Par Corse Matin,1/12/ 2009
Au local bastiais de la CGT, Jean-Pierre Battestini aide les travailleurs immigrés qui le sollicitent à être régularisés.
Ils se nomment Hamid, Khaled, Djelloul, Mustapha, Samir ou Hassan et tous ont leurs racines en Afrique-du-Nord.
95 % des travailleurs sans-papiers vivant en Corse viennent en effet d'un pays du Maghreb.
Parmi la douzaine d'entre eux qu'il nous a été donné de rencontrer au local bastiais de la CGT (syndicat membre du collectif défendant leurs intérêts) il n'en est pas un seul qui n'ait pas constitué un dossier, dûment déposé en préfecture et visant à voir leur situation être régularisée.
Un précieux sésame que certains attendent depuis de nombreuses années. Comme une délivrance. En se disant que le jour où ils l'obtiendront sera assurément « le plus beau de leur vie ».
Leur vie, parlons-en justement pour faire un inventaire, non exhaustif, de tout ce dont sont privés ces hommes qui travaillent pourtant durement, très durement même, pour la plupart. Que ce soit dans le bâtiment ou l'agriculture, secteurs qui sont l@e plus amenés à faire appel à eux. Compte tenu de leur pénibilité, il n'y a, il est vrai, pas vraiment foule au portillon de ces métiers.
Photo : Gérard BaldocchiDes portes qui ne peuvent s'ouvrir
Sans-papiers. Un terme que l'actualité a fini, comme beaucoup d'autres avant lui, par banaliser. Au point que le citoyen n'ayant pas à mener cette existence clandestine ne saurait, sauf à réfléchir un petit moment à la question, s'imaginer combien il dissimule de peurs et de frustrations.
Si nombreuses au demeurant que cette vie n'en est pas vraiment une. Celle, du moins, d'un être humain du XXIe siècle, étant entendu qu'elle ne saurait, comme celle d'une bête, se résumer à ces trois activités principales que sont manger, dormir et travailler. Et encore ne parle-t-on ici que d'un animal de labeur, celui de compagnie étant en effet dispensé de la troisième !
La vie d'un homme, ce doit effectivement être « autre chose » en ce sens qu'elle doit pouvoir lui procurer un minimum de plaisir. Celui, notamment, de pouvoir accéder à certaines activités socialisantes, de nature à le divertir ou à l'enrichir sur le plan intellectuel.
Notion qui renvoie à un très grand nombre de portes dont le seuil reste infranchissable pour un « sans papiers ».
Lequel, on l'a dit, a pour premier compagnon, la peur. D'abord celle d'être contrôlé au détour d'une rue, à la sortie d'un commerce (le faciès aidant) ou même sur son lieu de travail. Et, par voie de conséquence - devenue presque systématique - d'être expulsé.
À cette peur de tous les instants, s'ajoute celle, revenant plus ponctuellement à la charge dans les esprits, de tomber malade et de devoir être hospitalisé. Sans assurance sociale, comment payer ? Comment accéder aussi à une rééducation parfois indispensable pour retrouver tous ses moyens physiques et pouvoir de nouveau travailler ?
La mort plutôt que l'expulsion
À ces deux grandes angoisses vient donc se greffer toute une kyrielle de frustrations liées à l'impossibilité de mener une vie plus ou moins normale. Celle, en l'occurrence, d'un immigré en situation régulière... pas toujours rose, mais dont ils rêvent pourtant.
Passer son permis de conduire, acheter une voiture, contracter un crédit : autant de chemins, parmi tant d'autres, sur lesquels il leur est ainsi interdit de s'engager.
Mais il y a plus douloureux encore pour ces déracinés. A savoir, l'impossibilité d'effectuer des séjours dans leur pays, y compris en cas d'événements tragiques tels la perte d'un être cher (un père, une mère, une épouse ou un enfant).
Autant de spoliations morales de nature à provoquer la fragilisation psychologique de ces hommes, comme en témoigne le tragique épisode du 15 novembre dernier à la prison de Borgo, où un jeune ressortissant marocain a choisi de mettre fin à ses jours.
Quand on parle de « travail au noir », c'est ainsi à la même couleur qu'il convient de faire référence pour ce qui concerne la vie de ces hommes, dont la seule et vraie aspiration, aujourd'hui, se résume à l'obtention d'un document.
Une simple feuille de papier qui leur permettrait de sortir de l'ombre. Et tout simplement d'exister... autrement que pour trimer.
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