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dimanche 14 juillet 2013

Immigration Belgique : L’obscène « économie » de Maggie De Block

Le 22 juin dernier, la presse a triomphalement annoncé l’information que voici : Maggie De Block, Secrétaire d’État à l’Asile et à l’immigration, a décidé de rendre au gouvernement la bagatelle de 90 millions d’euros de son budget 2013, faute de pouvoir leur trouver un usage utile [1].Trompettes.

Et pendant ce temps – cela, vous ne l’entendrez pas crier sur l’air des lampions –, l’État belge a été condamné neuf fois, en dix ans, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), précisément à cause de ses politiques en matière de droits des étrangers, d’asile et de séjour. Cinq fois depuis 2011 ; la dernière il y a moins d’un an, en octobre 2012 [2].
Mais Maggie De Block ne sait pas quoi faire de son budget.
Jusqu’il y a peu, des centaines de mineurs étrangers non accompagnés (MENA) se voyaient refuser l’entrée dans les structures d’accueil de Fedasil [3] chaque année, faute de moyens. Ces MENA pour qui Fedasil ne trouvait pas de place dans ses structures d’accueil étaient laissés livrés à eux-mêmes, sans moyen de subsistance. Faute de moyens. De ce fait, les professionnels du milieu estimaient à des centaines par an le nombre de disparitions pures et simples parmi ces jeunes. Si bien qu’en juin 2012, les associations de défense des MENA ouvraient un procès contre l’État belge et Fedasil, pour leur non-respect des conditions d’accueil prévues par la loi [4].
Et aujourd’hui, Maggie De Block, Secrétaire d’État à l’Asile et à l’immigration, ne sait pas quoi faire de son budget.

Ceci appelle plusieurs réflexions.
Qu’est-ce qui, en à peine un an, a changé au point que le budget attribué à ces missions soit tellement exagéré ? En somme, a-t-on tout à coup fait de tels progrès en matière de gestion que les conditions d’accueil antérieures (ce mot a toute son importance), celles dont le non-respect a entraîné ces multiples condamnations, sont aujourd’hui respectées, et ce malgré un budget drastiquement réduit ? Ou, au contraire, se targue-t-on de « résultats » obtenus en réalité en jouant sur les termes des conditions d’accueil elles-mêmes ?
D’aucuns, parmi les professionnels du milieu, tendent à confirmer cette seconde hypothèse : la Belgique ne respecte pas mieux qu’avant les droits des étrangers, conditions d’accueil et de séjour, loin s’en faut ; mais elle a changé artificiellement les règles du jeu de manière à le faire croire. D’un côté, blocage accru des frontières ; de l’autre, modification des critères d’accès aux services de Fedasil, de telle sorte que certaines populations qui auparavant en dépendaient en soient désormais exclues (de la même manière, par exemple, qu’on joue sur les chiffres du chômage). Réussite à la belge : vous voulez être sûr de remplir votre mission ? Modifiez en la définition !
Réussite à la belge : vous voulez être sûr de remplir votre mission ? Modifiez en la définition !
Ainsi, « le nombre de nouvelles demandes d'asile a baissé depuis la publication d'une liste de pays sûrs », dit la presse de ce 22 juin [5]. Provenant de l’un de ces pays, vous avez donc désormais la garantie qu’on vous fasse passer par une « procédure accélérée », autrement dit, à vous voir refuser l’asile sans même un véritable examen de votre situation personnelle – et peu importe ce que vous vivez dans votre pays d’origine : dussiez-vous y subir les pires tortures, il est « sûr ». Next.
Résultat : les populations qui étaient auparavant systématiquement – et bien naturellement – dirigées vers ces structures d’accueil, désormais renoncent à faire les démarches nécessaires... sachant pertinemment qu’on leur en refusera l’accès. Ont-elles disparu ? Seulement des statistiques. Sont-elles mieux prises en charge ? Non : elles sont condamnées à devenir des « illégaux à long terme ».
Mais alors, si votre pays n’est pas sur la liste ? Qu’à cela ne tienne, pour Maggie De Block ! Car, invoquant le même argument de la « sûreté », on peut également envoyer un message fort à toute une population en traitant un cas de la manière la plus arbitraire. 
Que l’on se souvienne du cas emblématique de Parwais Sangari : jeune Afghan de 20 ans, travaillant et sur le point de fonder une famille en Belgique, Parwais Sangari se vit expulsé en juillet 2012 (sous Maggie De Block, donc), sans argent et sans passeport valide, pour Kaboul, capitale d’un Afghanistan en guerre, où son père avait été assassiné et où lui-même craignait pour sa vie, vers une famille pour ainsi dire inexistante qui n’avait cure de lui. Mais Kaboul, disait-on, est sûre [6] [7].De quoi faire réfléchir plus d’un Afghan, sans nul doute, avant d’encore oser demander l’asile...
Dans le même ordre d’idées, les conditions d’asile pour raisons médicales « sont aujourd'hui limitées aux interventions chirurgicales les plus importantes », précise encore la presse ; et les conditions du regroupement familial « ont été rendues plus sévères ». Pas de chance pour les seulement gravement malades... Et quant au droit légitime à ne pas voir sa famille déchirée : aux orties ! Les beaux résultats que voilà ! Vous voulez faire des économies ? Misez donc sur la non-assistance à personne en danger ! Il y avait pourtant encore 90 millions cette année, qui auraient pu être dédiés à l’accueil de cas semblables...
Il est également remarquable que pratiquement au moment même de cette obscène fanfaronnade de Maggie De Block, ce mercredi 26 juin dernier pour être exact, les employés de Fedasil se mobilisaient en une action de grève pour protester contre la fermeture d’un centre d’accueil et le licenciement sec de 39 employés [8]! Passons rapidement sur le traitement scandaleux infligé à ces travailleurs : promesse de Fedasil de ne fermer aucun centre en 2013 bafouée, licenciement brutal et expéditif, sans respect minimum des conditions légales – un comble pour une agence gouvernementale ! Parmi les revendications des grévistes, une, en particulier, ne manquera pas de titiller notre attention : « mise en place d’infrastructures décentes dans les centres d’accueil ». Selon le personnel lui-même, les infrastructures ne sont pas même « décentes » ! Mais Maggie De Block, elle, ne sait pas quoi faire de son budget...
Selon le personnel de Fedasil, les infrastructures ne sont pas même « décentes » ! Mais Maggie De Block, elle, ne sait pas quoi faire de son budget...
Que l’on veuille bien mettre ce chiffre de 90 millions d’euros en perspective avec la faveur qu’a faite, en avril de cette année, l’administration d’Anvers à l’égard de deux entreprises portuaires internationales, PSA et DP World : alors qu’elles étaient redevables de 67 millions d’euros d’amende (!) pour non-respect de la législation portuaire, la majorité anversoise (N-VA, CD&V et... Open Vld, parti de Maggie De Block) a décidé d’effacer de cette ardoise pas moins de 52 millions d’euros [9]! Cadeau ! Ubuesque : ici, on modifie la législation pour se débarrasser des uns ; là, pour plaire aux autres, on ne fait pas même respecter ses propres lois... Quant à la nécessité de « faire des économies » dont on nous rebat les oreilles, on admirera la variabilité de sa géométrie. Ces 52 millions-là n’auraient pourtant pas été volés.
Au bout du compte, le lecteur appréciera le coût de cette spectaculaire « économie » : centres supprimés, travailleurs expédiés au chômage, étrangers condamnés à la clandestinité, infrastructures insuffisantes selon le personnel en charge...[10]
Enfin, l’acte de Maggie De Block ne manque pas de soulever quelques questions quant au fonctionnement du gouvernement.
On l’a vu, suite à ses condamnations répétées par la CEDH, la Belgique, pour mieux remplir sa mission, a changé... la mission ! Mais au nom de quoi ? Ces missions, comment sont-elles définies ? Par qui ? Et quels en sont les termes ?
Le rôle des ministères est-il, comme voudrait le sens commun, d’utiliser leur budget pour remplir leurs missions... ou de sabrer dans leurs missions pour « faire des économies » ? Est-ce bien là le sens de l’action politique ? Et quelle est la part d’initiative laissée à chaque ministre dans l’ajustement de ces objectifs ? En l’occurrence, à Maggie De Block ?
Par ailleurs, le secrétariat à l’Asile et à l’immigration a-t-il donné un compte rendu détaillé de son action, de l’utilisation de son budget, de sa manière de répondre à ses missions ? Y a-t-il eu un quelconque contrôle gouvernemental, avant que tous ces tristes sires qui nous dirigent, ces Néron et ces Caligula en goguette, n’applaudissent à tout rompre ? S’est-on seulement penché sur le coût humain de ces 90 millions ?
S’est-on seulement penché sur le coût humain de ces 90 millions ?
Mais qui, au gouvernement, se soucie de « coûts humains » ? Lequel de ces chantres de la sacro-sainte « austérité » se préoccupe du sort réservé aux étrangers ? De leurs conditions d’accueil ? Ou leur reconnaît même encore – outrage ! – des droits ? Qui, de ces fanatiques de l’« économie » – mais attention, la « saine », la « réaliste » : celle qui ne s’en prend pas aux privilèges des puissants – se sent concerné par le destin de travailleurs jetés au chômage ? Ou par leurs conditions de travail ? Lequel, enfin, de ces oligarques aux ordres [11], fait encore semblant d’avoir le moindre égard pour l’idée de démocratie ?
Car n’ayons pas d’illusions. Les mêmes recettes sont d’ores et déjà d’application – ou en préparation – dans tous les domaines de la vie sociale : immigration, emploi, santé, justice, fiscalité, sécurité sociale, services publics... On en frémit d’avance. La façon dont certains, à Charleroi, ont récemment imaginé traiter le problème de la mendicité – délocaliser les mendiants [12]! – est du même cru.
Yoann Mathieu
[3] Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile.
[5] Lire également cet article de mars 2012 : http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_asile-sept-pays-places-sur-une-liste-des-pays-surs?id=7735818. Dès sa sortie, cette liste de « pays sûrs » était l’objet des plus vives critiques. Les arguments du CIRE font frémir.
[7] En revanche, le Ministère des Affaires étrangères continue de la « déconseiller absolument » aux ressortissants belges comme destination touristique :http://diplomatie.belgium.be/fr/Services/voyager_a_letranger/conseils_par_destination/asie/afghanistan/ra_afghanistan.jsp. La sûreté, c’est une notion très relative...
[9] N. Dobbelaere, « Un cadeau de 52 millions à deux multinationales », Solidaire, 4 avril 2013.
[10] Sans même parler des conditions de vie dans les centres fermés, des rapatriements brutaux et arbitraires, des refus aux frontières, ou encore du sort des Roms... Longue est la liste.
[11] De l’UE, de la Troïka, de la finance...

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