la violation de ses droits fondamentaux, nous ne sommes
pas vraiment surpris par cette réaction. Des médias marocains nous ont
même accusé d’être les “sbires” des services secrets algériens, ou
encore d’évangéliser le Maroc. Des allégations fantaisistes que nous
rejetons bien évidemment, mais qui nous sont habituelles à chaque fois
que nous dénonçons des faits qui dérangent le gouvernement marocain. »
Le ministre de la Justice marocain a reconnu à mi-2014 l’existence
de la torture dans le pays mais a toutefois assuré qu’il s’agissait de
pratiques isolées dont « l’État marocain n’était pas responsable ». Qu’en pensez-vous ?
H.L : « Il y a une sorte de double discours du gouvernement
marocain. Cela est dû au fait que ce pays est très soucieux de l’image
qu’il renvoie à l’international. D’un côté, il entretient une posture de
“parent bon” des droits de l’homme en menant régulièrement des
campagnes de communication sur le sujet. Par exemple, le pays est très
représenté au sein du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de
l’homme (HCDH). Deux mois après l’incident diplomatique entre le Maroc
et la France en février 2014, le gouvernement marocain a lancé avec
d’autres pays une initiative appelant la communauté internationale à
ratifier la Convention contre la torture des Nations unies. Mais tout
cela vise à dissimuler une réalité que le royaume cautionne bel et bien :
la torture clandestine pratiquée par ses services de sécurité
intérieure. »
Quelle sera la suite de votre action face à la plainte de la Justice marocaine contre l’ACAT ?
H.L : « Nous allons continuer à faire ce que l’on a fait
jusqu’à présent. À savoir, soutenir et défendre avec pugnacité les
victimes d’actes de torture. Dans le cas présent, cela passe par une
action justice contre les auteurs de ces crimes. Pour ce qui est de
notre défense juridique, nous travaillons en ce moment à la meilleure
des réponses à donner contre cette assignation en justice du Maroc. »
http://www.altermondes.org/acat-maroc-plainte-torture/
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