Bernard Cazeneuve et le ministre de l'Intérieur Mohamed Hassad au Maroc le 14 février 2015. (J.MORCHIDI / ANADOLU AGENCY)
Bernard Cazeneuve et le ministre de l'Intérieur Mohamed Hassad au Maroc le 14 février 2015. (J.MORCHIDI / ANADOLU AGENCY)
|
Surréaliste. Tout ce que nous avons vécu depuis dimanche soir est
surréaliste et je suis très inquiet quant à l’état des droits de l’Homme
dans un pays comme le Maroc.
Nous avions été prudents
Et pourtant, mon caméraman Pierre Chautard et moi savions que ce
tournage allait être compliqué. Des contacts sur place et des
journalistes marocains m’avaient mis en garde. Honnêtement, même si je
les avais cru, je ne m’attendais pas à un tel état de tension.
Avec ma co-auteur, nous avons préparé cette enquête sur l’économie du
pays avec beaucoup de prudence. J’avais demandé une autorisation de
filmer, connaissant les conditions très compliquées de tournage au
Maroc. Même quand on est en règle, on peut parfois passer quatre heures
au poste. Je ne voulais pas que ça m’arrive.
Je n’ai jamais obtenu l’autorisation. J’ai donc décidé de partir sans.
L’impression d’être dans OSS 117
Dans différents endroits du pays, ces derniers jours, nous avons
rencontré plusieurs personnes, dont certains dissidents opposés au
régime et notamment un personnage clé que nous n’avons pas eu le temps
de filmer.
Samedi, j’ai reçu un appel de Paul Moreira, fondateur de Premières
Lignes, qui m’a dit que le Quai d’Orsay l’avait prévenu : nous allions
être arrêtés ce jour.
Plus tard dans la journée, un homme m’a dit à l’hôtel que je n’avais
pas le droit de filmer… Je lui ai dit que je ne tournerai plus, mais
qu’en revanche j’étais libre de rencontrer qui je voulais.
Avant la véritable arrestation, nous en riions. On avait l’impression
d’être dans "OSS117 : Le Caire, nid d’espions". On voyait toujours les
mêmes gens dans les cafés où nous étions, dans les restaurants, dans la
rue, au petit déjeuner de l’hôtel… Même mon voisin de chambre nous
surveillait. C’était grotesque et finalement sans doute un peu
volontaire : ils voulaient qu’on les voit pour nous intimider.
30 policiers pour nous arrêter
Quand nous sommes arrivés à l’AMDH, j’ai quand même mis en garde les
personnes que nous venions rencontrer mais eux m’ont dit qu’on ne
risquait rien ici, que la police n’y était jamais rentré. À l’intérieur
de leur local, nous pensions donc vraiment être en sécurité, car c’est
un lieu très protégé.
Mais plus tard dans la journée, vers 18h, 30 policiers ont cassé la porte à coups de burins pour venir nous chercher. Ils ont même violenté une femme qui faisait barrage de son corps pour les empêcher de rentrer.
Ils nous ont dit qu’on était en état d’arrestation, sous le coup d’un
mandat d’expulsion, ils ont confisqué notre matériel et ont pris nos
clés de voitures pour nous conduire jusqu’à l’hôtel, dans un convoi de
plusieurs véhicules.
Quand nous sommes arrivés à l’hôtel, ils nous ont enfermés dans une
chambre voisine de la nôtre pendant que nos affaires étaient fouillées.
On a eu le droit à une fouille au corps, plaqués contre le mur.
Ils voulaient savoir à qui on avait parlé
Ils ont ensuite listé le matériel : deux appareils photos, un
ordinateur, deux trépieds et quelques spots. Ils cherchaient des puces
jusque dans nos semelles de chaussures.
Il a fallu qu’ils se mettent à quatre autour de moi pour finir par
m’arracher mon smartphone, que je refusais de leur donner. Pierre
Chautard avait perdu le sien à Orly au départ, ce qui leur a paru louche
et qui a encore allongé notre petit séjour.
