Par Aminata Traoré, Slate, 20/1/2013
La féministe Aminata Traoré et de nombreuses personnalités maliennes s'opposent à l'intervention armée au Mali.
Femmes voilées en classe à Gao le 10 septembre 2012. Reuters/Stringer
l'auteur
De la situation dramatique du Mali, il ressort une réalité terrible qui se
vérifie dans d’autres pays en conflit: l’instrumentalisation des violences
faites aux femmes pour justifier l’ingérence et les guerres de convoitise des
richesses de leurs pays.
Les femmes africaines doivent le savoir et le faire
savoir.
Autant l’amputation du Mali des deux tiers de son territoire et
l’imposition de la charia aux populations des régions occupées sont humainement inacceptables,
autant l’instrumentalisation de cette situation, dont le sort réservé aux
femmes, est moralement indéfendable et politiquement intolérable.
Nous avons, de ce fait, nous femmes du Mali, un rôle historique à jouer,
ici et maintenant, dans la défense de nos droits humains contre trois formes de fondamentalisme: le
religieux à travers l’islam radical; l’économique à travers le tout marché; le
politique à travers la démocratie formelle, corrompue et corruptrice.
Nous invitons toutes celles et tous ceux qui, dans notre pays, en Afrique
et ailleurs, se sentent concernés par notre libération de ces fondamentalismes
à joindre leurs voix aux nôtres pour dire «Non»
à la guerre par procuration qui se profile à l’horizon. Les arguments suivants
justifient ce refus.
Le déni de démocratie
La demande de déploiement de troupes africaines au
nord du Mali, transmise par la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest
(Cédéao) et l’Union Africaine (UA) aux Nations Unies, repose sur un diagnostic
délibérément biaisé et illégitime.
Il n'est fondé sur aucune concertation
nationale digne de ce nom, ni au sommet, ni à la base. Ce diagnostic exclut par
ailleurs la lourde responsabilité morale et politique des nations, celles qui
ont violé la résolution 1973 du Conseil de Sécurité en transformant la
protection de la ville libyenne de Benghazi en mandat de renverser le régime
de Mouammar Kadhafi et de le tuer.
La coalition des séparatistes du mouvement
national de libération de l'Azawad (MLNA), de Al Qaïda au Maghreb Islamique
(Aqmi) et de ses alliés qui a vaincu une armée malienne démotivée et
désorganisée doit également cette victoire militaire aux arsenaux issus du
conflit libyen.
Le même Conseil de Sécurité va-t-il approuver,
dans les jours à venir le plan d’intervention militaire que les Chefs d’Etat africains ont approuvé
en prétendant corriger ainsi les conséquences d’une guerre injuste par une
guerre tout aussi injuste?
Marginalisée et humiliée dans la gestion de la
crise libyenne, l'Union Africaine doit-elle se lancer
dans cette aventure au Mali sans méditer les enseignements de la chute du
régime de Mouammar Kadhafi?
Où est la cohérence dans la conduite des affaires
du continent par les dirigeants africains, dont la plupart s’était opposé en
vain à l’intervention de l’OTAN en Libye, lorsqu'ils s’accordent sur la
nécessité d'un déploiement de forces militaires au Mali, aux conséquences
incalculables.
L’extrême vulnérabilité des femmes dans les zones en conflit
L'international Crisis Group prévient, à juste
titre, que:
«Dans le contexte actuel, une offensive de l’armée malienne appuyée par des forces de la Cédéao et/ou d’autres forces a toutes les chances de provoquer davantage de victimes civiles au Nord, d’aggraver l’insécurité et les conditions économiques et sociales dans l’ensemble du pays, de radicaliser les communautés ethniques, de favoriser l’expression violente de tous les groupes extrémistes et, enfin, d’entraîner l’ensemble de la région dans un conflit multiforme sans ligne de front dans le Sahara».
Ces conséquences revêtent une gravité particulière
pour les femmes. Leur vulnérabilité qui est sur toutes les lèvres, devrait être
présente dans tous les esprits lors des prises de décisions, et dissuasive
quand la guerre peut être évitée. Elle peut l'être. Elle doit l’être au Mali.
Rappelons que les cas de viols que nous déplorons dans les zones occupées
du Nord de notre pays risquent de se multiplier avec le déploiement de
plusieurs milliers de soldats. A ce risque, il faut ajouter celui d’une
prostitution plus ou moins déguisée qui se développe généralement dans les zones
de grande précarité et par conséquent les risques de propagation du Sida.
Le plan d’intervention militaire sur
lequel le Conseil de Sécurité va se pencher prévoit-il des moyens de mettre
réellement les femmes et les fillettes du Mali à l’abri de ce type de situation
désastreuse?
