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vendredi 13 décembre 2013

Maroc-Afrique du Sud : les dessous d’un gâchis


Homme de paix et de dialogue, Nelson Mandela a tenté par tous les moyens de renforcer les liens entre l’Afrique du Sud et le Maroc. Cette mission est l’un de ses rares échecs. Pourquoi ?
Le Maroc peut-il raisonnablement se passer d’un solide partenariat avec la première puissance continentale ? En tout état de cause, l’histoire de cette relation bilatérale ne fait que se dégrader. Avec plus de 20% de l’ensemble du PIB du continent, l’Afrique du Sud demeure, et de loin, la première puissance économique d’Afrique. Une telle supériorité confère au pays de Nelson Mandela une force de frappe diplomatique loin d’être négligeable. Pourtant, le royaume a gâché toutes les opportunités offertes par l’Histoire de se positionner aux côtés de l’Afrique du Sud et de former ainsi un tandem de choc. Aujourd’hui, les séquelles de la bataille pour l’organisation de la Coupe du monde de football 2010, et surtout la reconnaissance officielle de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), en septembre 2004, semblent entériner la fâcherie entre les deux pays.
Grâce au combat victorieux mené par l’ANC (Congrès national africain) de Nelson Mandela, l’Afrique du Sud jouit d’une image particulière aux yeux du monde. Entre 1948 et 1991, le pays a été sous la coupe du régime de l’Apartheid, qui institutionnalisait une stricte séparation ethnique entre la population noire, largement majoritaire et pauvre, et une fraction minoritaire de blancs qui s’accaparait pouvoir et richesses. Ce régime politique basé sur le racisme a suscité pendant des décennies l’indignation de la communauté internationale et des opinions publiques. L’ONU a certes pris des mesures coercitives à son égard, mais force est de constater que l’odieux régime n’a pu durer dans le temps que grâce à l’appui discret d’un bon nombre de puissances occidentales. Au gré des vents et des intérêts, le Maroc a présenté à l’Afrique du Sud plusieurs de ses facettes, frôlant même la schizophrénie à certaines occasions. Plonger dans l’histoire bilatérale des deux pays génère encore aujourd’hui chez ses acteurs une grande méfiance et surtout une discrétion plutôt énigmatique. Tout porte à croire que les liens complexes entre le royaume chérifien et la nation arc-en-ciel sont loin d’être un conte de fées. Un cas où l’Histoire déteint clairement sur le présent.
Le Maroc, ce grand frère
Entre l’indépendance et le début des années 1960, Rabat n’est plus inconnue des leaders du mouvement anticolonial africain. Le roi Mohammed V jouit d’une belle image de lutte contre l’oppresseur impérialiste. Son exil, suivi d’un retour victorieux, contribue à casser le mythe d’un joug colonial indestructible. En 1956, un grand nombre de pays africains luttent encore pour recouvrer leur indépendance et ne se privent pas de lorgner sur l’expérience marocaine. C’est à cet effet que le royaume souhaite montrer l’exemple en contribuant à la création du groupe dit de Casablanca, qui sera l’un des noyaux de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) au sein du club dit de Casablanca. Dans une époque marquée par la Guerre froide, ce club composé de pays comme l’Egypte, le Ghana, la Guinée-Conakry, le Mali et le GPRA (Gouvernement provisoire de la république algérienne) ambitionne de former un pôle des « non alignés » dans le continent. En Afrique du Sud, l’ANC est en pleine mutation. Après des années de militantisme pacifique improductif, Nelson Mandela crée en 1960 « Umkhonto we Sizwe » (Lance de la nation), qui se veut être la branche armée de l’ANC. Seulement, cette organisation manque de tout. Afin de garantir l’efficacité des actions prévues de guérilla et de sabotage, le jeune Nelson Mandela sait qu’il doit chercher des ressources financières, militaires et humaines auprès des gouvernements alliés à sa cause. Madiba, comme le surnomme affectueusement les Sud-africains, a bel et bien coché Rabat dans sa liste des pays à visiter. Il compte énormément sur le soutien du Maroc qui incarne encore un espoir pour les peuples africains en lutte. Après être passé par l’Ethiopie, Mandela rejoint l’Egypte, où il noue ses premiers contacts avec le FLN algérien. Ce dernier est devenu une référence en matière de lutte armée au vu de l’efficacité dont il a fait preuve sur le terrain algérien face aux forces françaises. Le leader de l’ANC réalise qu’il lui est indispensable de leur rendre visite au plus près de leur théâtre d’opération. Dès lors, l’étape marocaine devient tout simplement incontournable.
