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jeudi 29 novembre 2012

L’Agora et la « Hogra »

par Salah Elayoubi, 27/11/2012
« En vérité, quand les rois entrent dans une cité, ils la corrompent, et font des plus  honorables de ses citoyens des humiliés. Et c’est ainsi qu’ils agissent. »
Le Coran, Sourate 27, verset 34 : « An-naml » (Les fourmis)

Les grecs, initiateurs de la démocratie avaient très tôt, compris la vertu du dialogue sur l’affrontement. Ils avaient érigé l’Agora en lieu central de leurs débats qu’ils fussent commerciaux, sociaux, politiques, religieux,  militaires ou autres.

C’est cette culture du verbe et de l’écoute et cette intuition précoce de la vie de la cité qui avaient permis à ce peuple génial et précurseur de bâtir l’empire que l’on sait.  Faire rayonner depuis un lieu géographiquement étriqué et structurellement figé, des débats à géométrie aussi variable que la philosophie ou les affaires militaires, relève du génie et de l’intelligence qui feront plus tard, le distinguo entre les grandes nations et les petites, entre pays évolués et contrées sous développés, entre démocraties et dictatures.
L’empire romain qui prendra plus tard la relève de la Grèce, reconduira, malgré une puissante machine militaire et les conquêtes innombrables qu’elle a autorisées, le même procédé, avec son forum romain où  la parole et le débat avaient tous privilèges.
Des siècles plus tard, la Grande-Bretagne à  l’empire finissant, se convainquait en 1872 de la nécessité de laisser s’exprimer,  hors du Palais de Westminster, siège des institutions parlementaires, les plus obscurs de ses citoyens.

Hyde Park, une audition au « Speakers’ Corner »

 Le « Speakers’ Corner » était né, imité plus tard en Australie, au Canada, aux Etats-Unis, aux  Pays-Bas, à Singapour et ailleurs.
Au Nord-Est de Hyde Park, à Londres, il n’est donc pas rare de voir, ainsi,  s’exprimer le plus librement, les « Speakers » les plus sérieux, comme les plus fantasques. Les plus talentueux comme les plus indigents. Les plus pertinents comme les plus futiles.
Sont abordés les sujets les plus loufoques, comme les plus vitaux.  Déjections canines sur les trottoirs londoniens, réchauffement climatique, guerre d’Irak, indépendance de l’Ecosse ou la dernière tenue de l’épouse du prince Williams. Tout y passe. Tant et si bien qu’il est un sujet que reprennent avec récurrence, dans les allées du célèbre parc londonien, les détracteurs de la couronne britannique, évoquant pêle-mêle son coût de revient, ses dépenses somptuaires, la liste civile de la reine, son train de vie ou encore la fatuité et l’obsolescence de la monarchie.

Au Maroc, où l’on se plaît tant du côté du Méchouar à se comparer à Buckingham Palace, il existe également un « Speakers’ Corner », la place Jemaa El Fna, avec toutefois un bémol notable, que les orateurs s’auto-censurent, évitant, avec une prudence de sioux,  les sujets qui fâcheraient les sicaires pléthoriques de Sa Majesté, toujours en maraude sur la célèbre place.
Cette Agora qui tutoie à la fois l’exotisme et le moyenâgeuse est le tenant et le corollaire de ce « Maroc de la tradition »,  que le régime marocain rêverait de voir se perpétuer à son grand bénéfice. N’y ont droit de cité que la clownerie, la supercherie, la superstition, le contorsionnisme, l’amuse-gueule et la sandwicherie.
Affabulation,  illusionnisme et tagines donc ! Répertoire immuable et indigne servi, jusqu’à la nausée,  par une monarchie prédatrice et confiscatoire qui se plaît volontiers à se comparer à son homologue britannique, mais  qui n’a pas une once de l’humour, ni un soupçon du fair-play de la reine envers ses détracteurs.

Les manifestants qui entendaient s’insurger ce dimanche 18 novembre contre le budget pharaonique du palais royal, l’ont appris à leurs dépens !
Une pure « Hogra »* !
Battus comme plâtre et pourchassés dans les ruelles avoisinant le parlement, comme de vulgaires criminels, les citoyens n’exprimaient pourtant rien de plus que ce que pensent la majorité du peuple marocain étranglé par une misère grandissante et des privations quotidiennes.

