LA TRAGEDIE D'ANFGOU : Des amazighes enterrés vivants
Par : Moha Moukhlis
ANFGOU(1). Petit hameau ignoré par les scribes de la Qaraouine, encastré au coeur des gigantesques montagnes du Haut Atlas Oriental. Un village que cerne le Parc national où le mouflon et le phacochère mènent une vie paisible, sous haute protection. Un village synonyme d'une tragédie : une trentaine de mort dont le dernier est décédés le 27 janvier 2007. Anfgou pleure ses morts et la désolation règne sur tout le village.
Une communauté amazighes de 3000 âmes y vit, des résistants ou descendants de résistants qui ont participé à la bataille de Tazizawt dont le site est situé à une trentaine de kilomètres d'Anfgou, près de douar d'Aghddou. Des résistants qui ont tenu tête à l'arsenal militaire français sur le plateau de Hamdoun, sur le mont Baddou et qui ont pris part à la bataille de Bougaffer. Il s'agit des Ayt Amer n Ounfgou. Une fraction de la tribu des Ayt Hdiddou qui fait partie de la confédération des Ayt Yafelmane.
Une communauté de braves oubliés par le Makhzen et par nos respectables « députés de la nation » qui mènent une vie d'aisance dans leurs villa calfeutrées et chauffées à Rabat. Des députés et un parlement « national » qui a lu la fatiha après la pendaison du tyran arabiste Saddam et qui n'a pas jugé utile de lire la fatiha sur les morts d'Anfgou. Ignorés et oubliés par tous les amazighes « citadinisés » qui regardent TV5, ARTE ou Al Jazira. Une population qui vivote, qui survit grâce à une agriculture vivrière et son cheptel. Des amazighes dont ne parle pas le « doyen » des journalistes marocains, un certain Mustapha El Alaoui, car ils lui rappellent les « apaches » et les « putschistes ». Une population livrée à elle-même, dans l'Etat de droit de la « nouvelle ère ».
L'Etat préfère colmater les murailles de la qaraouine et les vielles ruelles où habitaient les arabo-andalous que de porter secours à des citoyens en plein désarroi. L'Etat préfère « importer » des artistes qui sentent la pouffiasse et leur ouvrir les écrans des médias publics que de se soucier des malades d'Anfgou et de ses environs. Car, si la tragédie à touché directement Anfgou, d'autres localités vivent dans les mêmes conditions : ANMZI, AGOUDDIM, AGHDDOU, TIRGHIST.Toutes situées sur la route, je veux dire la piste, qui relie Anfgou et Tounfit. La population vit sous l'emprise des autorité du Ministère de l'intérieur : on se croirait en zone militaire. Les caids et autres khalifa se comporteraient comme des cow boy sur un territoire « pacifié ».
Pour accéder à Anfgou, quand les conditions météorologiques sont clémentes, il faut emprunter la route qui mène de Rabat à Errchaidia. Arrivé à Zaida (20 kilomètres avant Midelt), vous tournez à droite. Après une vingtaine de kilomètre, virer à gauche et traverser Boumia vers Tounfit. A Tounfit, renseignez-vous bien. La route est parsemé de dangers : verglas, crues, éboulements, froid. Quatre heures, minimum, sont nécessaire pour aller de Tounfit à Anfgou (environ 80 kilomètres), en passant par Taoudit, Agouddim et Anmzi. Une piste dangereuse que n'empruntent que les véhicules solides : les camions et les 4/4. Sur le chemin, la peur vous prend par les tripes. Au froid glacial, qui peut atteindre moins 10° le jour, se conjuguent les innombrables ravins qui vous donnent le vertige.
Par moments, vous ne pouvez vous empêcher de vous demander si votre destination existe réellement. Stoïque vous continuez à slalomer sur un sentier aux abords incertains. La rivière vous guette à chaque virage. De temps à autres vous croisez des hommes ou de femmes à dos de mulet qui vous dévisagent et dont le regard semble vous dissuader de continuer la route. Des hommes ou des femmes qui se déplacent de Tirghist, Aghddou, Anfgou ou Anmzi, traversent la piste pour arriver au seul souk hebdomadaire qui se tient tous les dimanche à Tounfit. Il faut dire que le déplacement à dos de mulet est plus sûr et plus rapide que le voyage par camion. Car sur un camion, vous voyagez avec le bétail et les vivres et les risques sont énormes. Imaginez un bovin ou un mouton qui vous charge !