Une visite clandestine
En mars 1962, Nelson Mandela foule pour la première fois le sol marocain. Son interlocuteur direct n’est autre que le docteur Abdelkrim Khatib, alors Ministre d’Etat chargé des Affaires africaines. Fin diplomate et grand connaisseur de l’Afrique, ce chirurgien de formation incarne depuis la fin des années 1950 le parfait agent de liaison avec les organisations nationalistes africaines. Il compte à son actif des opérations de soutien au MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola), au PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert) et plus tard au ZAPU (Zimbabwe african people’s union). L’expérience ne manque donc pas au docteur Khatib qui entretiendra, jusqu’à sa mort en 2008, une sincère amitié avec Nelson Mandela. Ce dernier n’hésitera d’ailleurs pas à lui rendre hommage en sa présence, lors de son discours au Cap le 27 avril 1995. Lors de cette brève allocution, Madiba explique lui-même les circonstances de sa rencontre avec le docteur marocain 33 ans auparavant. Il y raconte que la première question qu’il adresse à son interlocuteur concerne la possibilité de rencontrer le nouveau roi Hassan II. A ce moment-là, Nelson Mandela ignore que le docteur Khatib dispose de toute latitude concernant le traitement de ce type d’affaires. Même si le règne a changé de main, le Maroc de l’après-Mohammed V hérite, pour encore peu de temps, du rôle de phare pour les pays africains en lutte contre le colonialisme et l’oppression. Néanmoins, en cette année 1962, Hassan II semble clairement s’orienter vers un alignement sur les Etats-Unis, et c’est à ce titre que la discrétion concernant la visite de Mandela (considéré alors comme un dangereux terroriste communiste) est de mise. Quoi qu’il en soit, Madiba n’aura pas l’occasion de rencontrer le monarque cette fois-ci, mais obtient satisfaction sur toutes les autres demandes qu’il formule. Le docteur Khatib lui promet de livrer des caisses d’armes via le poste consulaire marocain à Dar Essalam en Tanzanie. Il répond favorablement à la demande de formation militaire des militants de l’ANC. Pour ce faire, il propose d’envoyer un avion marocain en Tanzanie, afin de récupérer les hommes de Mandela et de les acheminer vers le Maroc où leur formation sera prise en charge. Enfin, la question de l’aide financière se résout par l’envoi de 5000 livres britanniques sur un compte bancaire londonien. Dans son discours, Nelson Mandela conclut non sans humour : « Après ça, le docteur m’a demandé si je voulais toujours voir le roi Hassan II, je lui ai répondu non merci ». Une déclaration teintée néanmoins d’une légère pointe d’amertume, comme le révélera plus tard Mandela en personne à un diplomate qui a exercé dans la région et qui souhaite garder l’anonymat.
Ce voyage de mars 1962 au Maroc est une réussite totale pour Nelson Mandela, mais sa mission n’est pas terminée pour autant.
Mandela, le FLN, la CIA
Le leader de l’ANC prévoit de se rapprocher des cadres du FLN, qui voient à ce moment se dessiner les contours d’une libération, obtenue au prix du sang. Justement, l’ANC se place dans ce registre. A préciser néanmoins que Mandela redoute un scénario de guerre totale à l’algérienne. Profondément pacifique, il précise que les actions coup de poing qu’il désire mener doivent se cantonner à du sabotage, en évitant absolument de faire des victimes humaines. Grâce à l’inévitable docteur Khatib dont le père est algérien, Madiba se rend à Oujda, où l’attendent des cadres du FLN dont Houari Boumediene et probablement Abdelaziz Bouteflika. Les informations concernant les détails de cet épisode sont rares, toutefois on sait que Nelson Mandela rentre clandestinement en Afrique du Sud après avoir passé quelques mois en Algérie. Le 5 août 1962, celui qui est devenu l’icône de la lutte en faveur de la population noire d’Afrique du Sud est arrêté près de Durban. Depuis l’interdiction de l’ANC en 1960 et sa qualification d’« organisation terroriste » par le régime de l’Apartheid, avec le soutien des Etats Unis, la liberté de Madiba est clairement en sursis. L’implication de la CIA ne fait aujourd’hui aucun doute. Ce sont en effet les services de renseignement américains qui démasquent la vie de couverture de Mandela, à savoir chauffeur pour un riche blanc sud-africain, qui est en réalité un soutien de la cause de l’ANC. Evidemment, la position ambigüe du Maroc, nouvel allié inconditionnel des Etats Unis, entraine une série de questions : si les services occidentaux ont commencé à filer Mandela depuis l’Afrique du Nord, auraient-ils pu bénéficier d’une quelconque assistance ? Une source ayant étudié l’affaire et qui souhaite rester anonyme donne son avis : « La première arrestation de Mandela a eu lieu pratiquement à son retour du Maroc et d’une tournée dans d’autres pays. Mais il n’a été condamné à la prison à vie qu’en 1964 alors qu’il était entré en clandestinité. Que la CIA ait pu fournir des renseignements à Pretoria sur son séjour au Maroc est bien sûr très possible. Mais il n’y a pas que la CIA qui opérait librement au Maroc : les services français, israéliens et portugais, qui soutenaient totalement la politique de l’Apartheid, ont pu tout aussi bien le faire ».
