Par JP
Le Marec, novembre
2012
Après la mise en place du nouveau
gouvernement français, des associations de solidarité avec le peuple sahraoui (Association
des Amis de la RASD, AFASPA,
CORELSO...) ont adressé des courriers sur la question sahraouie au président de
la République, au premier ministre, au ministre des Affaires étrangères mais
aussi aux ministres de l'Agriculture et du Développement qui avaient exprimé
leur intérêt pour la cause sahraouie avant d'être ministres.
L'objectif
de ces interventions était d'obtenir un changement de cap de la politique du
gouvernement français qui soutenait, jusqu'à présent, les thèses marocaines
concernant le Sahara occidental, que ce soit sur les droits de l'Homme ou le
droit international. Ces courriers s'appuyaient sur le discours du président de
la République: "La France respectera
tous les peuples, elle sera partout fidèle à la vocation qui est la sienne,
défendre la liberté des peuples, l'honneur des opprimés" et faisaient
référence au soutien au droit à l'autodétermination du peuple sahraoui apporté
par l'Internationale socialiste et Jean-Marc Ayrault, quand il était président
du groupe socialiste à l'Assemblée nationale.
Ces
courriers ont reçu des réponses écrites et ont débouché sur des rencontres avec
les services concernés:
Premier ministre
Le
conseiller diplomatique de Jean-Marc Ayrault, Laurent Pic, ancien collaborateur
du ministère des Affaires étrangères, a reçu le
5 octobre une délégation composée de Jean-Paul Le Marec, Claude Mangin
et Aline Pailler. L'échange, qui a duré plus d'une heure, a été assez vif. Pour
le conseiller, le gouvernement a tiré les enseignements des révoltes des
peuples arabes en voulant aujourd'hui "accompagner
la transition dans les pays du Maghreb". La situation serait "différente" au Maroc qui a
tenu des élections démocratiques, modifié sa Constitution et aide la société
civile à se structurer. Par contre, il juge que la société est bloquée en
Algérie qui est en retard sur le plan des réformes. Tout au long de la
discussion, il a précisé que la France faisait preuve de "prudence" et refusait d'être "instrumentalisée" mais avec une tendance lourde à
renvoyer la question sahraouie à un conflit entre l'Algérie et le Maroc. Il n'a
pas réfuté les témoignages apportés sur les violations des droits de l'Homme,
la répression des manifestations, les emprisonnements arbitraires...et a
précisé que la France envoyait régulièrement des messages au Maroc sur les droits
de l'Homme "dans le respect de sa
souveraineté".
A
la lecture de la réponse du 8 juin 2010
à l'AARASD de Jean-Marc Ayrault, qui demandait "le respect du droit
international et du droit à l'autodétermination des peuples colonisés", il
s'est contenté de faire remarquer que M. Ayrault était alors président du groupe
socialiste à l'AN. Interpellé sur la réponse de Laurent Fabius au CORELSO, qui soutient
le plan d'autonomie marocain, il a précisé que cette position du ministère des
Affaires étrangères était celle du gouvernement français...c'est-à- dire la
même que celle du gouvernement Sarkozy-Fillon-Juppé!
Ministère des
Affaires étrangères
La
réponse du MAE (signée par Laurent Fabius) au CORELSO précise: " La France
considère que le plan marocain d'autonomie de 2007 est la seule proposition
réaliste aujourd'hui sur la table et constitue la base la plus crédible et
sérieuse d'une solution juste et durable". Comme il l'avait proposé dans
cette lettre, une rencontre a été organisée au ministère. Le 22 octobre, une
délégation composée de Michèle Decaster, Jean-Paul le Marec, Bachir Moutik, Pierre
Toutain a été reçue par Yannick Samson (Sous-direction Afrique du Nord, Maroc -
Sahara occidental), Philippe Voiry et Marie-Laure Charrier (Direction des
Nations unies et des organisations internationales).
