par
Attac/Cadtm Maroc, 18/5/2013
Le dilemme des choix néolibéraux dans un contexte de crise mondiale du capitalisme
Le contexte politique actuel se caractérise par l’aggravation de la
crise du capitalisme à l’échelle mondiale et l’offensive généralisée du
capital pour faire supporter le fardeau de sa crise aux masses
populaires.
Au Maroc, cette crise accentue l’impasse des choix néolibéraux
imposés par les institutions financières et commerciales
internationales. En effet, Le Maroc était colonisé pendant 43 ans (de
1912 à 1955) par la France et l’Espagne qui ont pillé ses ressources,
empêché son industrialisation et entravé son développement. Le processus
de lutte pour l’indépendance n’a pas permis une rupture avec la
domination coloniale qui s’est poursuivie sous de nouvelles formes. La
dette qui était le principal outil de financement dès le début des
années soixante, a explosé au début des années quatre-vingt et a
entrainé les programmes d’ajustement structurel. La Banque mondiale et
le Fonds monétaire international imposaient alors leurs politiques de
tout pour l’export, le démantèlement des barrières douanières, la libre
circulation des capitaux étrangers et des marchandises, la privatisation
des entités publiques rentables et des services publics, les accords du
libre-échange, etc. Ces choix néolibéraux ont accentué le transfert
des richesses, la dépendance structurelle de notre pays à tous les
niveaux (financier, technologique, industriel, commercial et
alimentaire), et ont condamné la majorité des citoyens à vivre dans la
pauvreté et l’analphabétisme.
L’impasse de ces choix est retentissante dans le contexte actuel de crise
L’année 2012 a connu un taux de croissance de 2,4% contre 4,9% en
2011. Elle s’est terminée par un déficit commercial de 197 milliards de
DH qui représente 23,8% du PIB (1 euro = 11 dirhams –DH-), et la valeur
de nos exportations ne couvre que 48% de nos importations (36% pour la
balance alimentaire). La crise en Europe affecte aussi les autres
principales sources de devises (les résidents marocains à l’étranger, le
tourisme et les investissements directs étrangers) qui manifestent une
tendance à la baisse. Ce qui a conduit à un déficit historique du
compte courant de la balance des paiements qui a atteint près de 83
milliards de DH à fin 2012, soit 10% du PIB (le plus haut niveau de
déficit depuis les années 1980). Les avoirs extérieurs nets ne
permettent de couvrir que 3 mois et 27 jours d’importations de biens et
services en février 2013. C’est alors qu’on tombe à nouveau dans la
spirale infernale de l’endettement.
La dette publique totale (interne et externe) du Maroc a atteint 583
milliards de DH (environ 71% du PIB) en fin 2012. Son service est de 108
milliards de DH. Si l’on compare le poids annuel de la dette avec le
budget de l’Éducation en 2012 (51 milliards de DH), de la Santé (12
milliards de DH) ou des investissements publics (59 milliards de DH), on
se rend à l’évidence qu’aucun développement économique ou social n’est
possible sans l’annulation de la dette.
Mais l’État continue sa quête de devises en empruntant directement
sur les marchés financiers internationaux : 1 milliard d’euros en 2010
et 1,5 milliards de dollars en décembre 2012. Pendant ce temps, le FMI,
par le biais de sa nouvelle Ligne de précaution et de liquidité (LPL)
dotée de 6,2 milliards de dollars, nous a fixés les termes du plan
d’austérité à suivre. Au menu : gel des salaires (les principales
dispositions de la loi des Finances 2013 portent sur un quasi-blocage de
la masse salariale publique, qui ne croîtrait que de 1,3% après avoir
progressé de 9,2% en 2012), démantèlement du système de subventions des
produits de première nécessité et du système des retraites par
répartition, baisse de la dépense publique dans les secteurs sociaux et
privatisation de l’enseignement et de la santé. Le gouvernement
marocain vient déjà de prendre la décision de réduire le budget
d’investissements publics de 15 milliards de dirhams sur les 59
milliards de dirhams fixés dans la loi des finances 2013, ce qui aura un
impact négatif sur le taux de croissance déjà faible, l’emploi et le
niveau de vie. Les impôts représentent plus de 63% des recettes de
l’État dans la Loi des finances de 2013 mais seront supportés
essentiellement par les consommateurs et les salariés, tandis que la
participation des entreprises privées et des ménages riches restera
faible, car elles bénéficient d’exonérations fiscales, de subventions et
d’un accès au foncier à des prix dérisoires.
Ce sont donc les masses populaires qui payeront la crise par un
accroissement de la précarité et le chômage. Selon le rapport 2013 sur
le développement humain réalisé par le PNUD (Programme des Nations-Unies
pour le Développement), le Maroc est toujours classé 130e sur 187 pays
sur la base de trois dimensions : l’éducation, la santé et le revenu. En
effet, le taux d’analphabétisme officiel en 2012 est de près de 30%
pour les hommes (population âgée de 10 ans et plus) et 50% pour les
femmes qui représentent plus de 50% de la population. Les dépenses de la
santé représentent 5% du budget général de l’État et 1,4% du PIB. Le
nombre de médecins est 5,4 médecins pour 10.000 habitants contre 12 en
Tunisie, 13 en Algérie et 34 dans les pays d’Europe. Le PIB par tête
d’habitant au Maroc s’élève à 2 100 DH par mois (25 200 DH par an) et le
salaire médian dans le secteur privé est de 2 377 DH par mois contre 6
400 DH dans la fonction publique, tandis que le coût des besoins pour
une vie décente est estimé à plus de 5 000 DH. Le taux de chômage
avoisine 10% et le Maroc compte plus de 9 millions de pauvres (28% de la
population) par application de l’indice multidimensionnel de pauvreté
(9% selon l’approche monétaire officielle, c’est-à-dire moins de 2,15
dollars par personne et par jour).
La répression pour faire supporter le fardeau de la crise aux masses populaires
La gravité de la crise rétrécit la marge de concession du régime qui
essaye d’anticiper sur les résistances populaires et ouvrières qui se
développent sur tous les fronts par la répression et un acharnement
contre toutes les formes de protestations sociales. Ceci se manifeste
par des interventions sauvages contre les manifestations et sit-in,
l’incarcération et les poursuites judiciaires contre des militants
actifs, des intimidations de toutes sortes à leur encontre. L’Etat
essaye d’instaurer un climat de peur et de criminaliser les résistances.
Parmi elles, celles du Mouvement du 20 février (M20F) qui connaît
certes un essoufflement, mais ses principales revendications (démocratie
et justice sociale) continuent à être portées dans toutes sortes de
mobilisations. La répression frappe aussi les luttes syndicales pour la
défense des acquis dans le secteur public (enseignement, santé,
justice, …) et privé (mines, textile, hôtellerie, agriculture,…), les
diplômés chômeurs en lutte pour leur droit au travail (leurs actions
quotidiennes se poursuivent à Rabat malgré la répression féroce). Les
contestations pour défendre les services publics, le droit au logement
et contre la cherté de la vie dans les villes subissent le même sort.
Dans les zones rurales, les populations réclament des infrastructures de
base qui manquent terriblement dans les régions enclavées. Les femmes
victimes des effets désastreux du système du micro-crédit et les
migrants subsahariens subissent également la répression, le racisme, les
incarcérations et les procès iniques.
L’ensemble de ces mobilisations reflète la forte opposition politique
aux politiques néolibérales et à l’État qui fait supporter le fardeau
de la crise aux masses populaires et bafouer la liberté d’expression et
d’opinion et les droits humains.
Une situation politique très incertaine
Les résistances se maintiennent contre l’offensive libérale mais ne
sont pas encore à la hauteur d’une contre-attaque globale pour stopper
l’hémorragie et imposer une alternative populaire. De même, elles
n’incluent pas directement une dimension politique en termes de
revendications démocratiques et une mise en cause de ceux qui gouvernent
qui étaient justement portées par le mouvement de 20 février (M20).
En effet, l’émergence du M20, en février 2011, dans le contexte des
révoltes populaires dans les pays du Maghreb et de la région arabe, a
augmenté l’ampleur des mobilisations sociales, surtout pour le droit au
travail et les services publics, qui ont atteint toutes les couches du
peuple marocain dans toutes les régions du pays. Il a également porté
des revendications politiques directes dans la rue telles que la lutte
contre la corruption incarnée dans certains fonctionnaires de l’État,
des parlementaires, et des membres des conseils locaux et en réclamant
la destitution du gouvernement, la dissolution du parlement et la
libération des prisonniers politiques, etc. Il a mis en évidence la
perte de crédibilité de la nouvelle Constitution boycottée par la moitié
des Marocains, et des institutions représentatives par la
non-participation très faible aux élections législatives dont le taux
réel n’était que de 25 %. Mais pour l’instant la monarchie a réussi à
reprendre l’initiative dans la gestion de la politique générale du pays
en concertation avec les institutions financières et commerciales
internationales et les pôles de l’impérialisme.
