Trois Gardoises mariées à des Français ont reçu une obligation de
quitter le territoire après avoir averti la police des sévices qu’elles
subissaient. Explications.
Le rendez-vous est pris. À la nuit tombante, dans un lieu tenu secret,
trois femmes d’une beauté pleine de dignité s’avancent, collées les unes
aux autres. Chaque mot qui sera alors prononcé sera pesé, empli de
méfiance. Elles sont terrorisées. Et vivent en permanence cachées, dans
la peur. Nadia, Layane et Sherazade (1) ne se connaissaient pas, mais
aujourd’hui, ces femmes vivant dans le Gard sont plus
que jamais liées par leur histoire : battues pendant des mois, voire des
années, elles ont porté plainte contre leur mari pour violences
conjugales et se retrouvent à cause de cela dans une situation ubuesque.
La rage d’obtenir un semblant de justice
La préfecture leur a signalé leur obligation de quitter le territoire
juste parce qu’elles ont quitté leur bourreau (2), au motif qu’elles
n’ont ni enfant et qu’elles ont rompu la vie commune. Trois femmes
courageuses, qui oscillent entre désespoir, larmes mais aussi la rage
d’obtenir un semblant de justice. Trois femmes qui, par leur
obstination, forcent le respect. Trois parcours quelque peu différents,
avec la même issue.
"Je ne savais pas que ce n’était pas normal"
Sherazade n’a pas 30 ans. Les larmes aux yeux, elle raconte son calvaire
au quotidien avec ce Français venu "l’acheter" dans son pays. "Il était
très âgé et très riche. Mes parents ont cru que je serai bien avec lui,
en France." Mais à son arrivée dans la maison gardoise, "après le
déchirement d’avoir quitté les miens", la toute jeune femme comprend
très vite ce qu’elle va devoir endurer, et ce pendant des années.
"J’étais comme son esclave. J’avais l’impression d’être mariée avec mon
grand-père. Je ne peux pas dire tout ce qu’il m’a fait subir, les
insultes racistes me faisant comprendre que je n’étais rien, les coups,
les objets jetés sur mon visage et surtout les sévices sexuels que je
devais accepter." Ne parlant pas le français, elle ne pouvait pas se
défendre, même avec des mots. "J’ai tout gardé en moi, mes parents ne
sont pas au courant et surtout je ne savais pas que ce qu’il faisait
n’était pas normal, ni condamné par la loi."
"Je m’en veux de ne pas m’être défendue"
La jeune épouse, interdite de sortir, est (heureusement) tenue de se
rendre à des cours de français afin d’obtenir son titre de séjour. "La
formatrice m’a aidée, m’a fait comprendre que je pouvais avoir une autre
vie. "Par la suite, elle décide de commencer des études. Son époux
refuse, la met dehors et porte plainte contre elle pour violences. "Je
ne l’ai jamais frappé. Et pourquoi ? Je m’en veux de ne pas m’être
défendue." Aujourd’hui, elle vit recluse mais se reconstruit doucement
et a même obtenu un travail en CDI.
Nadia, la quadra du groupe, essaie de ne pas trop montrer son émotion.
"Le jour où je suis rentrée chez lui, je n’étais plus rien",
avoue-t-elle la gorge serrée. Interdite de regarder la télé ou de
s’asseoir sur le canapé, elle devait obéir à celui qui avait été si
charmant avant leur mariage. "Mais que faire d’autres, à part accepter.
Accepter l’humiliation, les coups et tout le reste."
Si elle revient, il la tuera
Un jour, l’homme se lasse, la jette dehors et lui annonce que si elle
revient, il la tuera. La première nuit, elle dormira dans la rue, puis
elle sera accueillie par une dame avant d’entamer des démarches. "Pour
pouvoir bénéficier d’aides, il fallait que je porte plainte." La peur au
ventre, elle s’exécute. Elle travaille alors dans le nettoyage jusqu’à
la notification de la préfecture.
"J’étais folle de lui" Layane Depuis, elle se terre et malgré une
promesse d’embauche en CDI, l’administration ne veut rien entendre.
"Pour mes proches, j’aurais dû rester avec lui. Comment prouver ce qu’il
se passe dans le huis clos d’une maison."
"J’étais folle de lui. Les coups sont tombés très rapidement"
Contrairement aux deux autres, Layane, la vingtaine, a fait un mariage
d’amour, ni forcé, ni arrangé. "J’étais folle de lui, annonce-t-elle,
les yeux pétillants. Les coups sont tombés très rapidement. J’ai
pardonné maintes fois, à chaque fois..." Jusqu’au jour où la voisine
prévient la police. "Il m’a mis dehors et menacée." Après sa plainte,
certificats médicaux à l’appui, il la tabassera dans la rue. Mais comme
ses consœurs de circonstance, toutes ses dépositions seront classées
sans suite. "On est victimes quatre fois : de notre famille, nous ne
sommes plus les bienvenues, des coups de nos maris, de la justice, qui a
classé les affaires, et de l’administration du pays des droits de
l’Homme." Elle aussi est intégrée dans notre société, elle a un CDI et
loue même un petit appartement.
"Eux, ils ont été violents, ils ne risquent rien. Nous, nous sommes
victimes, voire esclaves, et on a tout risqué. On veut rester en France,
rien, ni personne ne nous attendent dans notre pays." Et finalement, en
leur envoyant une notification d’expulsion, l’État ne donne-t-il pas
raison à ces hommes ? Ces femmes, sans leur mari, ne sont rien et n’ont
aucun droit.
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