L'échange
a porté essentiellement sur les droits de l'Home et le droit
international. Yannick Samson et
Philippe Voiry sont allés dans les territoires occupés où ils ont rencontré des
responsables d'associations sahraouies des droits de l'Homme "après avoir
demandé aux autorités marocaines la possibilité de rencontrer des organisations
non autorisées", laissant entendre que leurs visites n'étaient pas
totalement indépendantes du pouvoir marocain. Ils ont fait état des "énormes efforts" faits par le
Maroc en matière de droits de l'Homme; le rôle de la France est d'accompagner
ces efforts "dans le respect de la
souveraineté du Maroc". Ils ont rendu hommage au Conseil National des Droits
de l'Homme (CNDH) et à son indépendance en faisant référence à la "respectabilité" de son
président. Bien que les associations marocaines des droits de l'Homme (AMDH,
ASDHOM...) ne fassent pas confiance au CNDH, qu'elles considèrent comme un
instrument non indépendant aux mains du roi, la délégation du MAE s'est contentée de souligner:" L'indépendance, cela se construit (...) Il faut lui laisser le
temps".
A la question: "La France va-t-elle enfin accepter au
Conseil de sécurité l'extension du mandat de la Minurso à la surveillance des droits
de l'Homme", la délégation du MAE a répondu que le gouvernement
français n'y était pas favorable, notamment "pour ne pas indisposer le
Maroc" et préférait l'envoi de rapporteurs spéciaux des Nations unies
(comme la récente mission de Juan Mendes, rapporteur spécial sur la torture)
qui est plus efficace pour un suivi
international dans le domaine des droits de l'Homme. Tout en précisant que
l'Ambassade de France au Maroc suivait le procès de Salé et envoyait des
missions au Sahara occidental, la délégation du MAE n'a rien trouvé à redire à
la poursuite des 24 de Salé devant un tribunal militaire, contribuant ainsi à justifier
les graves accusations portées contre les militants sahraouis bien qu'ils
soient tous des civils et, pour la plupart, défenseurs des droits de l'Homme.
Concernant
l'application du droit international, la délégation du MAE a précisé que la
France voulait œuvrer "dans un
esprit non partisan" à la résolution du conflit dans le cadre de l'ONU
mais qu'il fallait "rechercher le
consentement des deux parties". Effectivement, comme l'a précisé le
ministre des Affaires étrangères dans sa réponse au CORELSO, le gouvernement
soutient le plan d'autonomie marocain parce qu'il est "la base la plus crédible" pour une solution au conflit.
Cette position unilatérale ne prend pas en compte la position du Front
Polisario qui a accepté d'inclure l'autonomie dans les questions qui seraient
soumises au référendum qui reste le seul moyen de respecter la légalité
internationale fondée sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Une
prochaine rencontre devrait se tenir au MAE avant le vote de la résolution à
l'ONU en avril 2013 mais en recherchant un contact avec les conseillers
politiques du ministre.
Ministère de
l'agriculture
Sur
proposition du ministre, Stéphane Le Foll, le
conseiller diplomatique Jean-Christophe Roubin a reçu le 26 octobre une
délégation composée de Jean-Paul Le Marec et Régine Villemont.
L'échange,
très intéressant et constructif, a porté surtout sur les accords du Maroc dans les
secteurs de l'agriculture et de la pêche mais il a également permis de faire un
tour d'horizon sur l'application du droit international car le ministre se dit
toujours intéressé par la question sahraouie. JC Roubin a confirmé que le Maroc
avait très mal reçu le rejet par le Parlement européen en décembre 2011 de la
prolongation de l'accord de pêche UE-Maroc; le soir même du vote, il avait
obligé tous les bateaux communautaires (essentiellement espagnols) de quitter
les lieux de pêche. La Commission devrait présenter de nouvelles propositions
pour la reprise de cet accord (dossier à suivre). JC Roubin a conseillé de
prendre contact avec un conseiller du ministre de la pêche qui suit cet accord.