Rappelons également que sur l'ensemble du territoire les sanctions
économiques imposées par la communauté internationale au peuple malien au nom
du retour à un ordre constitutionnel discrédité affectent considérablement les
groupes vulnérables.
Les femmes du fait de la division sexuelle des tâches sont
confrontées au niveau domestique à l'énorme difficulté d'approvisionnement des
familles en eau, nourriture, énergie domestique, médicaments.
Cette lutte
quotidienne et interminable pour la survie est déjà en soi une guerre. Dans ces
circonstances de précarité et de vulnérabilité des populations, et des femmes
en particulier, l'option militaire en préparation est un remède qui a toutes
les chances d'être pire que le mal alors qu’une alternative pacifique, émanant
de la société malienne, civile, politique et militaire, sera constructive.
Des incohérences de la communauté internationale
Chacun des puissants représentants
de la «communauté internationale» ainsi que
la Cédéao (la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest) et l’UA (Union africaine) ont prononcé des mots à propos de nos maudits maux de
femmes en situation de conflit.
A tout seigneur tout honneur, le président français, François Hollande, qui joue le rôle de chef de file dans la
défense de l’option militaire, a souligné la souffrance des femmes «premières victimes des violences de guerre»
Et pourtant, il a déclaré le 26
septembre 2012, à New York, lors de la réunion spéciale sur le Sahel, en marge
de l'Assemblée Générale des Nations Unies:
«Je sais qu'il peut y avoir une tentation de mener des négociations. Négocier avec des groupes terroristes? Il ne peut en être question. Toute perte de temps, tout processus qui s'éterniserait ne pourrait faire que le jeu des terroristes».
«Il faut savoir terminer une
guerre», semblent dire les présidents américains et français.
«La guerre d’Afghanistan s’est prolongée au-delà de la mission initiale. Elle attise la rébellion autant qu’elle permet de la combattre. Il est temps de mettre fin en bon ordre à cette intervention et j’en prends ici l’engagement», déclara le candidat François Hollande dans son discours d’investiture à l’élection présidentielle.
La Secrétaire d’Etat américaine aux affaires étrangères, Hillary Clinton
dont l’escale du 29 octobre 2012, à Alger, avait en partie pour objet de
convaincre le président Abdelaziz Bouteflika de rejoindre le camp de la guerre,
s'était adressée aux chefs d’Etat africains réunis à Addis-Abeba en ces termes
:
«En République Démocratique du Congo, la poursuite des actes de violences contre les femmes et les filles et les activités des groupes armés dans la région orientale du pays, sont pour nous une source constante de préoccupation. L’Union Africaine et les Nations Unies ne doivent épargner aucun effort en vue d’aider la RDC à réagir à ces crises sécuritaires incessantes ».
L’initiative du secrétaire des Nations Unies, Ban Ki Moon,
intitulée «Unis pour mettre fin à la
violence contre les femmes », lancée le 25 janvier 2008, accorde une
attention particulière aux femmes de l’Afrique de l’Ouest. C'était avant les
guerres en Côte d'Ivoire et en Libye qui ont largement compromis la réalisation
des objectifs assignés à cette initiative.
Nous comprenons sa réserve quant au
déploiement militaire et espérons qu'il ne soutiendra pas le plan
d'intervention des Chefs d'États de la Cédéao. La guerre, rappelons-le, est une
violence extrême contre les populations civiles, dont les femmes. Elle ne peut
que nous éloigner des objectifs visés par cette initiative.
Pourquoi les puissants de ce monde qui se préoccupent tant du sort des
femmes africaines ne nous disent pas la vérité sur les enjeux miniers,
pétroliers et géostratégiques des guerres.
La présidente de la commission de l'UA, Nkosazana Dlamini-Zuma, pour sa
part, souligne qu' «il est crucial
que les femmes contribuent à, et s’impliquent activement dans, la recherche
d’une solution au conflit. Leurs voix doivent être entendues dans les efforts
visant à promouvoir et à consolider la démocratie dans leur pays. A cette fin,
vous pouvez, sans aucun doute, compter sur le soutien de l`UA, ainsi que sur
mon engagement personnel.»
La nomination pour la première fois d'une femme à ce poste pourrait être un
facteur véritable d'émancipation politique pour les femmes et donc de
libération du continent, si Nkosazana Dlamini-Zuma accepte d'élargir la
base du débat sur les femmes africaines en y intégrant les enjeux globaux qui
nous sont dissimulées.
