par Salah Elayoubi, 27/11/2012
« En vérité, quand les rois entrent dans une cité, ils la
corrompent, et font des plus honorables de ses citoyens des humiliés.
Et c’est ainsi qu’ils agissent. »
Le Coran, Sourate 27, verset 34 : « An-naml » (Les fourmis)
Les
grecs, initiateurs de la démocratie avaient très tôt, compris la vertu
du dialogue sur l’affrontement. Ils avaient érigé l’Agora en lieu
central de leurs débats qu’ils fussent commerciaux, sociaux, politiques,
religieux, militaires ou autres.
C’est cette culture du verbe et de l’écoute et cette intuition
précoce de la vie de la cité qui avaient permis à ce peuple génial et
précurseur de bâtir l’empire que l’on sait. Faire rayonner depuis un
lieu géographiquement étriqué et structurellement figé, des débats à
géométrie aussi variable que la philosophie ou les affaires militaires,
relève du génie et de l’intelligence qui feront plus tard, le distinguo
entre les grandes nations et les petites, entre pays évolués et contrées
sous développés, entre démocraties et dictatures.
L’empire romain qui prendra plus tard la relève de la Grèce,
reconduira, malgré une puissante machine militaire et les conquêtes
innombrables qu’elle a autorisées, le même procédé, avec son forum
romain où la parole et le débat avaient tous privilèges.
Des siècles plus tard, la Grande-Bretagne à l’empire finissant, se
convainquait en 1872 de la nécessité de laisser s’exprimer, hors du
Palais de Westminster, siège des institutions parlementaires, les plus
obscurs de ses citoyens.
Hyde Park, une audition au « Speakers’ Corner »
Le « Speakers’ Corner » était né, imité plus tard en Australie, au
Canada, aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, à Singapour et ailleurs.
Au Nord-Est de Hyde Park, à Londres, il n’est donc pas rare de voir,
ainsi, s’exprimer le plus librement, les « Speakers » les plus sérieux,
comme les plus fantasques. Les plus talentueux comme les plus
indigents. Les plus pertinents comme les plus futiles.
Sont abordés les sujets les plus loufoques, comme les plus vitaux.
Déjections canines sur les trottoirs londoniens, réchauffement
climatique, guerre d’Irak, indépendance de l’Ecosse ou la dernière tenue
de l’épouse du prince Williams. Tout y passe. Tant et si bien qu’il est
un sujet que reprennent avec récurrence, dans les allées du célèbre
parc londonien, les détracteurs de la couronne britannique, évoquant
pêle-mêle son coût de revient, ses dépenses somptuaires, la liste civile
de la reine, son train de vie ou encore la fatuité et l’obsolescence de
la monarchie.
Au
Maroc, où l’on se plaît tant du côté du Méchouar à se comparer à
Buckingham Palace, il existe également un « Speakers’ Corner », la place
Jemaa El Fna, avec toutefois un bémol notable, que les orateurs
s’auto-censurent, évitant, avec une prudence de sioux, les sujets qui
fâcheraient les sicaires pléthoriques de Sa Majesté, toujours en maraude
sur la célèbre place.
Cette Agora qui tutoie à la fois l’exotisme et le moyenâgeuse est le
tenant et le corollaire de ce « Maroc de la tradition », que le régime
marocain rêverait de voir se perpétuer à son grand bénéfice. N’y ont
droit de cité que la clownerie, la supercherie, la superstition, le
contorsionnisme, l’amuse-gueule et la sandwicherie.
Affabulation, illusionnisme et tagines donc ! Répertoire immuable et
indigne servi, jusqu’à la nausée, par une monarchie prédatrice et
confiscatoire qui se plaît volontiers à se comparer à son homologue
britannique, mais qui n’a pas une once de l’humour, ni un soupçon du
fair-play de la reine envers ses détracteurs.
Les manifestants qui entendaient s’insurger ce dimanche 18 novembre
contre le budget pharaonique du palais royal, l’ont appris à leurs
dépens !
Une pure « Hogra »* !
Battus comme plâtre et pourchassés dans les ruelles avoisinant le
parlement, comme de vulgaires criminels, les citoyens n’exprimaient
pourtant rien de plus que ce que pensent la majorité du peuple marocain
étranglé par une misère grandissante et des privations quotidiennes.
