De Omar BROUKSY (AFP) 29/10/2013
Tanger
— "Je ne veux plus voler les gens pour avoir ma dose", jure Mohammed.
Dans le grand salon d'une association de Tanger, au Maroc, ils sont une
trentaine de toxicomanes à raconter leur quotidien infernal et leur
volonté de vaincre ce qu'ils appellent "l'mono", "le manque".
Fondée
en 2006, Hasnouna est, selon ses responsables, la première association à
aider les toxicomanes à surmonter la dépendance grâce à une "stratégie
de proximité", en établissant avec eux un dialogue basé sur la confiance
mutuelle, dans un pays conservateur où ils sont mis à l'écart.
Les
dernières années ont été marquées par une prolifération du trafic et de
la consommation de drogue à Tanger, ville de quelque 800.000 habitants,
face au détroit de Gibraltar.
"Cette stratégie de proximité
consiste à aider le toxicomane à comprendre sa maladie, à être conscient
de son problème d'addiction", plutôt que le condamner, explique à l'AFP
Faouzia Bouzitoune, une des responsables de l'ONG, dont le siège se
trouve au coeur de la ville de Tanger.
"L'enjeu est d'établir une
relation de confiance avec l'usager là où il se trouve, sur les lieux de
consommation, surtout dans les quartiers populaires comme Beni Makada
où il y a une forte concentration ouvrière", ajoute-t-elle.
"Par la suite, il faut l'accompagner vers les structures de soin", selon Mme Bouzitoune.
Avec
l'Iran, le Maroc est en avance dans le monde arabe et musulman pour
l'accompagnement des toxicomanes, selon un responsable du Centre
médico-psychologique de Tanger (CMP), lié au ministère de la santé.
Le CMP est l'un des premiers centres officiels pour l'accueil et à l'accompagnement des consommateurs de drogues dures.
Beaucoup
aimeraient avoir accès à la méthadone, un médicament de substitution
que la direction de Hasnouna est autorisée à délivrer sur ordonnance du
médecin du Centre médico-psychologique (CMP), le Dr Mohammed Essalhi.
"Avant de prescrire la méthadone, il faut être certain que l'usager a vraiment envie d'arrêter", précise le Dr Essalhi.
"Certains
viennent en chercher ici parce qu'ils n'ont pas de quoi acheter
l'héroïne", prévient le médecin, selon qui "il faut être vigilant".
"Je
ne veux plus voler pour avoir ma dose. Depuis que je prends de la
méthadone, je me sens mieux et cela m'aide à arrêter l'héroïne", lance
Mohammed, un trentenaire.
Sa mère l'aide parfois pour acheter sa dose d'héroïne : "Elle ne supporte pas de me voir dans un état de manque".
"J'ai
eu une enfance normale à Tanger. Lorsque j'ai quitté l'école à 17 ans,
j'ai fait toutes sortes de boulots, gardien de voiture, transporteur
près du port, garçon de café", explique-t-il, honteux d'en être réduit à
voler.
"Je viens depuis des mois, j'assiste à toutes les réunions
mais je n'ai pas encore droit à la méthadone. Je vous assure que je
veux arrêter", renchérit un autre participant.
"Pour moi le plus
dur, c'est le regard des gens, l'exclusion dont on est victimes. A
Tanger, tout le monde se connaît et tout le monde se méfie de nous",
ajoute-t-il.
Selon les responsables d'Hasnouna, la drogue vient
notamment d'Europe via Ceuta, l'enclave espagnole située à 80 km, où la
dose d'héroïne coûte entre trois et cinq euros.
"Le minimum c'est
trois doses par jour, mais la plupart ont besoin de cinq à sept doses,
parfois dix", confie à l'AFP un toxicomane.
"Je me suis prostituée
pour avoir ma dose quotidienne. J'étais au ban de la société. Dans une
société comme la nôtre, une femme toxicomane souffre beaucoup plus qu'un
homme", explique Fatima, 45 ans.
Fatima est issue d'une famille
aisée de Rabat. A l'âge de 20 ans, elle fait la connaissance d'un groupe
de diplomates qui l'ont initiée à la cocaïne, avant de basculer ensuite
dans l'héroïne.
Elle dit être parvenue à arrêter au bout de 20 ans "grâce à l'association", où elle travaille désormais "comme femme de ménage".
"Nous
sommes dans une société marquée par le poids des tabous. On cherche
aussi à changer un peu les mentalités. Il faut convaincre les gens que
la toxicomanie est une maladie", souligne Mme Bouzitoune.
"Heureusement,
certaines familles ont un peu changé de discours, estime-t-elle. La
plupart des usagers ont commencé la drogue alors qu'il étaient mineurs.
Il est donc difficile de les considérer comme seuls responsables de leur
situation."
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