- Écrit par Ahmed Benseddik, 7/6/2013
«Se
croire sorti de la cuisse de Jupiter», une expression française dont
les origines remontent à la mythologie romaine et qui signifie
se prendre pour quelqu'un d'exceptionnel, être imbu de soi-même,
être prétentieux. L'expression fait allusion au mythe de la naissance de
Dyonisos dont la mère Sémélé, parce qu'ayant demandé à son amant Zeus
de se montrer à elle dans toute sa puissance, fut anéantie par cette
vision. Zeus, pour ne pas perdre son fils, l'arracha des entrailles de
sa mère morte et le mit dans sa cuisse, d'où il naquit trois mois plus
tard. Plus tard, la mythologie romaine remplaça Zeus par Jupiter.
Le jeudi 30 mai 2013, la deuxième chaîne française de télévision, a
consacré une partie de son émission «Grand Public», à l'humoriste Jamel
Debbouze. Une émission au cours de laquelle fut évoquée une déclaration
de ce dernier pendant le festival de Marrakech du rire en 2012, et qui
mérite amplement que l'on s'y arrête, l'espace d'un instant :
«Je suis très fier de mon amitié avec le roi du Maroc parce que
je suis privilégié. Je suis à un endroit privilégié. Je sais quels sont
les combats qu'il mène, je les approuve, je les soutiens. Je trouve que
s'il y avait davantage de gens comme le roi au Maroc, le Maroc irait
beaucoup plus vite, mais il est seul... »
En quelques mots candides et condescendants, l'artiste a décrit la
quintessence de ce que le Pouvoir marocain s'évertue depuis des
décennies à inculquer au citoyen moyen, tout en maintenant sciemment, en
dessous de la moyenne, toute conscience politique, et tout esprit de
citoyenneté, au profit du fatalisme et de la passivité qui vont comme un
gant, au statut qu'on lui a concocté, de simple sujet, soumis à une
monarchie dont la légende voudrait qu'elle soit omnipotente et
omnisciente, avec un droit de vie et de mort, sur les siens.
Stratégie pitoyable, qui distille à l'envie, l'idée que le pays
serait peuplé d'une horde d'ignorants. De simples tubes digestifs,
incapables de prendre en main leur propre destinée et dont même les
élites ne sauraient être que domestiquées, «à-plat-ventristes»,
foncièrement incompétentes et notoirement corrompues. La théorie ainsi
énoncée, confère à la monarchie le rôle d'un Saint sauveur, contre les
affres du chaos, de la zizanie, et de toute autre forme d'insécurité.
L'affirmation du comédien: «le roi est seul» procède de la
même caricature de cette doctrine diabolique. Ce postulat signifiant,
entre autres : le roi est bien seul pour prendre les plus petites comme
les plus grandes des décisions. Celles-ci sont, par essence, à tout le
moins, irréprochables, sinon sublimes.
A la différence de Jamel Debbouze, qui mérite la palme d'or de
l'obséquiosité et dont le constat est une insulte à l'intelligence de
ses compatriotes, Fouad Abdelmoumni voit dans ce genre de discours, un
motif de grande inquiétude.
Au cours d'une interview vidéo datée
du 22 mai, l'économiste et militant des droits de l'Homme décortique,
sans fioriture et dans une perspective historique, le côté pervers de la
situation produite par cette stratégie, et les risques qu'elle fait
planer sur le futur du pays:
«La grande réussite du régime de Hassan II n'a pas été seulement
de réprimer les gens, elle a été surtout de convaincre tout le monde
qu'il n'y a pas que l'entourage royal qui était pourri mais que toutes
les élites étaient pourries. On a vu que le jeu de l'Etat actuel
continue dans cette direction. D'ailleurs le fait qu'il ait privilégié
l'élection de personnages de troisième ordre souvent avec une réputation
crapuleuse à la tête de partis historiques, au Maroc, relève de cette
dynamique fondamentale qui est : tous pourris. Et si tout le monde est
pourri, chacun n'a qu'à chercher à satisfaire son intérêt personnel, et
il pourra mieux le satisfaire en tapant aux grandes portes des palais,
plutôt qu'en cherchant une expression politique avec éventuellement un
fond idéologique, avec une démarche partisane organisée...
... Le roi actuel Mohamed VI semble se désintéresser de la chose
politique, lui-même victime du caractère absolument hideux de son
père...
... En 2001, il y a un retournement assez radical. Je crois que
pendant ces deux années, l'ensemble de l'entourage royal et l'ensemble
des élites, partisanes, gouvernementales, administratives, militaires et
autres, qui étaient en contact avec le roi, chaque fois qu'elles en
avaient l'opportunité, lui disaient : Majesté tout ce que vous touchez
devient or, et tout ce que vous ne prenez pas en charge, rien ne se
passe. Et donc il a probablement, de plus en plus, considéré qu'il avait
la baraka, cette volonté divine à ses cotés qui faisait qu'il pouvait
être sorti de la cuisse de Jupiter et apporter des changements
fulgurants ».
Voilà l'arrogance et le mépris érigés en outils de gouvernance et qui
vont jusqu'à dépouiller l'élite de sa dignité et la contraindre à
intérioriser le mépris et développer, à son tour, un discours le
justifiant, sinon le glorifiant. Nous sommes aux confins du syndrome de
Stockholm.
A cet égard, les récentes déclarations surréalistes de Habib
El Malki, un des barons de ce qui reste de l'USFP, sont édifiantes. En
commentant la tentative du parti de l'Istiqlal de solliciter l'arbitrage
royal, en vertu de l'article 42 de la Constitution, ce dernier a
affirmé toute honte bue, et tout en pestant contre ce qu'il a qualifié
de décadence de la politique :
«le roi est un arbitre, il est le garant de l'équilibre, entre
les institutions constitutionnelles, et donc le recours à lui est un
recours à la sécurité».
Autant le dire, les sécuritaires ont peaufiné leur basse besogne de
plonger le débat public et la vie politique dans un état de décadence et
distiller le spectre de l'apocalypse dans les esprits.
Si Jamal Debbouze se vante de son amitié avec le roi, la considérant
comme un privilège, le roi, quant à lui, n'a pas cette chance de compter
parmi ses amis, un certain Fouad Abdelmoumni.
Pour le plus grand malheur de notre pays. Il faut croire qu'un seul Fouad lui suffit.
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