Écrit par Taoufik Bouachrine, Lakome, publié le 21/1/2013
Mohamed Reda, Abdelmajid Aluiz et Mohammed Achik sont trois
ingénieurs occupant de hautes fonctions dans les secteurs public et
privé. Ils paient aujourd'hui un lourd tribut à cause du manque de
transparence et de la mauvaise gouvernance qui continuent à régner au
sein du ministère des Finances, et aussi à cause de l'absence de l'Etat
de droit.
Traduction de l'arabe: Ahmed Benseddik
Toutefois, la difficile épreuve qu'ils endurent, depuis la
publication par le quotidien Akhbar Al Youm des documents qui révèlent
l'échange des fameuses primes entre Mezouar et Bensouda, n'est pas
vaine. A quelque chose malheur est bon. Voici l'histoire ...
En Juin de l'année dernière, Akhbar Al Youm a mis la main sur trois
documents importants. Il s'agit de décisions prises et signées par
l'ancien ministre des Finances, Salaheddine Mezouar (il est encore le
président du parti RNI) et le Trésorier général du Royaume, Noureddine
Bensouda. En vertu de ces documents, rangés à l'abri des indiscrétions,
Bensouda versait à Mezouar une prime illégale de 80.000 dirhams par
mois, en plus de son salaire et ses indemnités stipulées exclusivement
dans le dahir relatif au traitement des ministres. En retour, Mezouar
versait à Bensouda une prime qui avoisinait les 100.000 dirhams par
mois. Nous nous sommes assurés, avant publication, de l'authenticité des
documents, et nous avons demandé leur avis aux deux concernés. En vain.
Le silence de Bensouda n'a pas duré longtemps. Il a ouvert une
enquête illégale pour savoir qui a divulgué le document à la presse,
alors que les deux ministres des finances actuels, Nizar Baraka et Driss
El Azami, n'ont pas pipé mot, tétanisés par l'ampleur de la surprise.
Mezouar a eu l'audace, ou plutôt le culot, non pas de présenter ses
excuses et rembourser aux contribuables l'argent indu, mais de crier
haut et fort que ces grosses primes étaient légales et que tous les
anciens ministres des Finances faisaient comme lui.
Entre-temps,
Bensouda s'est improvisé procureur et enquêteur. Il a convoqué
Abdelmajid Aluiz, l'a sermonné, puis l'a accompagné à son domicile
(celui d'Aluiz), et lui a confisqué son ordinateur personnel. Ensuite,
il a rédigé des faux rapports qu'il a adressés à des individus puissants
du pouvoir, mettant en garde contre une «conspiration» qui cherche à
divulguer des secrets d'État, ajoutant que ce qui a été publié n'est
qu'un début et qu'il fallait s'attendre à des fuites d'informations plus
importantes. Comme si la Trésorerie générale Marocaine était devenue
soudain la CIA. Toutes ces manigances avaient un but: trainer devant les
tribunaux des cadres de son administration, innocents et honnêtes, mais
qu'il ne contrôle pas.
Le ministre Baraka, au lieu d'ouvrir une enquête interne au sujet de
la légalité de ces primes, qui, en plus, provenaient de caisses noires, a
préféré demander l'autorisation du Chef du Gouvernement pour poursuivre
en justice le directeur adjoint, Abdelmajid Aluiz, ingénieur et diplômé
de l'Ecole Nationale de l'Administration de Paris, et son ami Mohamed
Rida, ancien trésorier régional de Casablanca, diplômé de l'Université
Harvard aux USA. La charge est la divulgation du secret professionnel.
Benkirane, qui n'arrête pas de parler de ses plans pour lutter contre la
corruption, a donné son accord sans se soucier ni de la nouvelle
constitution, qui donne aux citoyens le droit d'accéder à l'information,
ni de son programme gouvernemental qui appelle à la transparence et à
l'intégrité. Le dossier est ainsi bien arrivé au ministère de la
Justice, et ensuite à la Police judiciaire qui s'est appuyé sur des
appels téléphoniques entre Mohamed Rida et notre journal, pour l'accuser
de complicité avec Abdelmajid Aluiz dans la fuite de documents
« secrets ».
De la Brigade Nationale de la Police Judiciaire, le dossier est
arrivé au tribunal. Aujourd'hui (18 janvier) la cour entame l'audition
des plaidoiries de la défense, ainsi qu'au témoignage à décharge de
Mohamed Achik, un ingénieur de l'Ecole des Mines de Paris, qui, dès
qu'il a accepté de témoigner en faveur de son collègue Aluiz, a fait
l'objet d'une mutation punitive de la part de Bensouda. D'autres
fonctionnaires ont refusé d'accuser réception les demandes de
comparution devant le tribunal, après avoir fait des déclarations
contradictoires chez la police judiciaire.
Les documents ne sont pas secrets, et devaient être publiés au
bulletin officiel. Les primes sont illégales et la police judiciaire
devait interroger plutôt les deux bénéficiaires, Mezouar et Bensouda,
comme l'avait ordonné le ministre de la Justice. Sauf que ses ordres ne
sont pas toujours obéis.
Tout cela a provoqué un débat sans précédent au Parlement, et un
début de consolation pour les trois ingénieurs intègres. En effet,
lorsque le Ministère des Finances a présenté son projet de Loi de
finance au Parlement, plusieurs parlementaires, dans la majorité et dans
l'opposition, se sont intéressés au statut de ces obscurs comptes
spéciaux et comptes de trésorerie, où sont puisées ces primes, alors et
qui sont gérés clandestinement en dehors du budget général de l'Etat.
Ces parlementaires ont ainsi exigé la réintégration de ces comptes au
niveau des recettes et dépenses ordinaires du budget (les ressources
proviennent entre autres des intérêts générés par les comptes de
particuliers ouverts auprès de la Trésorerie générale, qui joue le rôle
de banque). En un mot, ils ont demandé une gestion transparente de ces fonds.
Le ministre Istiqlalien des Finances, Baraka, a d'abord résisté aux
propositions d'amendements du parlement. Devant l'insistance des
députés, il a accepté d'ajouter l'article 18 bis, qui permettait un
début de transparence en 2015. Le spectacle s'anime. Comme le camp des
ripoux ne lâche jamais facilement, il a trouvé le moyen de glisser un
document illégal dans la copie du projet de loi de finances qui a été
distribué au sein de la deuxième chambre. Ce papier bâtard et anonyme
mentionne une « erreur matérielle » dans la rédaction de l'article 18.
En fait, « la correction de l'erreur » avait pour but de vider
l'amendement de sa substance, mais ce coup de poker n'a pas réussi et le
scandale éclata. Mal dans ses petits souliers, le ministre des Finances
a été contraint de retirer le papier de l'« erreur matérielle », les
fonds de la honte et les comptes spéciaux seront dénudés.
Merci aux trois ingénieurs, dont les noms et les sacrifices vont
marquer la mémoire de la transparence. Quant à la presse, elle a encore
devant elle un chemin parsemé d'épines et de difficultés, simplement
parce qu'elle met à nu les faits, et montre à la société son vrai
visage.
http://fr.lakome.com/index.php/politique/283-leur-crime-la-lutte-contre-la-corruption
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