Ce qui m’embête beaucoup, c’est qu’ils ont récupéré mon téléphone
marocain et ça met en danger les contacts que nous avons rencontrés sur
place… J’ai bloqué mon smartphone a posteriori mais je ne suis pas un
spécialiste et j’espère que ça a fonctionné à temps.
L’intention était claire : ils voulaient seulement savoir à qui nous
avions parlé. Et c’est pour ça que je les ai crus quand ils nous ont dit
qu’ils renverraient tout le matériel en France. Ils veulent juste avoir
le temps de tout éplucher : mails, réseaux sociaux, agenda…
Nous sommes restés environ 1h30 dans cette pièce, avec entre 13 et 17
policiers pour nous surveiller. Dehors, le couloir était bouclé. Une
scène complètement irréaliste, incroyable.
Nous avons payé notre billet de retour
Ils ont aussi confisqué nos passeports.
Au bout d’un moment, ils nous ont dit que nous allions repartir en
France le lendemain, parce qu’il n’y avait plus d’avion le soir-même.
Mais ils nous ont malgré tout emmenés à l’aéroport, où nous avons passé
la nuit, en détention assis sur une chaise, gardé de deux policiers.
Nous n’avons pas beaucoup dormi et le lendemain, nous avons dû payer
nous même notre billet de retour avant d’être mis à bord d’un avion pour
la France. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous avons pu récupérer nos
passeports.
Une grande violence
Tout le long de cette histoire, nous n’avons jamais eu d’inquiétude
quant à notre propre sécurité mais la violence dont nous avons été
victimes est surréaliste. Même les Marocains de l’Association marocaine
des droits de l’homme nous ont dit n’avoir jamais vu ça…
Le Maroc n’est pas le pays que l’on croit. Ce n’est pas un pays
démocratique. Je savais la liberté de la presse menacée mais j’ai été
très choqué par l’état des droits de l’Homme.
Ce que l’on a vécu dimanche, les Marocains qui luttent le vivent tous
les jours, même si ce coup-ci, la violence était assez inédite.
On ne devait pas faire de vague
Il est certain que toute cette petite affaire tombe assez mal, en pleine réconciliation entre la France et le Maroc.
La veille de notre arrestation, Bernard Cazeneuve, le ministre
français de l’Intérieur était à Rabat pour décorer l’ancien chef de la
DST marocaine, après une grosse année de brouille entre les deux pays.
Bref, en pleine réconciliation, il ne fallait pas faire de vague.
C’est sans doute pour cette raison que lorsque j’ai appelé
l’ambassade pour leur dire que j’étais en train de me faire arrêter, on
m’a dit qu’on ne pouvait rien pour moi, qu’il fallait que je me
débrouille…
On le sait, il y a des intérêts économiques très important entre la
France et le Maroc. C’est l’une des raisons de la tournure prise par
notre voyage au Maroc. Mais nous n’allons pas baisser les bras, notre
enquête continue. On ne se laissera pas intimider.
Propos recueillis par Louise Pothier.
Soraya
RépondreSupprimer"Le Maroc n’est pas le pays que l’on croit. Ce n’est pas un pays démocratique." Mince depuis quand le bled du Makhzen est une Démocratie?
Eh bien Monsieur le journaliste mieux tard que jamais! Nous aussi, sujets de Bokassa/M6 dit Roi Midas le Predator nous avons découvert que la France n'est pas la "Grande Démocratie Occidentale" que l'on croit!
Inconcevable, elle décor le Bourreau/Tortionnaire Hammouchi du Despote de la Dictature Marocaine qu'elle appelle "EXCEPTION" et non seulement...la France est l'Unique "Démocratie" Occidentale qui fait de tout pour tenir en pieds la "monstre dit Maroc" au détriment des efforts des dissidents marocains, ONG et Sahraouis qui luttent afin que la France retire son soutien et faciliter l'écroulement du régime féroce du Commandeur des Croyants et Roi des Pauvre, le Tycoon qui a fait de la Monarchie et la religion son fond de commerce.
Dernièrement les surprises choquantes sont devenues monnaie courante.
J'espère lire dans le futur vos "articles vérités" sur la Dictature policière Marocaine...mission non impossible pour des journalistes Occidentaux. Merci et Bon Courage.