Renault joue les pionniers du «bas coût» au Maroc
Le constructeur exploite près de Tanger une usine ultramoderne pour sa marque Dacia. Le roi Mohammed VI attire les entreprises étrangères par des zones franches.
Une centaine de bobines de tôle brute, certaines hautes comme un homme, sont entreposées à même le sol. «C’est là qu’une belle histoire commence, explique Paul Carvalho, chef des fabrications.On part du matériau nu pour aboutir, au fond de ce bâtiment, dans 7 à 8 heures, à un véhicule formé, puis complètement équipé et prêt à prendre la route en moins de deux jours.»
L’usine du groupe Renault, la onzième hors de France, ressemble a priori à toutes les autres. Sauf qu’elle se situe au Maroc, pays pas vraiment réputé pour sa tradition de construction automobile, comme le sont la République tchèque, l’Inde, voire la Chine, pour citer les pays à la mode pour produire bon marché avec des normes de qualité exigées par les clients européens.
Formé de bâtiments blancs étirés sur un petit kilomètre, le site en cuvette, où Renault a invité une trentaine de journalistes européens, est entouré de collines arides au sommet desquelles pointent une trentaine d’éoliennes. Rien ne prédestinait cet endroit à l’intérieur des terres, Melloussa, dans la province de Fahs Anjra, à 30 km de Tanger, à accueillir le dernier fleuron industriel du groupe Renault qui produit une partie de ses modèles Dacia à bas prix.
Le choix du site est le résultat d’un «partenariat stratégique» avec la monarchie constitutionnelle marocaine, selon l’expression du groupe automobile français. Un protocole d’intention, conclu en septembre 2007, a débouché sur un accord formel en juillet 2009. Après plus de deux ans de travaux, l’usine est inaugurée en février 2012 en présence du roi Mohammed VI et de Carlos Ghosn, patron de Renault.
Un modèle Lodgy brun, tagué d’une centaine de signatures d’ouvriers, placé dans le hall d’entrée du bâtiment administratif, atteste cette journée. «Voyez, là sur le capot, on peut lire la signature du roi et celle de Carlos Ghosn», signale fièrement une employée en salopette marquée du losange «Renault», en confirmant qu’il s’agit bien de la première voiture sortie de la chaîne.
Cette inauguration avait provoqué une vague de protestations des syndicats en France, touchée en ce moment par des suppressions d’emplois massives dans le secteur automobile. Les représentants des travailleurs ont crié à la délocalisation et à la politique salariale «à ultra faible coût».
L’usine de Tanger est conçue comme complémentaire à celle de Pitesti en Roumanie. Tunç Basegmez, directeur de l’usine marocaine, ne s’en cache pas : «Le salaire mensuel est, ici, 2,5 fois plus avantageux qu’en Roumanie.» Jacques Prost, directeur de Renault Maroc, ne l’affirme pas officiellement, mais il est quasi certain que l’usine de Tanger, lorsqu’elle tournera à pleine puissance et aura surmonté quelques légers ratés au démarrage, sera nettement plus rentable que celle de Roumanie. Et au moins au même niveau de coût que l’usine techniquement sœur de Nissan à Chennai en Inde.
Le salaire mensuel d’un ouvrier à Melloussa est d’un peu plus de 3.000 dirhams, soit l’équivalent de 280 euros. «Nous offrons un supplément de 15% comparé au salaire minimum marocain, pour 44 heures de travail hebdomadaire effectif, pauses pour la prière musulmane décomptées», souligne Paul Carvalho.
L’usine marocaine offre plus de 4.000 emplois directs aujourd’hui. L’objectif est de passer progressivement à 6.000 collaborateurs lorsque la chaîne aura atteint le rythme de 60 véhicules à l’heure envisagé dans le courant de cette année.
Si le site, qui dépend de la demande européenne actuellement en chute libre, atteint sa pleine capacité de 400.000 véhicules par an, contre 170.000 à fin 2012, elle générera quelque 30.000 emplois indirects. Une perspective bienvenue au Maroc qui affiche un taux de chômage de 14% en zone urbaine.
Dans une partie de l’usine, un jet d’étincelles est soudain projeté au sol. Un ouvrier, protégé de la tête aux pieds, est aux commandes d’un énorme pistolet soudeur de 80 kilos muni d’un contrepoids. La scène a un côté anachronique sur une chaîne de montage dernier cri conçue pour placer 4.200 points de soudure-fusion sur une seule «caisse», comme on désigne le véhicule en formation.
