Ce Belgo-marocain est incarcéré dans une prison au Maroc.
Un prisonnier disposant de la double nationalité, ici belgo-marocaine, peut-il bénéficier de l’assistance consulaire du premier pays quand il est incarcéré dans le second ? C’est le fond de « l’affaire Ali Aarrass », qui venait en degré d’appel ce vendredi devant le tribunal de Bruxelles des référés.
On aurait entendu une mouche voler dans la salle
d’audience ce vendredi matin à Bruxelles. La courte vidéo, sans son,
projetée sur le mur arrière du tribunal glaçait les sangs : l’on y
voyait Ali Aarrass, dans sa misérable cellule marocaine, hébété, sans
forces, montrer à la caméra les ecchymoses qui par dizaines lui
lardaient tout le corps. Le résultat de coups féroces assenés par des
matons. Des images difficiles, qui datent de 2012.
Le tribunal des référés de Bruxelles, siégeant en
appel, entendait les plaidoiries dans « l’affaire Ali Aarrass », du nom
de ce Belgo-Marocain extradé au Maroc par l’Espagne en 2010, torturé
pour lui extorquer des aveux de complicités terroristes qu’il rétracta
ensuite en vain : il a été condamné à 12 ans de prison en 2012. En cause
ici, la volonté d’Ali Aarrass d’obtenir de la Belgique une assistance
consulaire dans sa prison marocaine. En première instance, le tribunal
des référés lui avait donné raison, ce qui avait constitué une surprise,
mais les Affaires étrangères avaient fait appel.
La position de ces dernières a évolué. Elles ne
sous-entendent plus qu’il n’y a pas de preuves qu’Ali Aarrass a été
torturé (il est vrai que l’ONU en a attesté !). Elles ne contestent plus
non plus l’urgence, qui justifie justement la procédure en référé. Mais
elles persistent à estimer que l’assistance consulaire n’est pas une
obligation des Etats, seulement un droit, qu’ils peuvent ou non exercer,
selon leur bon-vouloir. Et la Belgique la refuse toujours dans les cas
de double nationalité. Elles pensent aussi que l’ordonnance « provisoire » rendue en première instance risque d’avoir « des effets irréversibles » sur les relations entre la Belgique et le Maroc. La peur du précédent…
En même temps, l’Etat belge souligne qu’il s’est plié – «
en travaillant d’arrache-pied », a osé
l’avocat Nicolas Angelet – à la décision de première instance du
tribunal siégeant en référé, en demandant au Maroc de laisser le consul
belge au Maroc téléphoner au prisonnier, démarche réitérée une fois et
restée chaque fois sans réponse des autorités marocaines sollicitées.
En outre, a dit Me Angelet, le ministre belge Didier
Reynders qui s’est inquiété dès l’été 2013 auprès de son homologue
marocain du sort d’Ali Aarrass (à la suite d’une grève de la faim et
d’articles de presse, ajoutera-t-on), s’est encore entretenu cette année
du sujet en colloque singulier avec ledit alter ego marocain. « L’action diplomatique est la bonne », a insisté la défense.
Autre argument invoqué par l’Etat belge : même si l’assistance consulaire était octroyée à Ali Aarrass, celle-ci ne serait « pas à même d’assurer la protection que le prisonnier souhaite ». Autrement dit, « il
aurait besoin d’une protection constante, ce que le consul belge, qui
aurait juste le droit de le rencontrer, ne pourrait assurer ».
Impossible, évidemment, d’entrer dans les arcanes de
tous les arguments répertoriés devant la présidente du tribunal Mireille
Salmon par la défense de l’Etat belge. Qui conteste aussi par exemple
l’applicabilité de l’article 1 de la Convention européenne des droits de
l’homme dans ce cas car l’Etat qui exerce l’autorité et le contrôle sur
Ali Aarrass n’est pas la Belgique mais le Maroc.
La défense d’Ali Aaarrass, qui a fait remarquer le caractère « fluctuant et tortueux » des moyens de défense de la Belgique, n’a eu aucun mal à montrer «
la contradiction
» qui existe depuis 2013 : l’Etat refuse une
assistance consulaire mais exerce des pressions diplomatiques sur le
Maroc en faveur du prisonnier. « Le lien juridictionnel entre l’Etat
belge et Ali Aarrass que le premier nie a été pourtant bien été créé
par les interventions dites ’’humanitaires’ du ministère belge des
Affaires étrangères. »
Nicolas Cohen, Dounia Alamat et Christophe Marchand
se sont succédés pour tenter de laminer les arguments de la partie
opposée. En contestant entre autres l’intention d’Ali Aarrass d’exiger
une «
surveillance constante » à son profit. «
Cela voudrait dire que l’assistance consulaire
ne sert à rien, ce qui est faux. Ce que nous demandons, ce sont des
visites plus ou moins régulières, tous les deux mois au moins. Ali ne
connaît personne au Maroc (où il n’a jamais habité avant son
extradition, NDLR), et les voyages sont chers pour sa famille en
Belgique et en Espagne. » Et puis, les visites consulaires, mine de rien, elles ont leur poids…
Par rapport aux efforts allégués mais de toute façon
vains par les Affaires étrangères pour prendre contact avec le
prisonnier belgo-marocain après la décision de première instance, qui
était exécutoire malgré l’appel, Me Marchand nous précise ceci : « L’assistance
consulaire telle que décrite dans la convention de Vienne sur les
relations consulaires du 24 avril 1963, prévoit la visite à la prison,
de même la convention belgo marocaine relative à l’assistance aux
personnes détenues du 7 juillet 1997. Le consul belge doit se rendre à
la prison et pas demander à la prison qu’Ali puisse lui téléphoner ! ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire