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lundi 30 novembre 2009

Débat Besson : une police des étrangers et une police de la pensée au service de l'identité nationale

Par Bernard Girard, Agoravox, 30/11/2009


Pire que tout ce qu’on imaginait. 
 La circulaire envoyée par Besson aux préfets dans le cadre du débat sur l’identité nationale décline jusqu’au ridicule tous les stéréotypes traditionnellement attachés à ce type de question. Avec au final un acharnement, une obstination lourds de menaces pour les libertés.
En affirmant dans le préambule que le débat « répond aux préoccupations soulevées par la résurgence de certains communautarismes, dont l’affaire de la Burqa est l’une des illustrations », Besson accrédite d’emblée la thèse de la menace islamique, même si, comme on le sait, l’Islam est étranger à cette tradition vestimentaire, en outre extrêmement marginale en France. Mais les limites du débat ont au moins le mérite d’être clairement définies : comment protéger l’identité nationale de la menace étrangère ?
De façon perverse, car dissimulée derrière des interrogations qui, sous une apparence ouverte, ferment en réalité le débat, le questionnaire adressé aux préfets énumère, dans une logorrhée aberrante et confuse, tous les fantasmes du ministre de l’immigration : « la cohabitation entre communautés vivant séparément est-elle possible dans notre République/ dans notre Nation ? Notre République/ notre Nation est-elle multiculturelle ? » (§1.7). De l’immigration à la délinquance, il n’y a qu’un pas, franchi sans scrupule par un ministre qui, à travers le débat, cherche à légitimer sa politique de rafles policières et de camps d’internement : « Comment éviter l’arrivée sur notre territoire d’étrangers en situation irrégulière, aux conditions de vie précaires génératrices de désordres divers (travail clandestin, délinquance) et entretenant, dans une partie de la population, la suspicion vis-à-vis de l’ensemble des étrangers ? » (§1.7).
Pour Besson, si l’identité nationale est mise à mal par le communautarisme « ethnique, racial, religieux, social », il n’imagine pas que l’exaltation du sentiment national soit une forme de communautarisme. Décidément obsédé par « les signes ostentatoires d’appartenance religieuse », il s’interroge : « la République doit-elle aller plus loin dans la lutte contre le communautarisme », confondant dans un même regard « appartenance religieuse » et « communautarisme » (§1.8). Ne nous voilons pas la face : le Musulman, réduit à son particularisme, sera toujours inassimilable...
Lutte contre l’immigration d’un côté, et de l’autre, promotion d’une identité nationale tellement ringarde que le débat vire au pathétique. Pour Besson, la définition de cette identité est à chercher dans une consternante liste de propositions, inspirée par Déroulède ou par le Café du commerce.
Parmi les items constitutifs de l’identité nationale (§1.2), on note en vrac « nos valeurs » - mais on ne sait pas lesquelles ; « notre histoire » - l’histoire de qui ? Des Capétiens directs, des paysans bas-bretons, des maçons italiens ou des petits Maghrébins dont la famille vit en France depuis un demi-siècle ? Il faut bien sûr rechercher le désir de vivre ensemble à travers « notre art culinaire, notre vin, notre art de vivre » ou dans un patrimoine exclusivement chrétien, « nos églises et nos cathédrales » : les mosquées, les synagogues ou les temples protestants ne peuvent évidemment prétendre au qualificatif de patrimonial. Curieusement, le questionnaire prend la forme surannée des catéchismes d’autrefois, appris par cœur, dans lesquels chaque question induit la réponse attendue.
On le pressentait depuis le début, cette circulaire aux préfets le confirme : le débat est biaisé. A aucun moment, le questionnement sur l’identité nationale n’offre la possibilité de dépasser le cadre étroit voulu par le ministre. « Le débat – affirme le préambule – doit aussi faire émerger (...) des actions permettant de conforter notre identité nationale et de réaffirmer les valeurs républicaines et la fierté d’être Français ». Nulle part, il n’est suggéré que les « valeurs républicaines » n’ont rien à voir avec une conception étriquée et obsolète de la nation dont il faudrait nécessairement être fier ou que ces valeurs seraient même singulièrement mises à mal par la politique économique et sociale de l’actuel gouvernement.
La nécessité de réaffirmer la fierté nationale apparaît en filigrane tout au long du document à travers ses aspects les plus caricaturaux mais aussi potentiellement lourds de menaces pour les libertés individuelles : il s’agira ainsi ( § 2.3) de « mettre en place dans l’ensemble des 100 préfectures et 350 sous-préfectures des cycles d’instruction civique ouverts à tous : élèves et parents d’élèves, associations, centres de loisir (...) Donner à tous les enfants de France l’occasion de chanter au moins une fois par an la Marseillaise (...) Accroître la place des symboles (drapeau, Marianne) dans l’ensemble des édifices publics ». Pour les récalcitrants, on veillera à « imposer [c’est moi qui souligne] le respect des symboles de la Nation » (§1.13) : par la prison, la contrition publique ? Rappelons au passage qu’aujourd’hui l’ « outrage aux symboles nationaux » est déjà punissable de six mois de prison et de 6500 euros d’amende. Le crime de blasphème n’est pas loin. Les intellectuels, sociologues, historiens, se voient quant à eux sommés de s’expliquer publiquement sur le « malaise » que génère chez certains d’entre eux, la question de l’identité nationale (§1.12).

On le voit, ce qui se met en place, à travers ce débat mystificateur, c’est, parallèlement au renforcement de la police des étrangers, une inquiétante police de la pensée : la liberté de conscience, voire la liberté de parole, sont bridées au nom d’une prétendue défense de l’identité nationale. Le ministère de l’immigration et de l’identité nationale qui, avec Hortefeux, limitait son action – certes avec brutalité – à la chasse aux étrangers, s’arroge aujourd’hui avec Besson des prérogatives dans la formation civique et morale des citoyens. Une formation étayée sur les pires égarements de l’extrême-droite.
« Pourquoi nous sentons-nous proches des autres Français, même sans les connaître ? », interroge Besson (§1.1). Il est vrai que si les Français connaissaient mieux certains d’entre eux, ils auraient toutes les raisons de s’en méfier.

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