Un jeu trouble
Jusqu’à l’arrestation de Nelson Mandela, la relation entre le Maroc et l’ANC est proche d’être idyllique. Mais plus les années passent, plus les nouveaux dirigeants du parti révolutionnaire sud-africain constatent la nouvelle orientation de la politique marocaine insufflée par Hassan II. Le premier rouage à coincer est sans doute la nouvelle position de Rabat qui se place dans la sphère d’influence américaine. Dès lors, le Maroc devient par nature un partenaire indirect du régime sud-africain, l’ennemi mortel de l’ANC. Cet état de fait dépasse le simple point de vue idéologique, car le royaume participe au cours des années 1960 et 1970 à plusieurs opérations contre les intérêts de ses anciens protégés. Le pragmatisme de Hassan II choque les mouvements indépendantistes qui avaient pourtant placé leur confiance au Maroc. Un premier événement pousse l’ANC et ses alliés africains à prendre plus de distance avec Rabat. En octobre 1963, le Maroc et l’Algérie s’affrontent militairement pendant la Guerre des sables. Pour les mouvements de libération africains, le choix se porte sans trop d’hésitation sur Alger, qui véhicule une image bien plus empathique que son voisin chérifien. De plus, les nouveaux cadres de l’ANC, comme le jeune Thabo Mbeki, futur président de l’Afrique du Sud, ont préalablement tissé des liens forts avec les combattants du FLN. L’ironie du sort retient que cette rencontre a été possible grâce à la médiation du Maroc. Plus tard, le royaume s’engage plus ou moins discrètement dans des actions hostiles aux alliés de l’ANC. La tentative de coup d’Etat avortée au Bénin en 1977 confirme cette tendance. Des mercenaires français, avec à leur tête Bob Denard, tentent de renverser le nouveau régime marxiste-léniniste de Mathieu Kérékou, important soutien et allié de l’ANC. Cette opération aurait été menée avec la bénédiction de Rabat. En 1975, l’Angola nouvellement indépendant plonge dans la guerre civile. Alors que le pouvoir revient dans un premier temps au MPLA, anciens protégés de Mohammed V, Hassan II aurait choisi de soutenir l’UNITA (l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola) de Jonas Savimbi, un mouvement concurrent appuyé par Pretoria et l’Occident. Par deux fois, le roi du Maroc fournit une aide militaire au régime zaïrois du dictateur Mobutu Sese Seko. En effet, le pouvoir de ce dernier est sérieusement menacé lors des crises du Shaba en 1977 et 1978. Le monarque alaouite ne cache pas son aversion envers les ennemis de Mobutu, dont fait partie… l’ANC. Enfin, une troublante rumeur pourrait sérieusement constituer le point de rupture entre les ennemis de l’Apartheid et le Maroc. Selon notre deuxième source, le Polisario aurait saisi en 1979 un étrange butin de guerre suite à un raid contre les Forces armées royales (FAR). Il s’agirait de plusieurs automitrailleuses AML Panhard équipées de canons de 60 et 90 mm. Ces véhicules blindés porteraient des inscriptions rédigées dans une langue proche du néerlandais. Le représentant à l’époque de l’ANC à Alger, Thami Sindelo, aurait formellement reconnu l’origine sud-africaine de ces équipements. Si ces informations se révèlent exactes, le Maroc aurait violé l’embargo sur les armes imposé au régime de l’Apartheid par l’OUA et l’ONU. Si tel est le cas, la fracture avec les futurs hommes forts de l’Afrique du Sud est quasiment irrémédiable.
Le calme avant la tempête
Le 11 février 1990, le monde entier fête la libération de Nelson Mandela. Après avoir passé 28 années de son existence enfermé dans la prison de Robben Island, Madiba remporte son combat herculéen et s’apprête à prendre les rênes de la destinée de son pays. Il incarne toujours au sein de son parti historique, l’ANC, le symbole de la lutte contre l’oppression et le racisme. En 1993, après d’âpres négociations, Nelson Mandela et le président Frederik de Klerk parviennent à trouver un accord pour tourner définitivement la sombre page de l’Apartheid. La même année, les deux hommes se voient attribuer le prix Nobel de la paix. Madiba, redevenu entre-temps chef de l’ANC, est fin prêt à lancer sa campagne présidentielle. Il entame une tournée internationale dont l’objectif est double. Il doit d’abord récolter des fonds en vue des prochaines échéances électorales, et ensuite en profiter pour saluer les efforts des pays amis de l’ANC. 
Comme en 1962, il choisit de passer par la case Rabat. Cette fois, le roi Hassan II le reçoit avec tous les honneurs dus à son rang. Une satisfaction en forme de revanche personnelle pour le futur président d’Afrique du Sud. D’après notre source diplomatique, Hassan II aurait fourni une enveloppe de 12 millions de dollars destinée aux caisses de l’ANC. Encore une fois, Mandela ne part pas les mains vides du Maroc. Dans ses mémoires, il insiste sur la reconnaissance qu’il exprime au Maroc de Hassan II. Dans une interview, il va même jusqu’à prononcer une phrase restée célèbre : « Je suis un disciple de Gandhi et de Mohammed V ».

Le 27 avril 1994, Nelson Mandela devient le premier président de la nouvelle République d’Afrique du Sud. Tout au long de son mandat, Madiba parvient à contenir la colère d’une certaine frange de l’ANC, hostile au Maroc et favorable au tandem Algérie-Polisario. Mais ce n’est que partie remise. Toujours selon la source diplomatique proche de l’ANC, Nelson Mandela aurait souhaité assister aux funérailles du monarque marocain, décédé seulement quelques jours après la passation de pouvoir en Afrique du Sud. Seulement son état de santé, déjà dégradé à l’époque, ne le lui aurait pas permis de faire le déplacement. En juin 1999, le nouveau président sud-africain Thabo Mbeki entre en fonction et multiplie les signes d’amitiés envers l’Algérie et le Polisario. Quatre ans plus tard, le Maroc et l’Afrique du Sud déposent simultanément leurs dossiers de candidature à l’organisation de la Coupe du monde de football de 2010. La particularité de cette édition repose sur le principe d’une tournée des continents, ce qui place les deux pays en confrontation directe. L’affrontement qui se profile tombe particulièrement mal. Alors que le milieu des affaires, d’un côté comme de l’autre, prend conscience de l’intérêt économique à former un solide partenariat entre les deux Etats, la rivalité politique reprend le dessus. Pour le diplomate ayant exercé dans la région, le Maroc a raté de nombreuses occasions de se rapprocher de l’Afrique du Sud : « Avec un engagement diplomatique plus sérieux de la part du Maroc, il aurait été possible de trouver un compromis avec l’Afrique du Sud. Sachant que Mandela était favorable à mettre dans la même balance le soutien au Polisario et l’organisation de la Coupe du monde. Mais quand le royaume décide d’annuler une commission mixte entre les deux pays ou choisit de n’envoyer aucune délégation au congrès de l’ANC, alors que 40 Algériens y représentent leur pays, il ne faut pas s’étonner de la suite des événements ». Justement, le 15 septembre 2004, la ministre sud-africaine des Affaires étrangères Nkosazana Dlamini-Zuma annonce officiellement que son pays reconnaît la RASD. La perte du soutien de la première puissance africaine a donc bel et bien une histoire.
Par Sami Lakmahri

http://www.zamane.ma/maroc-afrique-du-sud-les-dessous-dun-gachis-2/

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