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lundi 30 novembre 2009

"Un échec remarquable pour un journaliste" – Discours de remerciement pour la remise du Prix du Courage en journalisme 2009

par Amira  HASS. Traduit par Isabelle Rousselot. Édité par Fausto Giudice, Tlaxcala


Fondation internationale des Femmes dans les Médias


Permettez-moi de commencer par une rectification. Quelle impolitesse, penserez-vous avec raison, mais vous savez, de toute façon, nous les Israéliens, nous sommes pardonnés pour des fautes bien pires que l'impolitesse.

Ce qui est généreusement récompensé aujourd'hui par la Fondation internationale des Femmes dans les Médias comme la réussite de ma vie* doit être rectifié. Car c'est un échec. Rien de plus qu'un échec. L'échec d'une vie.

D'ailleurs, quand on y pense, la partie "ma vie" est tout aussi discutable : après tout, mon engagement dans le journalisme ne représente qu'un tiers de ma vie.

Et si quand on parle de "ma vie", cela vous donne l'impression que je vais bientôt prendre ma retraite, alors cette impression doit également être corrigée. Je n'ai pas l'intention d'arrêter de si tôt ce que je fais.

Qu'est ce que je fais ? On définit en général mon activité comme celle d'une journaliste spécialisée dans les questions palestiniennes. Mais en fait, mes reportages traitent de la société et de la politique israéliennes, de la Domination et de ses intoxications. Mes sources ne sont pas des documents secrets et de fuites de comptes-rendus de réunions de gens avec du pouvoir et au pouvoir. Mes sources sont les voies publiques par lesquelles les gens asservis sont dépossédés de leur droit à l'égalité en tant qu'êtres humains.

Il y a encore tant à apprendre sur Israël, sur ma société, et sur les décideurs israéliens qui inventent des restrictions comme, par exemple : les étudiants originaires de Gaza ne doivent pas étudier dans une université palestinienne de Cisjordanie située à à peine 70 Km de leur domicile. Une autre interdiction : les enfants (de 18 ans et plus) ne doivent pas rendre visite à leurs parents à Gaza si leurs parents vont bien et sont en bonne santé. S'ils étaient à l'agonie, les responsables israéliens respectueux des ordres, leur permettraient d'aller les voir. Si les enfants ont moins de 18 ans, la visite aurait été autorisée. Mais, d'un autre côté, des parents au second degré ne sont pas autorisés à rendre visite à des frères et sœurs à Gaza, qu'ils soient mourants ou en bonne santé.
C'est une question philosophique intéressante, pas seulement journalistique. Réfléchissons : en quoi est-ce si dérangeant, pour le système israélien, que des pères ou des mères soient ou non en bonne santé ? Qu'est ce qui est si inquiétant dans le fait qu'un gosse choisisse et reçoive une meilleure éducation ? Et ce ne sont que deux exemples de la longue, longue liste des interdictions dictées par Israël.
C'est pareil quand j'écris sur le territoire palestinien de Cisjordanie, qui est progressivement décimé et fragmenté. Il ne s’agit pas seulement des individus privés de leur propriété familiale et de leur moyen de subsistance ; il ne s’agit pas seulement des opportunités de plus en plus réduites des individus confinés dans des enclaves déconnectées et surpeuplées. Il s'agit en fait de parler des compétences des architectes israéliens. C'est un moyen d'apprendre comment l'aménagement israélien sur le terrain contredit les proclamations officielles, un phénomène qui caractérise les actions de tous les gouvernements israéliens, d'hier et d'aujourd'hui. En résumé, il y a assez à faire pour me tenir occupée encore une seconde vie, et au minimum pour tout le reste de ma vie.

Mais, comme je l'ai dit, la vraie rectification se trouve ailleurs. Nous ne devrions pas parler ici de réussite mais plutôt d'échec.

C'est d'avoir échoué à ce qu'Israël et le public international utilisent et assument les termes et les mots corrects qui reflètent la réalité. Pas la langue de bois qui a fleuri depuis 1993 et a été clairement imposée et répandue par ceux qui y ont intérêt.

La terminologie du processus de paix qui a pris le pouvoir, brouille la perception des processus réels qui se produisent : un mélange spécial d'occupation militaire, de colonialisme, d'apartheid, d'autonomie palestinienne limitée dans des enclaves et de démocratie pour les Juifs.

Ce n'est pas mon rôle en tant que journaliste, de faire admettre à mes compatriotes israéliens et juifs que ces procédés sont immoraux et dangereusement imprudents. C'est mon rôle cependant, d'exercer le droit de liberté de la presse afin de fournir des informations et de les diffuser aux gens. Mais comme je l'ai découvert avec douleur, le droit de savoir ne signifie pas un devoir de savoir.

Des milliers de mes articles et x millions de mots se sont évaporés. Ils ne peuvent pas rivaliser avec le langage officiel qui a été volontiers adopté par les médias et qui est utilisé afin de travestir la réalité. Le langage officiel qui encourage les gens à ne pas savoir.

Et pour un journaliste, c'est vraiment un échec remarquable.

* L’expression anglaise pour « récompense pour services rendus » est « lifetime achievement award », littéralement « récompense pour la réussite d’une vie » [NdE]


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Les auteurs souhaitant y participer peuvent envoyer leurs contributions à 
contact@palestinethinktank.com et à tlaxcala@tlaxcala.es.



Source : "A remarkable failure for a journalist"-2009 Courage in Journalism Award Acceptance Speech
Article original publié le 20.10.2009
Sur l’auteure

Isabelle Rousselot et Fausto Giudice sont membres de Tlaxcala
, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d'en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteure, la traductrice, le réviseur et la source.
URL de cet article sur Tlaxcala : http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=9235&lg=fr

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