Le rapport de force est actuellement en défaveur des classes
populaires qui souffrent d’un épuisement de leurs outils de lutte. Les
partis politiques de la gauche institutionnelle qui parlaient au nom des
forces populaires s’accordaient avec la monarchie pour un nouveau
consensus qui permettra une stabilité politique et une continuité des
politiques néolibérales. Ils légitiment le despotisme en place en
participant aux gouvernements de façade et les pseudos institutions
représentatives. Ils sont suivis par les syndicats, émiettés,
bureaucratisés, atomisés qui collaboraient eux aussi avec l’Etat et les
employeurs pour maintenir la paix sociale et détruire les acquis
historiques de la classe ouvrière. Le dogme libéral domine également au
sein des dirigeants de nombreuses organisations de femmes, de jeunes,
des droits de l’homme et organisations de « la société civile », ainsi
que parmi un large éventail des intellectuels et des enseignants
universitaires qui considèrent que le temps de la résistance et la
confrontation est révolu, et qu’il faut juste travailler à humaniser la
mondialisation néo - libérale et s’accrocher au régime existant en tant
que garant de la stabilité politique, surtout avec la montée de
l’épouvantail de l’islam politique. Et avec l’ampleur de la machine
médiatique qui défend le nouveau règne et l’absence de traditions
nécessaires de solidarité, les expériences combatives des luttes
ouvrières et des mobilisations populaires restent fragmentées et isolées
et vulnérables à des campagnes de répression, les combats des diplômés
chômeurs subissent une répression journalière farouche et systématique,
et toutes les voix dissidentes subissent également des harcèlements de
toutes sortes. En effet, pour faire passer les plans d’austérité et la
restructuration globale de l’économie et de la société tel que requis
par les Institutions Financières Internationales et les multinationales
le régime n’avait d’autres moyens que le renforcement de la répression
contre les mouvements de protestation en croissance et la réduction des
libertés publiques par un système politique qui est dépourvu de toute
légitimité populaire. La gauche radicale est trop faible pour peser et
influencer largement. Le champ reste alors ouvert aux courants
islamistes radicaux qui exploitent cette absence de perspective
progressiste claire pour orienter les aspirations surtout des jeunes
vers des horizons obscurantistes.
Construire un front populaire large contre les plans néo – libéraux
Le défi central pour ATTAC/CADTM MAROC dans le contexte politique
actuel, est de contribuer à la construction d’un front large contre les
plans néo-libéraux. Le slogan qui oriente ATTAC Maroc reste
« l’éducation populaire tournée vers l’action », qui signifie, réfuter
la logique des IFI basée sur le marché et le profit privé, et développer
des alternatives populaires basées sur les priorités sociales des
citoyens. D’où ses campagnes de sensibilisation contre la dette, contre
la privatisation des grands établissements publics et contre la
marchandisation des services publics de santé, d’éducation, d’eau,
électricité, des transports urbains, contre les accords de
libre-échange, la fiscalité injuste, l’accaparement des terres, etc. Ce
grand effort d’éducation populaire s’accompagne d’une pratique
quotidienne pour unir les luttes et la coordination des expériences.
Malgré son rayonnement national, et malgré les efforts considérables
déployés par les militants d’ATTAC Maroc pour renforcer sa présence dans
les mobilisations, et en dépit des succès de ses positions et de ses
analyses, son implantation populaire reste encore modeste. Le discours
d’ATTAC/CADTM MAROC se distingue du consensus libéral et sonne comme
une tendance radicale contre le courant général surtout que la machine
des grands médias de l’État influence l’esprit des citoyens plus qu’une
association limitée en ressources et en influence. L’État ne cesse de
harceler notre association et refuse toujours de renouveler son
récépissé de dépôt légal, malgré la reconnaissance dans la pratique.
Ceci la prive des salles publiques pour ses activités et limite ses
initiatives, des aides financière comme d’autres associations, et
accentue son déficit budgétaire pour garantir ses propres locaux. Il
faut ajouter à cela la caractéristique des adhérents d’ATTAC Maroc qui
sont essentiellement des jeunes. Ces jeunes confèrent une très grande
audace de lutte et d’initiatives, d’une part, mais d’autre part rendent
difficile une continuité de son travail et la mise en œuvre des plans en
raison de l’instabilité de la situation sociale de ces jeunes qui sont
les premières victimes du chômage et de la précarité.
Malgré tous ces défis ATTAC Maroc continue à œuvrer pour la
construction d’un mouvement social fort et profondément enraciné et
pousser les mobilisations sociales vers la conquête de la démocratie et
de la justice sociale.
Le 20 avril 2013
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