Chers amis lecteurs de solidmar,

Solidmar est fatigué ! Trop nourri ! En 8 ans d’existence il s’est goinfré de près de 14 000 articles et n’arrive plus à publier correctement les actualités. RDV sur son jumeau solidmar !

Pages

dimanche 14 juillet 2013

François Hollande et les seins d’Amina

 Inna Schevchenko, Mouvement des femmes FEMEN

Monsieur François Hollande,

Il y a peu de temps, les activistes Femen ont été libérées après un mois d'emprisonnement dans les geôles tunisiennes pour avoir protesté seins nus en faveur d'Amina Sboui, militante tunisienne de 19 ans, enfermée injustement depuis près de deux mois pour avoir tagué le mot "FEMEN" sur un mur. Elle s'était opposée ce jour-là, à travers ce symbole de féminisme et de rébellion, à un rassemblement illégal de quarante mille salafistes. Elle risque 12 ans de prison pour association de malfaiteurs.
Le 29 mai 2013, à 10h30, devant le palais de justice de Tunis, nous avons risqué nos vies et nos libertés pour défendre celle de cette jeune femme que nous n'avions jamais rencontrée auparavant, pour défendre qui elle était et ce qu'elle représentait.
Et vous Monsieur François Hollande, qu'avez-vous risqué pour défendre les nôtres?
  • C'est parce que nous avons honte de la France aujourd'hui, de son mutisme, de son inertie et de sa peur, que nous vous interpellons, vous, Président.
  • Parce que nous avons honte de cette France qui s'est tue pendant notre incarcération, pendant la sienne, et pendant celle des autres, rappeurs, bloggeurs et opposants.
  • Parce que nous avons honte de cette France qui a souri cette semaine à la Tunisie islamiste.
  • Parce que nous avons honte de cette France qui sait et qui ferme les yeux.
  • Parce que nous avons honte de cette France qui nous a arrêtées et remises en prison pour 24h, cinq jours seulement après notre retour, pour avoir voulu vous appeler, vous Président, à prendre des positions claires et fermes lors de votre visite en Tunisie. Parce que nous avons honte que vous ne l'ayez pas fait.
  • Mais parce que nous pensons qu'il n'est pas trop tard.
Nous activistes, nous féministes, nous femmes françaises, nous vous appelons, vous Président, vous socialiste, vous humaniste, à prendre le parti des femmes, et à prendre le parti de cette jeunesse active en laquelle vous comptiez tant miser.
  • Vous Président, vous devez sortir de votre silence pour défendre rageusement la liberté d'expression, et pour condamner fermement toutes atteintes aux droits de la Femme et aux droits de l'Homme.
  • Vous Président, vous devez défendre sabre aux dents ce symbole de rébellion, de liberté, de courage et de changement qu'est Amina Sboui. Vous devez prononcer son nom, soutenir son combat et exiger sa libération.
  • Vous Président, vous devez vous ériger contre cette islamisation croissante de la Tunisie et du monde arabe. Vous devez refuser de signer des accords avec des gouvernements aux prises des islamistes. Vous devez refuser de serrer les mains de ceux qui ont volé la révolution au peuple tunisien et qui enferment toutes celles et ceux qui le dénoncent.
  • Vous Président, vous devez vous ranger du côté de l'Humain et de la Liberté, et vous opposer, quel qu'en soit le prix, comme Amina l'a fait, comme nous l'avons fait et comme FEMEN continuera de le faire, à la dangereuse islamisation du monde arabe, dont les premières victimes sont toujours les femmes.
  • Vous Président, vous devez réveiller le militant humaniste qui est en vous et entendre la rumeur qui gronde, les femmes sont dans la rue, elle vous appelle :
Non à l'islamisation, liberté pour les femmes, liberté pour Amina !
Signé les prisonnières françaises en Tunisie, FEMEN

 -------------------------------------------------------------------- 
 François Hollande et les seins d’Amina

Karim Ben Smail, Tunis, Rue897/7/2013

Tribune
Karim Ben Smaïl est le directeur des éditions Cérès à Tunis, une maison fondée il y a 50 ans. Elle édite des classiques arabes et français. C’est un proche de la lycéenne au T-shirt de soutien à Amina décrite dans ce texte.
Jeudi 4 juillet, François Hollande, en visite d’Etat en Tunisie, est dans un des deux lycées français de Tunis, accompagné de plusieurs ministres. Au programme : rencontre avec des personnalités de la société civile et avec les meilleurs bacheliers de l’année.
Pendant cette rencontre, à Sousse, se déroulait une audience du procès d’Amina, cette jeune Tunisienne de 18 ans qui a écopé de deux ans de prison pour avoir écrit « Femen » sur un muret à Kairouan ; en réalité pour avoir publié sa photo sur le Net, avec « mon corps m’appartient, il n’est l’honneur de personne » peint sur sa poitrine nue.
16 heures, les lycéens commencent à arriver, l’une d’entre eux porte un T-shirt à l’effigie d’Amina, les policiers tunisiens lui interdisent l’accès. « Va te changer, va acheter un autre T-shirt, tu rentrera pas ! ». La lycéenne ne se démonte pas, et remet la pression sur les épaules des sbires : « Vous êtes sûrs ? Vous ne voulez pas d’abord demander aux responsables du lycée ? ».
Cafouillage, le proviseur est appelé, un peu nerveux, il y va de son sermon : « On t’a pas invitée pour ça et de toutes façons tu n’es pas sur la liste d’invités », vain mensonge qui reviendra tout au long de l’incident.
Amira Yahyaoui est dans l’établissement présidente de l’association « Al Bawsala », elle est parmi les personnalités de la société civile tunisienne qui vont s’entretenir avec Hollande devant les caméras. Sa question va précisément porter sur Amina.

« C’est moi qui ferait ce geste à sa place »

Quand elle est informée de ce qui se passe devant les grilles du lycée, elle sort tout de suite et exige qu’on laisse entrer la jeune fille. Refus catégorique de la sécurité tunisienne, sur instructions du proviseur et de certains cadres de l’Institut Français, organisateur de la rencontre.
« Vous entrez, pas elle, pas avec son T-shirt ». Comprenant que tout ce beau monde avait peur d’un geste à la Femen devant le président, Amira Yahyaoui leur dit : « Dans ce cas, c’est moi qui ferait ce geste à sa place »… Et l’accès lui est également interdit.
Situation délicate, A. Yahyaoui doit être devant Hollande et les caméras dans quelques minutes. Tergiversation, vent de panique dans le personnel diplomatique. Le « dossier » monte d’un cran, et un proche conseiller de l’ambassadeur finit par prendre la situation en main, le staff de la sécurité du président s’en mêle.
« Mme Yahyaoui, pouvez vous nous garantir que cette jeune fille ne va pas faire un bêtise ?
- Je vous le garantis, mais vous respectez son souhait de garder son T-shirt. »
Le malabar demande à la lycéenne de confirmer : « Tu me donnes ta parole ? ». On lui prête un T-shirt sombre pour couvrir le sien, « juste pour passer la garde tunisienne ».

Une photo qui peut nuire à Hollande ?

Dix minutes plus tard, les lycéens sont en rang d’oignons devant le président et ses invités, notre frêle lycéenne est entourée de quatre « gardes du corps » qui ne la quittent pas des yeux, prêts à intervenir. Ses amis, inquiets, l’interrogent : « C’est quoi le problème ? ».
Hollande a fini ses entretiens, il se dirige vers les lycéens, dont notre fauteuse de troubles, qui esquisse alors le geste d’enlever son T-shirt sombre, mouvement de panique des gardes qui se rapprochent d’elle, à portée d’intervention.
Quand Hollande lui serre la main, elle porte le T-shirt scandaleux, mission accomplie ! Mais elle sera interdite de photo avec le président, les gorilles faisant physiquement barrage et l’empêchant d’approcher. Pitoyable.
En quoi une photo aurait-elle pu nuire à l’image de Hollande ? Comment sa réputation aurait-elle souffert d’être vu aux côtés d’une image de solidarité avec une jeune fille jetée aux fers par le pouvoir, et qui sans nul doute deviendra un des symboles de la résistance ?

Les aberrations du système français

C’est sans doute une anecdote sans grandes conséquences sinon celle de démontrer une fois de plus les aberrations du « système » français : une personnalité tunisienne est invitée à présenter publiquement devant le Président le « cas Amina », alors même qu’une autre jeune femme, issue des élites de l’école française locale, se voit interdire l’accès justement à cause d’un soutien trop visible à Amina.
Les élites des lycées français doivent être « bien sûr elles-mêmes, normalisées et conformes à ce que l’on attend d’eux » : brillants et obéissants. Aucune fantaisie n’est tolérée, surtout ils ne doivent pas exprimer d’opinions devant le chef, le proviseur y veille ; quitte à les « rayer des listes ».
Tout ce que cette jeune lycéenne voulait faire, c’est attirer l’attention sur le sort d’Amina Sboui, une autre Tunisienne de son âge, et qui croupit dans les geôles de la Tunisie post-révolutionnaire, risquant une lourde peine dès que tout ce beau monde aura plié bagage.
Tout ce que le staff présidentiel a retenu, c’est que Hollande aurait pu se voir imposer le spectacle insupportable d’une paire de seins. Et alors ? Cela me fait penser à cette phrase de Mao : « Quand le sage montre la lune du doigt, l’imbécile regarde le doigt ».
Je laisse le mot de la fin à Amira Yahyaoui, dont le courage et le culot forcent une fois de plus l’admiration. A la fin de ce numéro de grand guignol, elle a résumé l’épisode à un proche de l’ambassadeur de France (le seul qui a su garder de la hauteur et son calme) : « Vous n’avez rien compris, ce n’est pas ses seins que cette jeune fille est venue vous montrer, c’est son courage ». Ça c’est une femme tunisienne !

NB : Amina Sboui est toujours en prison, sous deux chefs d’accusation fallacieux : possession d »une « bombe à gaz », en fait un spray d’autodéfense, et profanation d’un lieu de culte, pour avoir écrit « Femen » sur un muret de ciment proche d’un cimetière.
Elle risque plusieurs années de prison, ne bénéficie que de peu de solidarité, et garde une dignité et un courage remarquables. Lors de sa dernière comparution devant un juge, elle à jeté à terre le châle traditionnel (safsari) dont on voulait la recouvrir.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire