- par Hasna Belmekki, 7/6/2013
A moins d'une cinquantaine de kilomètres de Rabat, les
habitants de la forêt de Maamora sont entrés en résistance. Menacés
d'expulsion par les autorités après quarante années de vie pour
certains, ils se mobilisent. Reportage sur une population en pleine
prise de conscience de ses droits fondamentaux.
Le combat a débuté il y a quelques semaines et c’est une certitude,
il se poursuivra. Les habitants de la forêt de Maamora ne lâcheront
rien. Déterminés, ils envisagent d’ores et déjà de mener la lutte
jusqu’au bout comme l’explique Milouda, l’une des doyennes de ce petit
peuple: «Beaucoup d’entre nous vivent ici depuis plus de 40 ans.
Nous ne possédons rien, juste ces abris. Où iront-nous s’ils démolissent
tout? Leurs promesses, nous n‘y croyons pas. Nous avons bien vu, lors
des deux précédentes destructions, que personne n’a été relogé! Nous ne
les laisserons pas faire!» lance t- elle les poings serrés.
Le 23 mai dernier, au petit matin, elle accompagne le petit cortège
composé d’une centaine de personnes, femmes et enfants en tête. Faisant
front, ils entourent la petite habitation de Mohamed, l’une des
premières baraques inscrites sur la longue liste d’habitations
insalubres vouées à la démolition par les autorités marocaines.
Pour l’occasion, les habitants de la forêt ont déployé une banderole
rouge frappée de l’étoile verte. Une façon de démontrer à l’Etat, qu’eux
aussi sont avant tout, des citoyens marocains. «Regardez quelles sont nos conditions de vie. C’est digne çà? Les droits de l‘Homme au Maroc c’est zéro!», lance un manifestant. Les slogans fusent. «C‘est un pays où il n‘y a rien, ni habitation, ni scolarisation! Nous sommes pauvres, parce qu’ils sont des voleurs!» crient en cœur les manifestants.
Le visage buriné barré d’une moustache, Mohamed se tient à proximité.
Inquiet, il fait les cents pas devant son habitation. Voilà plus de
quarante-cinq ans que ce dernier vit ici, avec sa femme, ses dix enfants
et sept petits-enfants. Dans sa bicoque faite d’argile, de plastique et
de tôle, il n’y a ni eau courante, ni électricité, pas plus
d’évacuation d’égout. Sans emploi, il survit grâce au soutien de ses
enfants qui effectuent des petits boulots journaliers. Personne ici n’a
été ou est scolarisé, pourtant Mohamed est doué de raison et a bien pris
conscience d’une chose: ses droits fondamentaux.
«Nous ne partirons pas, car nos droits ont été bafoués! Nous
n’avons jamais reçu aucune convocation de justice. Les procès visant
notre expulsion se sont déroulés en notre absence, il n’y avait personne
pour nous défendre. Seules les menaces et les intimidations de la part
des forces de l’ordre viennent jusqu’à nous, mais nous nous laisserons
plus faire. Nous avons désormais un soutien de taille, celui de
l’Association marocaine des droits de l‘homme. Les militants présents
aujourd’hui nous donnent de la force, et nous apportent sécurité et
espoir, nous ne lâcherons pas!» explique- t-il.
Au terme d’un face-à-face rapproché et tendu de plus de deux heures,
les autorités accompagnées d’une poignée de militaires ont rebroussé
chemin, laissant intacte la maison de Mohamed.
Derrière les applaudissements des manifestants, Mustapha militant des droits de l’Homme temporise : «Nous
avons gagné une bataille mais pas la guerre. C’est un combat difficile,
le Makhzen est puissant. Nous devons continuer de faire des pieds et
des mains, sans relâche.» confie-t-il.
Un peuple banni par les autorités
Six cents familles, soit près de deux mille personnes peuplent la
forêt de Maamora. Les habitations, implantées de façon anarchique, sont
pour la plupart faites d’argile, de roseaux et de tôle. Les plus
sommaires sont un assemblage de bâches plastiques, comme dans le
bidonville de Douar Mika.
Dans son rapport publié en mars dernier, la section de l’AMDH à
Tiflet détaille les conditions inhumaines dans lesquelles ces citoyens
vivent. Dans ces habitations insalubres, dépourvues d’eau et
d’électricité, les riverains doivent composer avec d’autres êtres
vivants de la forêt; les insectes. Les invasions sont fréquentes, les
maladies de peau très nombreuses. L’eau consommée par ces derniers
provient d’un puits voisin qui n’a jamais été contrôlé. Au vu du nombre
d’enfants malades, l’eau est certainement contaminée.
L’AMDH pointe également du doigt le refus des autorités locales de
délivrer des papiers administratifs. De nombreuses familles vivent sans
contrat de mariage, beaucoup d’enfants ne sont pas enregistrés à l’état
civil et sont privés de scolarité. Depuis le 2 mars dernier, jour du
premier démantèlement d’une habitation, l’étau s’est resserré sur les
habitants. Les menaces de la part des autorités locales sont devenues
quasi-quotidiennes.
Agé de 44 ans, Kebir s’est installé à Douar Mika il y a deux ans avec
femme et enfant. Depuis plusieurs semaines il n’arrive plus à trouver
le sommeil. «D’ordinaire je travaille au souk, où je vends du thé,
du pain et des cigarettes. Mais je n’ose plus sortir, les autorités
menacent de détruire nos maisons en notre absence. Je suis contraint
comme tous de ne plus aller travailler, je n’ai plus de revenu, je ne
tiendrais pas longtemps si cette situation dure» explique-t-il.
Initiation à la désobéissance civique
Acculés, les habitants ont pris la décision d’aller à la rencontre
des militants de l’AMDH de Tiflet pour demander de l’aide il y a
plusieurs semaines. Leur appel au secours a été entendu. Depuis, trois
militants les accompagnent, et les conseillent. Mustapha et Mohamed sont
même parvenus à convaincre ces derniers d’aller manifester dans le
douar voisin de Kamouni.
La mobilisation a été une réussite. Près de 200 personnes ont osé
braver leurs peurs pour se rendre devant le bâtiment de l’Office des
eaux et forêt, et autres administrations pour réclamer leurs droits. Une
première.
«L’apprentissage est en cours, ils ont encore des soucis, mais
ils commencent à prendre conscience de leurs droits, nous sommes sur la
bonne voie», explique Mustapha le sourire aux lèvres.
Depuis la dernière mobilisation, les autorités et les forces de
l’ordre ne sont plus revenus dans la forêt, alors que la justice avait
ordonnée deux démolitions supplémentaires.
Le calme avant la tempête?
Mohamed en est convaincu. «Nous devons être très vigilants, et surtout ne pas baisser la garde. Ils reviendront c’est sûr et à n’importe quel moment», conclue-t-il.
Le 22 mai dernier, une femme a perdu la vie lors du démantèlement
d’un bidonville près de Mohammedia. Les autorités avaient informé les
habitants que les démolitions commenceraient à 10h du matin, mais contre
toute attente, elles sont intervenues quatre heures plus tôt. Une femme
qui refusait de quitter sa maison est décédée lors de l’effondrement de
celle-ci.
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