"Indignez-vous" disait Stéphane Hessel. Il fut
davantage écouté en Espagne qu'en France. Les raisons ne manquent
pourtant pas dans notre cher Hexagone. Personnellement, il y en a une
dernière qui m'étouffe. Chacun a son point-limite au-delà duquel ça ne
passe plus: je l'ai atteint.
Voilà : un homme des services secrets marocains, M. Hammouchi, avait
été convoqué en février 2014, alors qu'il était en France, pour une
audition par un juge d'instruction français; c'était dans le cadre d'une
enquête sur tortures et complicités de tortures (rappelons-le, des
crimes contre l'humanité) perpétrées au Maroc sur des citoyens
franco-marocains, et sur l'époux sahraoui d'une citoyenne française.
Vis-à-vis de crimes contre l'humanité, les plus hautes instances
judiciaires françaises et européennes sont d'accord : la justice
universelle doit s'appliquer, quel que soit le statut politique des
personnes incriminées, et quel que soit le pays d'où elles viennent.
Le Maroc s'était alors fâché, ou plutôt il avait boudé, en rompant
les conventions judiciaires franco-marocaines. Pendant pratiquement un
an, toutes les affaires matrimoniales, les questions civiles qui
concernent des milliers de Français et encore plus de Marocains étaient
suspendues. Cela n'était certainement pas tenable plus longtemps. Mais
il ne pouvait être envisageable non plus, pour faire plaisir au Maroc,
d'accorder l'immunité (c'est-à-dire l'impunité) à ce responsable, sans
bafouer la justice française.
Question compliquée sans doute. Il y avait aussi besoin du Maroc
pour la coopération en matière de sécurité et de lutte contre le
djihadisme. Mais on peut toujours sortir par le haut des situations les
plus inextricables. En France, non. Les Marocains ont tellement besoin
de "sauver la face" que, tant pis, les Français ont plongé dans
l'ignominie. Après avoir laissé travailler Mme Taubira et le ministre
marocain de la Justice, M. Ramid, pendant trois jours pour arrondir les
angles judiciaires entre les deux pays, Bernard Cazeneuve en visite à
Rabat une semaine plus tard a lancé la nouvelle: Abdellatif Hammouchi
recevra bientôt les insignes d'Officier de la Légion d'Honneur !!
Et tant pis pour les victimes de tortures, pour leurs défenseurs,
pour les juges qui essaient de rendre justice ici ou au Maroc : c'est
vraiment leur mettre une claque humiliante. D'autant que les victimes de
tortures dans le royaume sont - sans qu'aucune enquête n'ait jamais
été menée sur leurs plaintes -, condamnées pour dénonciations
calomnieuses (2 ans en appel pour Wafaa Charaf, par exemple). Et l'ONG
française ACAT (Action des chrétiens contre la torture) est allègrement
mise en accusation au Maroc pour dénonciation mensongère...
Voilà. C'était ça mon point-limite. La raison d’État me dégoûte. En
plus, c'est de la politique à courte-vue, de la vraie politique de
gribouille, car auprès de qui la France pourra-t-elle désormais faire
valoir son titre de "patrie des droits de l'homme" ?
----------------
solidmar 100% d'accord avec ce point de vue !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire