Mustapha Manouzi a présenté sa démission de l’instance Forum Vérité et Justice, dont il assurait le Secrétariat Général.
Dans un communiqué incendiaire, l’intéressé impute à une bande criminelle, l’assassinat de Kamal Hussaini, avant que dit-il, n’ait séché le sang de Mohamed Bouderoua.
Cette initiative vient en protestation contre l’assassinat de ce militant du 20 février, poignardé jeudi dernier, dans sa ville de Beni Bou Ayach.
On ne peut s’empêcher de faire le parallèle entre cette démission et le trente-neuvième anniversaire de la disparition de Houcine Manouzi. Celle-ci en rappelant une autre, intervenue à la même date, le 29 octobre de l’année 1965, à Paris, sur le trottoir de la brasserie Lipp, celle de Ben Barka
L’instance équité et réconciliation mise en place pour faire la lumière sur les années de plomb, a émis des recommandations, sans que celles-ci n’aient, jamais, été suivies d’effet.
Les Manouzi, une famille de patriotes au courage exceptionnel, qui, après avoir combattu le colonialisme, et souffert de ses affres, se sont trouvés confrontés à la dictature marocaine à laquelle ils ont payé un lourd tribut.
- Le Commandant Brahim Manouzi, victime d’une exécution extra judiciaire, sur ordre du Général Oufkir, le 13 juillet 1971, et dont le corps n’a jamais été restitué à la famille.
- Houcine Manouzi, disparu depuis le 29 octobre 1972
- Moujahid Kacem Manouzi, mort sous la torture à Derb Moulay Chérif, au mois de septembre 1970, et dont le cadavre n’a, non plus, jamais pas été rendu à la famille.
- Le Docteur Omar Manouzi, que les assiduités criminelles du régime ont broyé et précipité dans la folie
A plusieurs reprises, Mustapha Manouzi avait émis des doutes, sur la volonté réelle de l’Etat, de voir se faire toute la lumière, sur les crimes des années de plomb.
- « l’Etat veut la réconciliation sans équité et sans vérité ! », avait-il déclaré lors de l’une de ses interviews.
Le calvaire de Houcine Manouzi
Houcine Manouzi milite dans les rangs de l’UNFP, lorsqu’en 1971, il est accusé d’activités subversives et de complot contre la sûreté de l’Etat. Il est condamné à mort par contumace,.
Enlevé en Tunisie où il se trouve le 29 octobre 1972, il est alors, transféré au Maroc dans le coffre d’une voiture à plaques diplomatiques.
Il passera par le tristement célèbre Point Fixe numéro 2 (PF2), ou « Dar Mokri », puis par le numéro 3 (PF3), lieu de détention et de torture, placé sous la responsabilité de la DGED.
Ali Bourequat, dans son récit intitulé, « Dix huit ans de solitude », raconte comment Houcine, son co-détenu, a été l’un des inspirateurs de l’évasion du 12 juillet 1975, en compagnie de quelques uns des militaires impliqués dans le putsh de Skhirat de juillet 1971, le colonel Ababou, le capitaine Chellat, l’aspirant M’zireg, et l’adjudant-chef Akka.
Au nombre des évadés, Ali Bourequat et ses deux frères Midhat et Bayazid seront repris, dès le lendemain, dans un verger de pruniers, au Sud de Rabat, en compagnie des militaires.
Chellat qui avait refusé de suivre le groupe sera repris à Rabat à l’aube du 13 juillet.
La cavale de Akka durera onze jours.
Houcine, lui, sera repris, à Aïn Aouda, alors que, passager d’un vélomoteur, il tentait d’éviter les barrages mis en place pour l’appréhender.
Depuis, sa trace se perd.
Evasion et exécutions extra-judiciaires collectives
L’extrait saisissant d’horreur, du récit de Bourequat, sur la suite que le régime marocain a cru devoir donner à cette affaire, pourrait constituer un sérieux indice sur le sort qui aurait été réservé à Houcine.
Il écrit :
« Le 17 juillet au soir, grand remue-ménage dans la cour.
Des dizaines d’individus parlent en même temps.
Soudain, un coup de feu claque. Je me lève d’un bond, me plaquant contre la lucarne. Je scrute la cour par le petit trou de vis.
Un homme vient d’être abattu. Il est grand, corpulent. Je reconnais sa djellaba. C’est Moulay Ali Fakhim.
