Abdellatif Laâbi
a sans cesse gratifié le débat de sa pensée éruptive à travers ses
analyses percutantes et sa production poétique qui est l’une des œuvres
novatrices que l’histoire de la littérature nous a révélées.
Le
parcours de Abdellatif Laâbi est connu par les lecteurs et les proches.
Je ne parlerai ici que de l’initiative de « L’Autre Maroc » dont j’ai
activement pris part. Une initiative qui s’est opposée à « L’Année du
Maroc » organisée par la France en 1999. Nous avions démontré qu’un
autre Maroc existe, ou du moins nous avions gravé les contours de ce
Maroc auquel nous aspirons de toutes nos forces… « L’Année du Maroc »
féodal, aplati sous les bottes d’un tyran, Hassan II, n’avait pas bonne
figure. Nous avions dénoncé avec vigueur et rigueur les violations
flagrantes des droits humains au pays de « Notre ami le roi ».
Dès
la mort de Hassan II, Abdellatif Laâbi a cru à tous les possibles. Et
les signes avancés par Mohammed VI l’ont conforté dans son attitude
vis-à-vis de « l’ère nouvelle » : le renvoi des femmes du harem ; la
réforme de la Moudawana ; le limogeage de Driss Basri ; l’Instance
Équité et Réconciliation…
C’est
que Abdellatif Laâbi imaginait que le changement était à portée de
main… et dès l’annonce, sciemment précipitée, de la réforme de la
Constitution, même sans Constituante, opérée dans la foulée du Printemps
de la Dignité, il y a cru de bonne foi. A l’éclosion du Mouvement du 20
février, Laâbi publie « Maroc, quel projet démocratique ? », où il
penche vers une « monarchie parlementaire », garante de la stabilité.
C’est que Laâbi est resté gravement obsédé par la montée de l’islamisme
(il n’est pas le seul, on peut citer Adonis et tant d’autres
intellectuels de cette génération). Choisir le moindre mal est resté la
consigne qui supporte leurs analyses. Mais peut-on choisir entre le
choléra et la peste ?
Abdellatif
Laâbi revient, dans une « lettre » adressée à ses concitoyennes et
concitoyens intitulée « Un Autre Maroc », sur « le silence des
intellectuels » indexé sur le Net ou dans les journaux. En homme de
parole, toujours au rendez-vous pour aborder les questions de notre
temps, Laâbi a toujours rompu le silence. Dans ce livre, il nous dit que
la Constitution n’était rien d’autres qu’un « monument de verbiage »,
et que finalement cette Constitution ressemble clairement à celles qu’on
nous a seringuées depuis l’indépendance… Et Laâbi d’ajouter : « Comme
j’aurais aimé qu’un autre scénario fût possible ! Sincèrement (d’aucuns
me rétorqueraient « naïvement »), j’y avais cru au début. Et je n’étais
pas le seul… ».
Je ne
voudrais pas priver le lecteur du plaisir de ce texte où Laâbi fait un
procès social et historique de ce vieux Maroc pour passer à l’Autre
Maroc, celui que nous sommes en train d’édifier dans la marge. Ce livre
est un réquisitoire sévère contre les incultes au pouvoir, et une
plaidoirie pour la culture et la connaissance.
En
revenant de ses illusions, Laâbi parait pourtant fermement attaché à la
monarchie et au pouvoir représenté par un homme, à plusieurs passages
dans ce livre. Je n’en tire qu’un exemple de l’autre scénario que Laâbi
imagine si l'intelligence était du côté du monarque de droit divin :
« Le monarque, selon un consensus à l’évidence acquis, serait ainsi
rendu à son pôle spirituel et d’arbitre, de garant de l’unité nationale,
de la sécurité du pays et des citoyens, des libertés individuelles et
collectives, et du pluralisme culturel et politique ».
Pour
une fois, cette analyse venant d'un auteur que je considère comme mon
maître, qui nous a habitués à être méfiants vis-à-vis de tout pouvoir,
me laisse très perplexe!
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