Notre triste statut d’otages
Le Mali est un pays à la fois agressé, humilié et pris en otage par des
acteurs politiques et institutionnels qui n'ont aucun compte à nous rendre, à commencer par la Cédéao. L'une des traductions de cette réalité est l'énorme
pression exercée sur ce qui reste de l'État malien.
Le Président par intérim,
Dioncounda Traoré, est le premier des otages maliens. S’il a cru devoir rappeler,
le 19 octobre 2012, lors de la réunion du groupe de soutien et de suivi de la
situation de notre pays, qu’il n’est pas un président pris en otage, c’est
précisément parce qu’il l’est.
Sinon il n’aurait pas répété à trois reprises,
le 21 septembre 2012, la veille de l’anniversaire de l’indépendance de notre
pays qu’il privilégie le dialogue et la concertation, et demandé aux
Nations Unies, trois jours plus tard, une intervention militaire internationale
immédiate.
«J’ai conscience d’être le président d’un pays en guerre mais le premier choix est le dialogue et la négociation. Le deuxième choix est le dialogue et la négociation et», insiste-il « le troisième choix demeure le dialogue et la négociation. Nous ferons la guerre si nous n’avons pas d’autre choix… », a-t-il déclaré dans son discours à la nation avant de changer d’avis.
Au-delà du président intérimaire, nous sommes tous des otages prisonniers
d'un système économique et politique inégalitaire et injuste qui excelle dans
l'art de briser les résistances à coup de chantage au financement. La
suppression de l'aide extérieur se traduit cette année 2012 par un manque à
gagner de 429 Milliards de francs CFA. La quasi totalité des investissements
publics sont suspendus.
La fermeture de nombreuses entreprises a occasionnée
licenciements et chômage technique pour des dizaines de milliers de
travailleurs alors que les prix des denrées alimentaires continuent de flamber.
Les pertes les plus importantes sont enregistrées dans les secteurs du bâtiment
et des travaux publics.
Paix et intégrité territoriale
Le tourisme, l'artisanat, l'hôtellerie et la
restauration, qui subissaient depuis 2008 les conséquences de l'inscription du
Mali sur la liste des pays à risques, sont gravement affectés alors qu'ils
constitutuaient des sources de revenus substantiels pour les régions
aujourd'hui occupées, notamment celle de Tombouctou.
Référence est faite au statut d'otage non point pour dédramatiser l'épreuve
insupportable des otages européens et de leurs familles mais pour rappeler
l’égale gravité de la situation de tous les êtres humains piégés dans des
systèmes dont ils ne sont pas personnellement responsables.
La question est
toutefois de savoir comment agir de telle sorte que notre pays retrouve son
intégrité territoriale et la paix, et que les six Français détenus par Aqmi retrouvent leurs familles sains et saufs, sans que ces libérations n’ouvrent la
voie à une intervention militaire qui mettrait en péril la vie des centaines de
milliers d'habitants du Nord Mali qui sont autant d'otages (...)
Nous demandons à toutes celles et à tous ceux qui
partagent notre approche d'interpeller immédiatement les principaux acteurs de
la communauté internationale, par écrit ou sous toutes autres formes
d’expression, en plaidant pour que le Conseil de Sécurité n'adopte pas une
résolution autorisant le déploiement de milliers de soldats au Mali.
Signataires :Aminata
D. TRAORE ; SISSOKO Safi SY ; SANOGO Sylvie KONE ; IMBO Mama
SY ; Kadiatou TOURE ; TRAORE Sélikèné SIDIBE(Vieux) ; DICKO Rokia
SACKO ; Ténin DIAKITE ; DOUMBIA Fanta DIALLO ; KONE Mamou TOURE ;
TRAORE Sarata SANOGO ; TRAORE Penda DIALLO ; DIABATE Kadiatou
KOUYATE ; Aminata BOCOUM ; Oumou KODIO ; Assatou KAREMBE ; Awa KOÏTA ;
Aminata DOUMBIA ; Fatoumata COULIBALY ; Badji BOIRE ; Awa
TOURE ; Bintou KONE ; Fatoumata MARIKO ; Mariam KONE ;
Minata DIARRA ; Oumou KEITA ; Kadiatou DIALLO ; Kankou
KONE ; Rokia NIARE ; Kadia DJIRE ; Ada NANTOUMA ; Awa COULIBALY ;
Soungoura DOUMBIA ; Fanta KANTE ; Safiatou COULIBALY ; Djaba
TANGARA ; KONE Mama DIARRA ; Ismael DIABATE ; Karamoko BAMBA;
Doumbi FAKOLY; Coumba SOUKO ;
Clariste SOH-MOUBE ; Nathalie M’Dela-Mounier ;
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