Le journal électronique Lakome.com s’est livré à un sondage d’opinion format réduit auprès d’un échantillon de trois mille trois cent quarante deux citoyens, (3342) à propos du budget du palais. A une majorité écrasante de plus de quatre vingt cinq pour cent, (85%) les sondés estiment que le budget est trop élevé et mériterait une révision à la baisse. Le résultat, pour accablant qu’il est, ne reflète pourtant pas toute la réalité, tant les réflexes de peur et de prudence tenaillent encore nos compatriotes, compte tenu de la répression sévère qui s’en prend avec sauvagerie à tous ceux qui contestent à la monarchie l’un ou l’autre de ses privilèges exorbitants.
Le budget que s’apprêtent à voter, sans coup férir les parlementaires est de deux milliards six cent millions de dirhams, (2,6 milliards), soit deux cent trente quatre millions d’euros (234 millions).
 
Comparaison de quelques budgets avec celui de la monarchie marocaine

C’est le premier concerné, le roi lui-même qui détermine ses prévisions budgétaires d’année en année, avant de les faire inscrire, dans le projet de loi de finances à voter par le parlement. Si la procédure ne fait jusque là, pas exception à la règle qui prévaut partout ailleurs, dans le monde, c’est sur la forme et sur le fond que réside la particularité du cas marocain.
En effet, si les budgets des ministères sont discutés rubrique par rubrique, ligne par ligne et au cas par cas, par le ministère des finances et les commissions parlementaires, celui de la monarchie relève du tabou et sa reconduite tient de l’automatisme.  L’indexation sur le coût de la vie aussi.
Plus grave, alors que les ministères bataillent sans discontinuer tout au long de l’année budgétaire, pour faire passer leurs bons de paiement auprès de contrôleur des engagements et dépenses d’un ministère des finances sourcilleux, puis auprès du contrôleur de la trésorerie générale, l’administration du palais a droit à un traitement de faveur qui la dispense des rejets des organes de contrôle. Et si d’aventure, malgré les dépenses somptuaires et le train de vie fastueux, le palais n’arrivait pas à consommer toutes ses lignes de crédit, les avoirs sont ainsi reconduits d’une année à l’autre. Les autres départements ne peuvent pas en dire autant, beaucoup des lignes de crédits non consommés sont purement et simplement supprimées, pour le plus grand malheur des départements comme la santé, l’éducation nationale, l’équipement, l’habitat………
Enfin degré supplémentaire dans l’injustice, l’arrogance et le mépris, le palais a toute latitude pour décider de la création des postes budgétaires qu’il entend, sans jamais avoir à les justifier.
Ainsi, dans ce drôle d’ »Etat de droit », comme ils disent, dans cette démocratie d’exception, trente millions de marocains, dont une grande partie flirte avec la misère, se voient dans l’obligation d’entretenir l’un des monarques les plus riches au monde. Et si, comme ce fameux dimanche, il leur prenait l’envie de lui contester son train de vie, il leur en cuirait à la minute même où il le manifesterait. Autant le dire, cette étrange conception de la démocratie nous renvoie aux méthodes d’extorsion de la mafia.

Place Jamaa El Fna, à Marrakech

Dire que Mohamed VI participe à l’appauvrissement de son peuple relève du plus édulcoré et du plus doux des euphémismes.  Jamais un titre royal n’aura été à ce point mérité que celui de « Roi des pauvres ».
Malgré l’énormité de la ficelle, l’intéressé ne manifeste pourtant aucune gêne, pour l’effet d’aubaine dont il profite honteusement.
Et tel un coulis de boue nauséabonde,  l’exemple de cette monarchie cupide, affairiste et arrogante dégouline sur la pyramide du pouvoir et de la société marocaine et contamine, progressivement les moindres de leurs rouages. Comment s’étonner de la course à l’enrichissement et le mépris de la chose publique qui se sont emparés de nos politiciens et de nos élites ?
Personne ne semble même plus s’étonner de voir se constituer des empires financiers aux origines les plus sombres, à l’ombre de l’institution monarchique.

Ce dimanche  18 novembre fut, somme toute, un dimanche comme les autres en terre marocaine : alors que les tenants de la démocratie étaient en quête d’une Agora digne de ce nom, pour y prêcher la justice et la dignité au nom de leurs semblables, ceux du despotisme officiaient pour dispenser les invectives, les coups et  la proverbiale « Hogra »  makhzenienne !
L’histoire qui s’est irrémédiablement mise en marche, se chargera un jour, de séparer le bon grain de l’ivraie.
 *Hogra : mépris

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