La cour, gardée par des gendarmes en treillis, qui ont pris position en face de la salle de douches, est encore une fois pleine de monde, comme le jour de notre capture. J’aperçois le colonel Dlimi, le colonel Benslimane, commandant la gendarmerie, le général Moulay Hafid, Houcine Jamil, les commissaires Ben Mansour et Ben Cherif, qui m’ont torturé deux ans plus tôt, le capitaine Fadoul et plusieurs hommes, en civil , mais armés.
Ils attendent la prochaine exécution.
On amène dans la cour le colonel Ababou. Il a un baillon sur la bouche, un bandeau sur les yeux et des menottes dans le dos. Aassou, un des gardes, le soutient. Il l’entraîne vers le terre-plein situé devant les toilettes, le force à s’agenouiller. Un colosse, vêtu d’une chemise et d’un pantalon, s’avance vers lui, un revolver à la main, et lui tire une balle dans la nuque. Ababou est projeté en avant. Deux autres gardes, Hamou Ben Othmane et Ahi Agherbi, se précipitent, traînent le cadavre un peu plus loin.
On amène ensuite le capitaine Chellat et l’aspirant M’Zireg.
Chellat, résigné, se laisse conduire et meurt, sans une plainte.
M’Zireg, lui, se débat comme un lion, hurle à travers son bâillon. Il faudra trois hommes pour le maîtriser, l’allonger sur le ventre et le maintenir, le temps de lui tirer une balle dans la nuque.
Deux gardes s’approchent alors de ma cellule. J’ai juste le temps de reculer pour ne pas être aperçu. Je me couche en chien de fusil sur ma couverture, face au mur.
J’entends un dernier coup de feu, puis la voix de Dlimi, qui crie
- « Lâche-moi, lâche-moi ! Regarde ma chemise: elle est toute tachée du sang de Rachid ! »
Rachid est le prénom d’un des deux gardes que les militaires ligotèrent, le soir de l’évasion. »
Selon Ali Bourequat, Houcine Manouzi s’était emparé d’une arme de poing, lors de l’évasion. On peut aisément imaginer quel aura été le sort du malheureux, d’autant que, condamné à la peine capitale, le régime aura, sans doute, préféré faire appliquer la sentence, plutôt que courir le risque d’une nouvelle évasion.
A-t-il été exécuté plus tôt, sans que Bourequat n’en ait été témoin ?
A-t-il été exécuté ailleurs. Au PF4, par exemple ?
Seuls les protagonistes de cette affaire, pourraient apporter des réponses aux questions que continue de se poser la famille Manouzi.
De cette sinistre affaire, l’avocat de la famille a, un jour, eu ces mots, où l’ironie le dispute à l’interpellation des consciences de la prétendue nouvelle ère :
- « Quand j’ai pris en charge le dossier Manouzi, j’étais un débutant avec quatre ans de carrière derrière moi. Aujourd’hui, il ne me reste plus que quatre ans pour prendre ma retraite. Ce serait bien de mettre le mot fin à ce dossier ».
Comble de l’ignominie, En 1994, la DST informait la famille que Houcine était encore vivant, lui conseillant vivement, d’éviter toutes déclarations dans la presse, si elle voulait le récupérer.
Puis, le 16 août 2001, les autorités remettaient aux parents, un certificat de décès, ne portant aucun cachet et datant le décès au 17 juillet 1975, alors que plusieurs amis et co-détenus prétendent avoir vu Houcine, en vie, après cette date.
Trente-neuf ans après le début de cette affaire, le pouvoir marocain continue de compter des criminels dans ses rangs. Certains sont disparus, de leur belle mort.
D’autres tapis dans l’ombre, continuent de dispenser leur savoir-faire à des apprentis criminels et se tiennent en embuscade, le cas où.
D’autres continuent d’officier, comme si de rien n’était, alors que la justice internationale les recherche, en particulier, dans le cadre de l’enlèvement de Ben Barka, dont, ni le corps n’a été retrouvé, ni les circonstances de son supplice n’ont été élucidées.
Enfin le reste de ces nervis sans foi, ni loi, coule une paisible retraite, dans une de ces innombrables propriétés, fermes et immeubles, que la dictature marocaine a confisqués, au profit de ceux dont elle achète la complicité des crimes odieux dont elle se rend coupable, depuis plus de cinq décennies.
Alors si Mustapha Manouzi a quitté l’une de ces pléthoriques instances, commissions ou associations, faire-valoir de la dictature marocaine, on ne peut que s’en réjouir et lui souhaiter un bon retour parmi les démocrates !
http://youtu.be/5pFS3dAw8ZA
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