Le journal électronique Lakome.com s’est livré à un sondage d’opinion
format réduit auprès d’un échantillon de trois mille trois cent
quarante deux citoyens, (3342) à propos du budget du palais. A une
majorité écrasante de plus de quatre vingt cinq pour cent, (85%) les
sondés estiment que le budget est trop élevé et mériterait une révision à
la baisse. Le résultat, pour accablant qu’il est, ne reflète pourtant
pas toute la réalité, tant les réflexes de peur et de prudence
tenaillent encore nos compatriotes, compte tenu de la répression sévère
qui s’en prend avec sauvagerie à tous ceux qui contestent à la monarchie
l’un ou l’autre de ses privilèges exorbitants.
Le budget que s’apprêtent à voter, sans coup férir les parlementaires
est de deux milliards six cent millions de dirhams, (2,6 milliards),
soit deux cent trente quatre millions d’euros (234 millions).
Comparaison de quelques budgets avec celui de la monarchie marocaine
C’est le premier concerné, le roi lui-même qui détermine ses
prévisions budgétaires d’année en année, avant de les faire inscrire,
dans le projet de loi de finances à voter par le parlement. Si la
procédure ne fait jusque là, pas exception à la règle qui prévaut
partout ailleurs, dans le monde, c’est sur la forme et sur le fond que
réside la particularité du cas marocain.
En effet, si les budgets des ministères sont discutés rubrique par
rubrique, ligne par ligne et au cas par cas, par le ministère des
finances et les commissions parlementaires, celui de la monarchie relève
du tabou et sa reconduite tient de l’automatisme. L’indexation sur le
coût de la vie aussi.
Plus grave, alors que les ministères bataillent sans discontinuer
tout au long de l’année budgétaire, pour faire passer leurs bons de
paiement auprès de contrôleur des engagements et dépenses d’un ministère
des finances sourcilleux, puis auprès du contrôleur de la trésorerie
générale, l’administration du palais a droit à un traitement de faveur
qui la dispense des rejets des organes de contrôle. Et si d’aventure,
malgré les dépenses somptuaires et le train de vie fastueux, le palais
n’arrivait pas à consommer toutes ses lignes de crédit, les avoirs sont
ainsi reconduits d’une année à l’autre. Les autres départements ne
peuvent pas en dire autant, beaucoup des lignes de crédits non consommés
sont purement et simplement supprimées, pour le plus grand malheur des
départements comme la santé, l’éducation nationale, l’équipement,
l’habitat………
Enfin degré supplémentaire dans l’injustice, l’arrogance et le
mépris, le palais a toute latitude pour décider de la création des
postes budgétaires qu’il entend, sans jamais avoir à les justifier.
Ainsi, dans ce drôle d’ »Etat de droit », comme ils disent, dans
cette démocratie d’exception, trente millions de marocains, dont une
grande partie flirte avec la misère, se voient dans l’obligation
d’entretenir l’un des monarques les plus riches au monde. Et si, comme
ce fameux dimanche, il leur prenait l’envie de lui contester son train
de vie, il leur en cuirait à la minute même où il le manifesterait.
Autant le dire, cette étrange conception de la démocratie nous renvoie
aux méthodes d’extorsion de la mafia.
Place Jamaa El Fna, à Marrakech
Dire que Mohamed VI participe à l’appauvrissement de son peuple
relève du plus édulcoré et du plus doux des euphémismes. Jamais un
titre royal n’aura été à ce point mérité que celui de « Roi des
pauvres ».
Malgré l’énormité de la ficelle, l’intéressé ne manifeste pourtant
aucune gêne, pour l’effet d’aubaine dont il profite honteusement.
Et tel un coulis de boue nauséabonde, l’exemple de cette monarchie
cupide, affairiste et arrogante dégouline sur la pyramide du pouvoir et
de la société marocaine et contamine, progressivement les moindres de
leurs rouages. Comment s’étonner de la course à l’enrichissement et le
mépris de la chose publique qui se sont emparés de nos politiciens et de
nos élites ?
Personne ne semble même plus s’étonner de voir se constituer des
empires financiers aux origines les plus sombres, à l’ombre de
l’institution monarchique.
Ce dimanche 18 novembre fut, somme toute, un dimanche comme les
autres en terre marocaine : alors que les tenants de la démocratie
étaient en quête d’une Agora digne de ce nom, pour y prêcher la justice
et la dignité au nom de leurs semblables, ceux du despotisme officiaient
pour dispenser les invectives, les coups et la proverbiale « Hogra »
makhzenienne !
L’histoire qui s’est irrémédiablement mise en marche, se chargera un jour, de séparer le bon grain de l’ivraie.
*Hogra : mépris
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