Sur la chaîne de montage, construite pour assembler 2.500 pièces à raison de 2 minutes par «opérateur», selon la terminologie de Renault, les robots automatiques, omniprésents dans les usines européennes ou américaines, sont en effet quasiment absents. Seuls 21 robots ont été installés, ce qui représente un faible taux d’automatisation de 6%. «Ici, un robot ne remplace l’homme que s’il en va d’une opération cruciale pour la sécurité du véhicule, ou lorsque le taux d’erreur humaine ne peut pas être réduit par une formation ad hoc», confirme le responsable des ateliers.
Le lieu d’implantation du site de Melloussa est particulier. A l’entrée, en plus des grilles traditionnelles, se dresse un second barrage constitué d’un poste de douane et d’une installation de «radiographie» des camions de livraison.
Le site de 300 hectares est une zone franche, créée par le Maroc pour Renault afin d’exempter le constructeur de la TVA. Le site est en effet destiné à l’exportation vers les pays européens des modèles Dacia Lodgy, Dokker, et bientôt de la nouvelle Sandero. Cette stratégie de zones franches constitue l’un des piliers de développement économique du Maroc. Cela ressemble, en termes d’avantages offerts aux investisseurs étrangers, aux zones économiques chinoises.
Le royaume marocain n’a pas lésiné sur les moyens pour séduire Renault. Le tapis rouge a été déroulé sous forme de lourdes dépenses d’infrastructure, de cofinancement du projet qui a nécessité un investissement de 1,1 milliard d’euros, de rabais fiscaux, et de soutien financier à la formation.
«Le Royaume était demandeur et nous a fourni de nombreuses facilités, mais nous n’avons pas choisi l’emplacement, confirme Jacques Prost. Nous aurions voulu être au bord de la mer, à proximité immédiate du nouveau port Tanger Med.» Les autorités marocaines, dans une stratégie de désenclavement industriel de Casablanca et de développement du nord du pays, ont désigné un site à l’intérieur des terres, à une vingtaine de kilomètres de Tanger Med, port de très grande capacité, lui aussi entouré d’une zone franche, qui ouvre sur le détroit de Gibraltar. Renault y dispose d’une zone portuaire propre de 13 hectares reliée au rail, utilisée comme pôle «africain» d’exportation.
En compensation de l’éloignement de Melloussa de la côte, le Maroc a construit, à grands frais, pour les besoins de l’usine Dacia, une ligne de chemin de fer à voie unique. Les rails se faufilent jusqu’au port entre les collines bardées de viaducs.
Outre l’exemption de TVA, Renault ne paie pas d’impôt sur le bénéfice (23% pour les entreprises autochtones) durant cinq ans, et a obtenu un taux réduit à 8% durant les quinze années suivantes.
Les autorités, pour favoriser la formation et l’emploi, ont construit, à leurs frais pour 8 millions d’euros, une école professionnelle installée sur le site de Renault. Dans un premier temps elle est uniquement utilisée pour la formation des employés et cadres marocains embauchés pour la chaîne de production de véhicules à bas prix. Plus de 750.000 heures de formation ont été dispensées.
Les autorités marocaines versent au groupe automobile entre 2.000 et 6.000 euros par personne formée. «Cela couvre très largement les frais de formation, mais on s’engage, en contrepartie, à partager notre savoir-faire et à ouvrir, à terme, le centre à d’autres industriels de l’automobile», explique un cadre de l’usine. «Contrairement à d’autres pays, il n’y a pas de tradition de construction automobile au Maroc, mais le niveau scolaire est bon», confie Tunç Basegmez.
L’usine nord-africaine, qui recourt en partie à du courant éolien, a gagné, avant même la sortie de la première voiture de la chaîne de production, le Prix européen de l’énergie durable. Les émissions de CO2 sont réduites de 98%, et les ressources en eau diminuées de 70% comparé au processus industriel habituel. «Nous utilisons notamment des noyaux d’olives pour la production d’énergie thermique», explique le directeur de l’usine.
L’expérience, concluante, donne des idées aux autorités marocaines qui «travaillent à l’installation d’un deuxième constructeur automobile mondial», selon Abdelkader Amara, ministre de l’Industrie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire