Le
22 juin dernier, la presse a triomphalement annoncé l’information que
voici : Maggie De Block, Secrétaire d’État à l’Asile et à l’immigration,
a décidé de rendre au gouvernement la bagatelle de 90 millions d’euros
de son budget 2013, faute de pouvoir leur trouver un usage utile
[1].Trompettes.
Et pendant ce temps – cela, vous ne
l’entendrez pas crier sur l’air des lampions –, l’État belge a été
condamné neuf fois, en dix ans, par la Cour européenne des droits de
l’homme (CEDH), précisément à cause de ses politiques en matière de
droits des étrangers, d’asile et de séjour. Cinq fois depuis 2011 ; la
dernière il y a moins d’un an, en octobre 2012 [2].
Mais Maggie De Block ne sait pas quoi faire de son budget.
Jusqu’il
y a peu, des centaines de mineurs étrangers non accompagnés (MENA) se
voyaient refuser l’entrée dans les structures d’accueil de Fedasil [3]
chaque année, faute de moyens. Ces MENA pour qui Fedasil ne trouvait pas
de place dans ses structures d’accueil étaient laissés livrés à
eux-mêmes, sans moyen de subsistance. Faute de moyens. De ce fait, les
professionnels du milieu estimaient à des centaines par an le nombre de
disparitions pures et simples parmi ces jeunes. Si bien qu’en juin 2012,
les associations de défense des MENA ouvraient un procès contre l’État
belge et Fedasil, pour leur non-respect des conditions d’accueil prévues
par la loi [4].
Et aujourd’hui, Maggie De Block, Secrétaire d’État à l’Asile et à l’immigration, ne sait pas quoi faire de son budget.
Ceci appelle plusieurs réflexions.
Qu’est-ce
qui, en à peine un an, a changé au point que le budget attribué à ces
missions soit tellement exagéré ? En somme, a-t-on tout à coup fait de
tels progrès en matière de gestion que les conditions d’accueil antérieures
(ce mot a toute son importance), celles dont le non-respect a entraîné
ces multiples condamnations, sont aujourd’hui respectées, et ce malgré
un budget drastiquement réduit ? Ou, au contraire, se targue-t-on de
« résultats » obtenus en réalité en jouant sur les termes des conditions d’accueil elles-mêmes ?
D’aucuns,
parmi les professionnels du milieu, tendent à confirmer cette seconde
hypothèse : la Belgique ne respecte pas mieux qu’avant les droits des
étrangers, conditions d’accueil et de séjour, loin s’en faut ; mais elle
a changé artificiellement les règles du jeu de manière à le faire
croire. D’un côté, blocage accru des frontières ; de l’autre,
modification des critères d’accès aux services de Fedasil, de telle
sorte que certaines populations qui auparavant en dépendaient en soient
désormais exclues (de la même manière, par exemple, qu’on joue sur les
chiffres du chômage). Réussite à la belge : vous voulez être sûr de
remplir votre mission ? Modifiez en la définition !
Réussite à la belge : vous voulez être sûr de remplir votre mission ? Modifiez en la définition !
Ainsi,
« le nombre de nouvelles demandes d'asile a baissé depuis la
publication d'une liste de pays sûrs », dit la presse de ce 22 juin [5].
Provenant de l’un de ces pays, vous avez donc désormais la garantie
qu’on vous fasse passer par une « procédure accélérée », autrement dit, à
vous voir refuser l’asile sans même un véritable examen de votre
situation personnelle – et peu importe ce que vous vivez dans votre pays
d’origine : dussiez-vous y subir les pires tortures, il est « sûr ».
Next.
Résultat : les populations qui étaient auparavant
systématiquement – et bien naturellement – dirigées vers ces structures
d’accueil, désormais renoncent à faire les démarches nécessaires...
sachant pertinemment qu’on leur en refusera l’accès. Ont-elles disparu ?
Seulement des statistiques. Sont-elles mieux prises en charge ? Non :
elles sont condamnées à devenir des « illégaux à long terme ».
Mais
alors, si votre pays n’est pas sur la liste ? Qu’à cela ne tienne, pour
Maggie De Block ! Car, invoquant le même argument de la « sûreté », on
peut également envoyer un message fort à toute une population en
traitant un cas de la manière la plus arbitraire.
Que l’on se souvienne
du cas emblématique de Parwais Sangari : jeune Afghan de 20 ans,
travaillant et sur le point de fonder une famille en Belgique, Parwais
Sangari se vit expulsé en juillet 2012 (sous Maggie De Block, donc),
sans argent et sans passeport valide, pour Kaboul, capitale d’un
Afghanistan en guerre, où son père avait été assassiné et où lui-même
craignait pour sa vie, vers une famille pour ainsi dire inexistante qui
n’avait cure de lui. Mais Kaboul, disait-on, est sûre [6] [7].De quoi
faire réfléchir plus d’un Afghan, sans nul doute, avant d’encore oser
demander l’asile...
Dans le même ordre d’idées, les conditions
d’asile pour raisons médicales « sont aujourd'hui limitées aux
interventions chirurgicales les plus importantes », précise encore la
presse ; et les conditions du regroupement familial « ont été rendues
plus sévères ». Pas de chance pour les seulement gravement
malades... Et quant au droit légitime à ne pas voir sa famille
déchirée : aux orties ! Les beaux résultats que voilà ! Vous voulez
faire des économies ? Misez donc sur la non-assistance à personne en
danger ! Il y avait pourtant encore 90 millions cette année, qui
auraient pu être dédiés à l’accueil de cas semblables...
Il est
également remarquable que pratiquement au moment même de cette obscène
fanfaronnade de Maggie De Block, ce mercredi 26 juin dernier pour être
exact, les employés de Fedasil se mobilisaient en une action de grève
pour protester contre la fermeture d’un centre d’accueil et le
licenciement sec de 39 employés [8]! Passons rapidement sur le
traitement scandaleux infligé à ces travailleurs : promesse de Fedasil
de ne fermer aucun centre en 2013 bafouée, licenciement brutal et
expéditif, sans respect minimum des conditions légales – un comble pour
une agence gouvernementale ! Parmi les revendications des grévistes,
une, en particulier, ne manquera pas de titiller notre attention : « mise en place d’infrastructures décentes dans les centres d’accueil ».
Selon le personnel lui-même, les infrastructures ne sont pas même
« décentes » ! Mais Maggie De Block, elle, ne sait pas quoi faire de son
budget...
Selon le personnel de Fedasil, les infrastructures ne sont pas même « décentes » ! Mais Maggie De Block, elle, ne sait pas quoi faire de son budget...
Que
l’on veuille bien mettre ce chiffre de 90 millions d’euros en
perspective avec la faveur qu’a faite, en avril de cette année,
l’administration d’Anvers à l’égard de deux entreprises portuaires
internationales, PSA et DP World : alors qu’elles étaient redevables de
67 millions d’euros d’amende (!) pour non-respect de la
législation portuaire, la majorité anversoise (N-VA, CD&V et... Open
Vld, parti de Maggie De Block) a décidé d’effacer de cette ardoise pas moins de 52 millions d’euros
[9]! Cadeau ! Ubuesque : ici, on modifie la législation pour se
débarrasser des uns ; là, pour plaire aux autres, on ne fait pas même
respecter ses propres lois... Quant à la nécessité de « faire des
économies » dont on nous rebat les oreilles, on admirera la variabilité
de sa géométrie. Ces 52 millions-là n’auraient pourtant pas été volés.
Au
bout du compte, le lecteur appréciera le coût de cette spectaculaire
« économie » : centres supprimés, travailleurs expédiés au chômage,
étrangers condamnés à la clandestinité, infrastructures insuffisantes
selon le personnel en charge...[10]
Enfin, l’acte de Maggie De Block ne manque pas de soulever quelques questions quant au fonctionnement du gouvernement.
On
l’a vu, suite à ses condamnations répétées par la CEDH, la Belgique,
pour mieux remplir sa mission, a changé... la mission ! Mais au nom de
quoi ? Ces missions, comment sont-elles définies ? Par qui ? Et quels en
sont les termes ?
Le rôle des ministères est-il, comme voudrait
le sens commun, d’utiliser leur budget pour remplir leurs missions... ou
de sabrer dans leurs missions pour « faire des économies » ? Est-ce
bien là le sens de l’action politique ? Et quelle est la part
d’initiative laissée à chaque ministre dans l’ajustement de ces
objectifs ? En l’occurrence, à Maggie De Block ?
Par ailleurs, le
secrétariat à l’Asile et à l’immigration a-t-il donné un compte rendu
détaillé de son action, de l’utilisation de son budget, de sa manière de
répondre à ses missions ? Y a-t-il eu un quelconque contrôle
gouvernemental, avant que tous ces tristes sires qui nous dirigent, ces
Néron et ces Caligula en goguette, n’applaudissent à tout rompre ?
S’est-on seulement penché sur le coût humain de ces 90 millions ?
S’est-on seulement penché sur le coût humain de ces 90 millions ?
Mais
qui, au gouvernement, se soucie de « coûts humains » ? Lequel de ces
chantres de la sacro-sainte « austérité » se préoccupe du sort réservé
aux étrangers ? De leurs conditions d’accueil ? Ou leur reconnaît même
encore – outrage ! – des droits ? Qui, de ces fanatiques de
l’« économie » – mais attention, la « saine », la « réaliste » : celle
qui ne s’en prend pas aux privilèges des puissants – se sent concerné
par le destin de travailleurs jetés au chômage ? Ou par leurs conditions
de travail ? Lequel, enfin, de ces oligarques aux ordres [11], fait
encore semblant d’avoir le moindre égard pour l’idée de démocratie ?
Car
n’ayons pas d’illusions. Les mêmes recettes sont d’ores et déjà
d’application – ou en préparation – dans tous les domaines de la vie
sociale : immigration, emploi, santé, justice, fiscalité, sécurité
sociale, services publics... On en frémit d’avance. La façon dont
certains, à Charleroi, ont récemment imaginé traiter le problème de la
mendicité – délocaliser les mendiants [12]! – est du même cru.
Yoann Mathieu
[1] www.sudinfo.be/749220/article/actualite/belgique/2013-06-22/maggie-de-block-secretaire-d-etat-a-l-asile-et-a-l-immigration-va-rendre-90-mill.
[3] Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile.
[5] Lire également cet article de mars 2012 : http://www.rtbf.be/info/belgique/detail_asile-sept-pays-places-sur-une-liste-des-pays-surs?id=7735818. Dès sa sortie, cette liste de « pays sûrs » était l’objet des plus vives critiques. Les arguments du CIRE font frémir.
[6] http://www.lalibre.be/actu/belgique/un-jeune-afghan-parfaitement-integre-expulse-51b8eddee4b0de6db9c73ff2 ; http://www.lesoir.be/archives?url=/actualite/belgique/2012-07-10/parweiz-sangari-bientot-sans-toit-a-kaboul-926109.php.
[7]
En revanche, le Ministère des Affaires étrangères continue de la
« déconseiller absolument » aux ressortissants belges comme destination
touristique :http://diplomatie.belgium.be/fr/Services/voyager_a_letranger/conseils_par_destination/asie/afghanistan/ra_afghanistan.jsp. La sûreté, c’est une notion très relative...
[8] http://www.dhnet.be/actu/belgique/des-employes-de-fedasil-menent-une-action-devant-le-cabinet-de-block-51cac3973570f99cc64af38b.
[9] N. Dobbelaere, « Un cadeau de 52 millions à deux multinationales », Solidaire, 4 avril 2013.
[10]
Sans même parler des conditions de vie dans les centres fermés, des
rapatriements brutaux et arbitraires, des refus aux frontières, ou
encore du sort des Roms... Longue est la liste.
[11] De l’UE, de la Troïka, de la finance...
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