- Écrit par Ali Anouzla, 8/6/2013
Depuis le début de l'année, et à l'heure où ces lignes sont
noircies, Mohamed VI en est à son troisième voyage à l'étranger,
consacrant pas moins de soixante jours à des déplacements entourés d'un
halo de mystère et d'un silence assourdissant.
Ainsi,
après la France, le 4 janvier pour dix neuf jours, les Emirats Arabes
Unis, le 26 avril, pour treize, le roi du Maroc se trouve depuis le 10
mai, en déplacement privé et impromptu, sans que nul ne soit capable
d'affirmer avec certitude sa destination, ni la date de son retour au
pays. En l'absence de toute communication digne de ce nom, les rumeurs
les plus approximatives vont donc bon train sur la motivation réelle de
toutes ces pérégrinations.
Rares sont les pays, exception faite pour quelques dictatures en voie
d'extinction, où le chef de l'Etat peut ainsi se permettre des congés
en mode «open», en sus des autres vacances surprises et se passer
d'annoncer ses périodes de congé.
A l'évidence, poser la question de savoir si cette catégorie de congé
est payée relève d'une pure perte de temps, le budget du palais ne
souffrant aucune discussion et ses dépenses n'étant soumises à aucune
sorte de contrôle, en vertu de la nouvelle constitution qui met la
monarchie à l'abri de tout contrôle ou reddition de comptes.
Mais une question d'importance demeure, tout de même, qui engage un
débat de fond, politique et constitutionnel : Mohamed VI est-il dans son
droit, lorsque, cumulant les fonctions régaliennes de roi, de
Commandant en chef des forces armées et de Chef d'état-major, il prend
la liberté de s'absenter aussi souvent et aussi longtemps, sans même
prendre la peine d'annoncer ni la date de son voyage, ni la durée de
celui-ci, ni le nom de l'intérimaire en charge des affaires du pays
durant son absence, comme il est coutume de procéder dans n'importe quel
autre pays dans le monde ?
Conformément à la constitution qu'il s'est fait concocter, le roi
semble déterminé à poursuivre dans la voie de la monarchie exécutive, en
vertu de laquelle il règne et gouverne. Chef de l'Etat et de
l'Etat-major des forces armées, il préside également le Conseil suprême
de la magistrature et le Conseil des ministres, sans oublier la
Commanderie des croyants. Celui qui s'octroie délibérément autant de
pouvoirs et de responsabilités devrait également s'appliquer le principe
de la reddition des comptes pour l'exercice de ses fonctions et
accepter de dévoiler des pans entiers de sa vie privée : bulletins de
santé, périodes de congés, voyages officiels ou privés, voire même son
emploi du temps quotidien, comme il est de coutume à la Maison blanche
ou à l'Elysée.
On se souvient de la levée de bouclier suscitée par le Safari
africain de Juan Carlos d'Espagne. Un voyage qui aurait pu passer
totalement inaperçu, dans cette monarchie parlementaire, si l'accident
survenu au souverain espagnol n'était venu assombrir son déroulement et
dévoiler aux Espagnols les raisons du déplacement royal : la chasse à
l'éléphant. Les espagnols avaient très peu gouté l'inclination de leur
roi pour ce luxueux voyage, agrémenté de gros gibier, aux frais du
contribuable, au moment où la crise économique les prenait cruellement à
la gorge, précipitant des millions d'entre eux dans les affres du
chômage, de la misère et des lendemains incertains.
Accablé de toutes
parts pour son comportement irresponsable, le roi d'Espagne n'avait
alors eu d'autre choix que d'apparaître contrit, pour battre sa coulpe,
sur toutes les chaînes de télévision espagnoles.
Même en Arabie saoudite, régime théocratique, le roi se plie à
l'exercice d'annoncer officiellement ses déplacements, y compris les
plus privés d'entre eux, et délégue ses pouvoirs, comme il l'a fait
dernièrement lorsqu'il s'est agi de sa dernière visite au Maroc.
Pourtant au royaume wahhabite, un pays gouverné par une famille et où
aucune constitution, ni élections, ni parlement, ni diversité politique,
ni impôts, ni liberté d'expression n'ont droit de cité, on témoigne
encore d'un minimum d'égards pour l'opinion publique et le petit peuple.
L'absentéisme du roi pose aujourd'hui un réel problème constitutionnel, politique tout autant que moral.
La constitution marocaine est ainsi faite que le régime marocain est
une monarchie exécutive par excellence. A ce titre, le roi est le seul
et véritable patron. Il endosse les plus hautes fonctions et les plus
hautes responsabilités, au sommet de la pyramide du pouvoir. En
référence au texte même de la constitution, qui oblige tout responsable à
rendre des comptes, de plus grandes responsabilités devraient impliquer
une reddition proportionnée des comptes. Mais en exemptant le roi de
cette contrainte, la constitution a fait du cas marocain une monarchie
exécutive exceptionnelle qui ne ressemble à aucun autre régime exécutif
où les chefs de l'Etat doivent, tout de même, répondre de leurs actes.
Un autre sujet de préoccupation, passé sous silence, dans le corpus
de la constitution et évoqué seulement par une infime minorité de
chercheurs et d'observateurs, est l'intérim en l'absence du roi. C'est
qu'il est tellement difficile d'imaginer voir confiés à une seule et
même personne autant de pouvoirs, en cas d'incapacité de les assumer
pour toutes sortes de raisons.
Sur le plan politique, le roi se considère comme un arbitre du jeu
politique. Mais, dans la réalité, nombreux sont les évènements qui ont
démontré qu'il est un acteur de premier ordre.
Un drôle d'arbitre,
qui n'hésite pas à interférer, comme lorsqu'il s'est ingéré dans le
cours de la justice, ordonnant la libération des mineurs, impliqués dans
les émeutes qui ont suivi le match RAJA/FAR à Casablanca d'avril
dernier.
Un drôle d'arbitre également, qui joue le « retardateur » dans la
crise de la coalition gouvernementale, en « demandant » à Chabat, selon
les dires de ce dernier, de surseoir au retrait de l'Istiqlal du
gouvernement, une demie heure seulement après la prise de cette décision
par le congrès du parti en question, réuni à cet effet. Une semaine
plus tard, Benkirane, en pleine réunion de cabinet, confirmait que le
roi maintenait sa confiance à l'ensemble des membres du gouvernement,
les « Istiqlaliens », y compris !
Un interventionnisme aux antipodes de tout arbitrage qui paralyse et
qui constitue un obstacle à tout progrès. Les querelles intestines au
sein du gouvernement qui se poursuivent à fleurets non mouchetés, depuis
quatre longues semaines en sont la plus éclatante démonstration, alors
qu'une crise économique sans précédent, pointe ses effets dévastateurs, à
l'horizon.
Sur le plan diplomatique, la même préoccupation se pose quant à
l'empreinte du roi sur la conduite des affaires étrangères. Que
d'occasions ratées par le Maroc, à des réunions et des conférences
internationales, où se bousculait le gratin de la diplomatie mondiale et
où le Maroc était représenté par des individus sans légitimité
constitutionnelle, ni autorité, pour négocier avec les chefs d'Etat
étrangers ou engager la responsabilité de notre pays.
Enfin, quelle signification particulière donner à l'absence du roi
alors que le Premier ministre d'un pays de l'importance de la Turquie
nous rendait visite ? Un manquement à son devoir qui n'est
malheureusement pas une première à mettre à l'actif du roi. Dans un
passé récent, il avait refusé de rencontrer le Premier ministre
tunisien, Hammadi Jebali, en visite officielle, dans notre pays, au
prétexte d'un emploi du temps chargé. Quel prétexte autre qu'un agenda
chargé, invoquera-t-on au Palais, cette fois, pour justifier l'absence
du roi, lors de la visite d'Erdogan ?
Et si l'adage marocain prétend que «l'absent a toujours sa
justification sur lui», chacun sait qu'aucun individu, aucune autorité,
ni aucune institution n'osera jamais exiger de Mohammed VI qu'il
s'explique sur les raisons de son absentéisme !
Traduit de l'arabe par Salah El Ayoubi - version originale ici
http://fr.lakome.com/index.php/chroniques/913-de-l-absenteisme-royal
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