Je
repense à cette chaude soirée du mois de juillet 1999. Le peuple marocain venait
d’enterrer, dans un élan d’empathie sans précédent, celui qui avait été son
bourreau, trente-sept ans durant. Sur son catafalque, le despote s’était-il
seulement rendu compte de la formidable leçon d’humanité que lui administraient
ceux-là mêmes qu’il avait persécutés, des décennies durant ? Avait-il seulement
pu entendre les lamentations monter par millions, vers le ciel, comme autant de
prières d’intercession pour que ce dernier daignât lui pardonner tant de
crimes.
Sur
la terrasse où nous prenions le frais, une légère brise faisait frémir les
branches du « Washingtonia » qui dressait, vers un ciel scintillant de millions
d’étoiles, sa frêle silhouette de géant. Etait-ce l’air saturé des fragrances
nocturnes de jasmin, le parfum de la tragédie qui s’était nouée quelques heures
plus tôt, dans les rues de la capitale marocaine ou encore la pensée du tyran
endormi à tout jamais sur les hauteurs du Bou-Regreg ?
Toujours est-il que l’espace d’un instant, je ne pus réprimer la réminiscence de
ce couplet d’Alfred de Musset :
N’es-tu
qu’une herbe desséchée
Qui
vient achever de mourir ?
Ou
ton sein, prêt à refleurir,
Renferme-t-il
une pensée ?
Nous
étions à des années lumières de Musset et de toute poésie. Mais tout comme le
poète nous cherchions des réponses. La longue lutte des marocains, les
sacrifices qu’ils avaient consentis avaient réussi à rallier quelques justes à
la cause de la liberté. Ces derniers avaient alerté la communauté internationale
et forcé le tyran à lâcher du lest. Si peu. Mais peu importe, puisque nous
avions réussi à le démasquer et faire la démonstration de ses mensonges, ses
turpitudes et ses crimes.
Que
restait-il de la tyrannie ? A quelle sauce allait-on nous accommoder ? Hassan
II avait beau être cruel et se comporter comme Pharaon, il n’avait pas osé
pousser le mimétisme jusqu’à emporter d’Ouchebtis, pour le servir outre-tombe.
Pas plus qu’il ne l’avait fait de ses exécuteurs des hautes œuvres, de ses
bourreaux, de ses seconds couteaux et de ses lampistes, ces petites mains de la
tyrannie. Nous allions donc en hériter, à coup sûr ! Le cancer une fois éteint,
nous laissait ses métastases. Alors ce soir-là, les commentaires qui allaient
bon train, comme en réponse au poète, étaient tout sauf des prédictions
fiables :
-
« Vous allez voir ce que vous allez voir ! » promettaient les
plus optimistes, index pointé vers le ciel, comme pour prendre ce dernier à
témoin.
-
« Le fils n’est pas comme le père ! » surenchérit un autre, le
pouce désignant le défunt dictateur comme si celui-ci se dissimulait dans son
dos
La
lettre de cachet et la Bastille de Mohamed VI
C’était
hier. C’était il y a quinze ans. Un claquement de doigt à l’échelle de
l’histoire. A l’échelle de la dictature aussi, car le temps semble s’être figé
ou avoir, à tout le moins, passé pour rien, tant le régime refuse obstinément de
se conformer à la marche de l’Histoire. Les événements se sont enchaînés depuis
ce mois de juillet 1999. Obstinés, implacables, ils se sont chargés d’apporter
les réponses aux questions que nous nous posions. Exactions insoutenables,
procès fabriqués, injustices criantes, corruption endémique, amateurisme
politique, prédation économique. Rien ne manque. Jusqu’à cette affaire Anouzla.
L’affaire de trop, qui démontre que le Maroc n’aura jamais honte de rien. Hassan
II évoquait un festival des roses, devant des millions de téléspectateurs
médusés et une Anne Sainclair soufflée, alors qu’elle
l’interrogeait sur le bagne de Kelaat M'gouna. Il
traitait d’Apaches, en plein discours officiel, ceux qui lui contestaient sa
brutalité. Mohammed VI, qui n’a pas l’heur d’avoir, comme son ascendant, le goût
du verbe, n’en a pas moins expédié un journaliste au bagne de Salé,
pour………..terrorisme.
Le
régime s’est humilié une première fois en emprisonnant un innocent, ce 17
septembre à l’aube. Il s’est humilié une seconde fois en l’élargissant, sans le
libérer définitivement des charges grotesques qui ont fait hurler de rire une
bonne moitié de la communauté internationale et outré l’autre moitié. Deux
lamentables « Autogoals » qui trouvent leur origine dans la « Lettre de cachet »
de Mohammed VI, qui, d’un sceau vengeur, a envoyé un pourfendeur de la
corruption et de la tyrannie, les deux mamelles de son système de gouvernance,
derrière les hauts murs de cette Bastille d’un nouveau genre où croupissent
désormais, les opposants et les innocents de tous bords.
Le
bal des « faux-culs »
De
Ali, on a tout dit. Avant même de l’avoir entendu, ni lui avoir accordé la
moindre chance de s’en expliquer. Il aurait échangé un quatuor de ténors du
barreau, pour un avoué de la dictature. Il aurait négocié sa sortie de prison,
promis d’adoucir le trait de sa plume, tourné casaque même……….peut-être ?!
Avec
ces peut-être là, le Maroc serait une belle démocratie, si l’on en croit la
musique serinée par une poignée d’adeptes de la servitude volontaire, au lieu
d’être à coup sûr, une dictature pour les millions de compatriotes qui en font
les frais.
Curieusement,
la libération de l’homme a coïncidé avec un drôle de bal, celui des
« faux-culs ». A présent qu’il dort dans son lit, les pourfendeurs du terroriste
d’hier, montent au créneau, pour le féliciter d’être redevenu celui qu’il
n’aurait jamais du cesser d’être, un innocent. Encore une curiosité de
l’exception marocaine. Cette vilénie !
On
ne le dira jamais assez, toutes ces supputations, ces conjectures, tout ce bruit
ne doit pas nous faire oublier que si nous étions en démocratie, l’affaire
Anouzla n’existerait même pas et nous n’aurions pas eu besoin d’une mobilisation
à l’échelle planétaire, pour contraindre le pouvoir à libérer un innocent. Un
jour, c’est promis, nous ferons de même pour faire libérer les centaines, les
milliers d’innocents happés par la machine à broyer du despotisme.
Au-delà
du cas de ce malheureux journaliste qui force le respect, le premier responsable
de la tragédie marocaine, est le régime lui-même. Il n’y a qu’à observer comment
la garde rapprochée de ce dernier croit et se multiplie, au fil des échéances
électorales, comme avec le PJD et avant lui
l’USFP, pour se convaincre que le pays est bien
gangrené par les métastases d’un cancer qui, tôt ou tard finira par l’emporter.
Et ce ne sont pas les petites victoires homéopathiques, obtenues ici ou là, à
force de ruse et de coups tordus, qui infléchiront le cours de
l’histoire.
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