Après un voyage homérique, vous arrivez à Anfgou. Hameau adossé au bas de la montagne. Des dizaines d'enfants se ruent vers vote véhicule, pieds nus, les cheveux hirsutes et le regard interrogateur. Ils vous guident pour traverser la rivière et vous diriger vers les ères de battage. Espace où l'assemblée de la tribu vous attend. Une dizaine d'hommes emmitouflés dans des burnous de laine blanche veillent à ce que la distribution des dons soit équitable. Chacun des 260 foyers qui composent la fraction aura sa part. Les décisions sont prises collectivement auparavant et sont rigoureusement respectées.
Quelques heures plus tard, vous retrouvez le chemin du retour. Une véritable épreuve. A Tounfit, au contact des premiers rudiments de la « civilisation », vous restez étourdi. Vous avez l'impression de sortir d'un cauchemar. Tellement les disparités entre votre monde et celui de la population d'Anfgou sont énormes que vous vous demandez si vous vivez dans le même pays qu'elle.
Aujourd'hui, des enfants continuent à mourir à Anfgou. La réaction médiatisée de l'Etat ne fut qu'un feu d'artifice. Seules les ONG continuent à acheminer l'aide. La population est soulagée momentanément, mais son calvaire reprendra dès les prochaines chutes de pluie et de neige. Le problème principal, c'est la route et le droit d'exploiter la forêt, unique ressource spoliée par l'Etat et des élus corrompus. Toute autre solution relèverait du replâtrage. A Anfgou, la population vit sous une forme de colonisation aux couleurs nationales. Sa forêt ne lui appartient plus. Plus d'une vingtaine de coupes arrivent quotidiennement dans les grandes villes alors que la population d'Anfgou est obligée d'acheter les poutres pour les toits des maisons. Avec quels moyens ?
Sous prétexte que la « mystérieuse maladie » d'Anfgou est « contagieuse », les autorités à Tounfit demandent aux ONG de débarquer leurs dons. Les autorités se chargeront de les distribuer aux douars ! Les populations de Tounfit et ses communes organisent des marches de protestation et demandent : une visite royale*, la construction des routes, le droit d'exploiter la forêt et la traduction en justice des responsables des communes.
Ils n'ont pas besoin de denrées alimentaires. Ils ont de quoi vivre et travaillent pour assurer leurs besoins. Ce qu'ils réclament, c'est la justice. Un vieux des Aït Amer d'Anfgou dit : « nous amazighes, la faim ne nous tuera pas. Seul des balles peuvent mettre fin à notre existence. A méditer.
(1) ANFGOU : toponyme amazighe, dérivé du nom « AFGOU », qui signifie le cri poussé par la chouette pour mobiliser le lièvre et attaquer. On dit, da tkkat afgou (elle pousse son cri). Dans un vers de poésie amazighe, on retrouve le vocable « afgou », qui signifie le cri :
-Id afgou a gha s utgh mad ism nnes ayd as qqargh i wenna righ ad id iffgh ixamn.
Voir une video, faite par un journaliste marocain, de ce désastre
Auteur: Moha Moukhlis
Date : 2007-02-15
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* Il y a eu une visite du roi (arrivé en hélicoptère, pas par la route.) Il a fait de grandes promesses auxquelles les montagnards ont cru, suivies de peu de réalisations : une portion de route, un dispensaire sans personnel ni médicaments. Il y a encore des morts, chaque hiver, pas par la "mystérieuse maladie", mais de froid, de trop de difficultés pour atteindre le lieu de résidence d'un médecin. Ce sont toujours les ONG qui apportent de quoi tenir le temps du plus dur de l’hiver. L'Etat se désintéresse toujours de ce bout de Maroc considéré comme vraiment inutile ! NDLR
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