Il a toutefois tenu à préciser que, si l'accord n'était pas repris, les zones
de pêche seraient attribuées à des pays tiers, notamment Corée du Sud, Japon,
Chine.
Il
reconnait qu'il y a un problème avec les produits agricoles provenant des
territoires occupés(par exemple les tomates de Dakhla) mais il a mis en avant
l'intérêt de la France à importer des produits agricoles du Maroc pour pouvoir
exporter et investir (construction d'un TGV...) tout en refusant que
l'agriculture serve de monnaie d'échange dans les relations commerciales.
Il
s'est dit prêt à relayer auprès des groupes socialistes à l'Assemblée nationale
et au Sénat la demande de la délégation de mettre en place des groupes d'études
sur le Sahara occidental.
Il a informé la délégation que le ministre
Stéphane Le Foll accompagnera François Hollande dans ses déplacements en
Algérie en décembre et au Maroc en janvier.
"Le
changement c'est maintenant!"Mais maintenat c'est quand?
Quelles
conclusions tirer de ces courriers et rencontres? C'est la première fois qu'une
délégation des associations de soutien à la cause sahraouie est reçue au
cabinet du premier ministre et que des réponses sont adressées depuis l'Elysée.
Dans
les réponses aux courriers et les rencontres, on peut remarquer que la question
sahraouie n'est pas négligée par le gouvernement. Les échanges ont été
intéressants même s'il faut regretter qu'il n'y ait pas eu d'engagement concret
pour un véritable changement de la position du gouvernement qui reste
sensiblement la même que celle du gouvernement précédent. Elisabeth Guigou,
présidente de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale,
l'a confirmé récemment en allant au Maroc soutenir le plan marocain d'autonomie
juste après la visite de Christopher Ross, envoyé spécial du secrétaire général
de l'ONU.
Il
convient toutefois de noter des appréciations différentes selon les
interlocuteurs. Si le MAE confirme son soutien au plan marocain d'autonomie
(position officielle du gouvernement selon le conseiller diplomatique du
premier ministre), le conseiller Afrique du Nord du président de la République
n'y fait pas référence dans sa réponse à l'AARASD :"La France est attachée
au droit international et au respect des droits de l'Homme dont tous les
citoyens du monde, y compris les habitants du Sahara occidental, doivent
pouvoir bénéficier. Elle continuera à soutenir les efforts de négociation et de
pourparlers informels sous l'égide des Nations unies en faveur des droits des
populations locales. Elle considère en effet que seul le dialogue peut
permettre de parvenir à une solution politique réaliste, juste, durable et
mutuellement acceptable à la question du Sahara occidental". Ce texte est
également repris intégralement dans la réponse de Laurent Fabius au CORELSO
mais il y rajoute le soutien au plan d'autonomie.
Ceci
semble confirmer que François Hollande souhaiterait un rééquilibrage de la
position française afin qu'elle soit moins le relai des thèses marocaines comme
du temps de Sarkozy. Les rencontres qu'il aura au Maroc et en Algérie
prochainement devraient apporter de nouveaux éclairages -et il faut l'espérer-
des inflexions!
Quoiqu'il
en soit, même si on peut noter plus d'équilibre dans les expressions et une
plus grande écoute, force est de constater que la position du gouvernement n'a
pas changé sur le fond. On est encore loin des engagements rappelés par Jean-Marc
Ayrault quand il était président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale
et réaffirmés régulièrement par l'Internationale socialiste (dont le PS est un
membre important). Nous devons donc maintenir la pression sur le gouvernement
et les élus, notamment socialistes, pour
obtenir un véritable changement de la position gouvernementale afin qu'elle
soit pleinement respectueuse du droit international qui ne peut être appliqué que
par l'organisation du référendum d'autodétermination, seul moyen de permettre
au peuple sahraoui de décider librement et démocratiquement de son avenir.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire