- Écrit par Christophe Guguen, Lakome, 21/2/2013
En poste à Rabat depuis septembre 2009, Eneko Landaburu quittera le
mois prochain la tête de la délégation de l'UE au Maroc. Dans cet
entretien accordé à Lakome, le diplomate espagnol revient avec son
franc-parler habituel sur l'évolution récente des relations Maroc-Union
européenne, le travail qui reste à accomplir notamment en termes de
convergence réglementaire et de mobilité. Évitant de se poser en « instituteur qui donne des leçons »,
Eneko Landaburu affirme que l'UE est disposée a accompagner le Maroc
sur le long chemin de la démocratisation, deux ans après le
déclenchement du printemps arabe, mais il rappelle que le rôle de l'UE
est avant tout de défendre les intérêts de ses 500 millions de citoyens,
alors que l'Europe elle-même est arrivée selon lui « au bout d'un modèle ».
Lakome : Le statut avancé octroyé par l'UE en 2008 fait suite
à une demande exprimée par le Maroc, qui souhaitait se rapprocher
davantage de l'Europe. Le roi Mohammed VI avait appelé en 2000 à un
partenariat qui soit « plus que l'association et moins que l'adhésion ».
Aujourd'hui, ce désir de rapprochement s'est-il traduit dans les faits
par une plus grande convergence du Maroc vers les normes et principes
européens ?
Eneko Landaburu : La difficulté avec les objectifs
clairement inscrits du statut avancé réside dans le fait que ce sont des
objectifs généraux que l'on ne peut pas toujours quantifier. Quand il
est dit que l'on souhaite que le Maroc partage les valeurs et principes
de l'UE, c'est à dire la démocratie, les droits de l'homme, la liberté
d'expression, on n'a pas quantifié quand cela devait être fait et
jusqu'à quel point cela devait être fait. De la même façon, le statut
avancé prône une plus grande intégration économique et le principe d'une
économie sociale de marché : on énonce des objectifs stratégiques
généraux, sans déclinaison précise d'un calendrier.
Néanmoins, sur le plan du dialogue politique, il est incontestable
que l'on a de plus en plus des discussions approfondies non seulement
dans nos relations bilatérales mais aussi sur les questions de politique
internationale qui intéressent le Maroc, que ce soit le changement
climatique, la guerre en Syrie, la situation au Sahel, ... Dans ce
domaine, les avancées sont incontestables. De même, en élargissant les
acteurs du dialogue : ce ne sont plus seulement le gouvernement marocain
et les autorités européennes exécutives (Commission et Service
extérieur) qui sont les seuls acteurs. Le parlement, avec un comité
mixte parlementaire, les conseils économiques et sociaux des deux côtés,
et la société civile sont désormais parties prenantes du statut avancé.
Sur le plan économique, il est certain que l'intégration est réelle.
L'UE reste le premier investisseur dans ce pays. Presque deux tiers du
commerce marocain se fait avec l'UE. Il y a une consolidation du
partenariat économique qui est incontestable.
Là où nous n'avons peut être pas suffisamment avancé, c'est dans tout
le processus de convergence réglementaire, notamment les normes, les
législations européennes qui, adaptées au Maroc, permettraient à
l'économie marocaine d'être plus intégrée au marché européen. Pourquoi
n'a t-on pas suffisamment avancé ? Parce que l'on n'a pas réussi à fixer
un calendrier et des objectifs clairs de rapprochement de la
législation marocaine vers l'acquis communautaire européen. Le travail
reste à faire. Je l'ai dit plusieurs fois et je le redis. L'idéal serait
l'élaboration d'un plan national marocain de convergence réglementaire
pour que le Maroc choisisse ce dont il a besoin – parce que tout n'est
pas forcement bon à prendre dans l'acquis communautaire – donc il faut
faire une sélection : qu'est ce qui est bon pour le Maroc ? Ensuite, il
faut définir dans quels délais et avec quelles ambitions temporelles on
va mettre les choses en œuvre...
Mais c'est au Maroc de mener ce travail ?
Oui c'est une volonté du Maroc, que nous soutenons car nous pensons
que c'est une bonne chose pour le Maroc et pour nous. Plus l'économie
marocaine sera intégrée au marché intérieur de l'Union, plus elle pourra
profiter de nos 500 millions de citoyens et consommateurs.
A partir du moment où l'option d'une économie ouverte a été choisie
par le Maroc, un accord de rapprochement réglementaire et structurel à
l'économie la plus proche et la plus influente ne peut être qu'une bonne
chose, car cela aura comme conséquences de stimuler la concurrence, la
capacité d'innovation, et par là-même d'améliorer la compétitivité de
l'économie marocaine.
Pourquoi le Maroc selon vous n'a pas encore avancé ces dernières années dans ce rapprochement réglementaire ?
Parce que c'est compliqué et difficile. Il faut, ministère par
ministère, examiner le différentiel existant entre la législation
européenne et marocaine et à partir de là essayer de voir comment on
pourrait mettre en place un plan de réduction de ces différentiels.
C'est un long travail qui à mon avis doit être dirigé par un organe qui
peut agir sur les différents ministères. C'est un travail typiquement
interministériel. C'est pour cela que je me réjouis de l'intérêt
manifesté maintenant par le Secrétariat Général du Gouvernement, qui a
mis en place un certain nombre d'actions pour mener ce travail. Je vois
là une piste positive qui devra être évidemment approfondie. De notre
côté, on n'a pas de priorité. Ce qui me parait important sur le plan
pédagogique c'est de voir quels sont les secteurs dans lesquels on
pourrait assez vite avoir des résultats pour qu'on puisse enclencher une
dynamique. Ne commençons pas par le plus difficile. Nous soutenons déjà
cette démarche par un programme de coopération financière intitulé "
Réussir le Statut avancé".
Lors des débats sur l'octroi du statut avancé, des
eurodéputés ont soulevé la question de l'application des critères de
Copenhague. Considérez-vous qu'aujourd'hui le Maroc remplit ces critères
relatifs à l'état de droit et à la démocratie ?
Je connais bien ces critères vu que j'étais à l'époque le négociateur
en chef pour l'adhésion à l'Union européenne des pays de l'est
européen. Les critères de Copenhague à mon avis ne sont pas à appliquer
tels quels à des pays tiers car ces derniers n'ont pas des droits et
devoirs identiques à ceux des pays membres.
Donc l'application telle quelle ne me parait pas adéquate pour
exercer des conditions d'un accord de partenariat.. Mais pour revenir au
Maroc et aux pays voisins, il est vrai que la Tunisie n'a pas obtenu le
statut avancé du fait que le régime autoritaire et dictatorial de Ben
Ali violait très sérieusement les droits de l'homme. Au Maroc, on a vu
qu'il y avait des avancées juridiques et concrètes dans la
démocratisation qui permettait la conclusion d'un accord de statut
avancé. Depuis d'autres progrès notables ont été réalisés, dont
l'adoption d'une nouvelle constitution plus progressiste.
Depuis le vote de la nouvelle constitution en 2011, on
constate pourtant encore des violations des droits de l'homme au Maroc –
répression violente des manifestations, incarcération des militants du
20 février. Et l'exécutif européen reste silencieux.
Ecoutez, il faudrait se débarrasser de l'idée que l'UE doit être le
professeur en politique ou sur la question des droits de l'homme. Nous
sommes dans une relation politique d'Etat à Etat. Nous ne sommes pas une
ONG.. Nous avons des intérêts à défendre et des pratiques à respecter.
Alors, quand les lignes rouges nous semblent dépassées par rapport à des
engagements pris, on intervient. J'ai dénoncé par exemple la lenteur de
la réforme de la justice, j'ai fait des commentaires sur l'état des
prisons, j'ai parlé de la situation des migrants dans ce pays. Mais je
ne suis pas là pour être l'instituteur qui donne des leçons. Je suis là
en tant que représentant de l'UE, c'est à dire de 27 États qui ont 500
millions de citoyens, qui ont des rapports privilégiés avec ce pays et
qui veillent évidemment à ce que la situation des droits de l'homme
s'améliore. Nous voyons chez la majorité des habitants de ce pays un
désir et une volonté d'approfondir cette situation, que ce soit par les
nouvelles avancées constitutionnelles, par la mise en place du CNDH, par
une pression pour plus de libertés de presse et d'expression, tout cela
nous semble positif.
Je crois que nous sommes dans notre rôle. Imaginez ce que diraient
les marocains – à juste titre - si nous intervenions à chaque fois
qu'une action du gouvernement ne nous plaisait pas : ce serait du
néo-colonialisme. Si des choses graves se passaient, évidemment nous
interviendrions et c'est là tout le sens de notre nouvelle politique de
voisinage. Car nous voulons privilégier le support à la démocratie et à
la société civile. Plus un pays fera des efforts d'approfondissement de
sa qualité démocratique à l'avenir, le plus il recevra de support
politique et financier de l'Europe. Cela veut dire aussi que celui qui
fait le moins aura moins.
Peut-on revenir sur l'épisode de la réforme de la justice au Maroc. Pourquoi l'UE a-t-elle retiré son appui financier ?
En fait l'aide n'a pas été donnée : on avait bloqué des sommes très
importantes pour appuyer les réformes qui devaient se faire. Mais comme
il n'y a pas eu expression claire d'un plan de réforme, ces sommes n'ont
pas été utilisées.
On parle de 100 millions d'euros (environ 1 milliard de dirhams) ?
Oui nous avions prévu 100 millions d'euros en 2009. Aujourd'hui on
est en 2013, nous sommes prêts à reconsidérer la mobilisation de sommes
plus ou moins équivalentes quand nous aurons une stratégie et un
calendrier. Sur cette base-là, nous négocierons avec le ministre les
conditions de notre appui. On souhaite le faire vu que c'est un élément
fondamental de la démocratisation du pays.
Le ministre de la Justice Mustapha Ramid mène actuellement
des consultations. Le nouveau gouvernement vous a-t-il redemandé cet
appui ?
Non, quand je l'ai vu, je lui ai dit : « M. le Ministre, quand vous
aurez une réforme globale à proposer, une fois toutes vos consultations
terminées, je me tiens à votre disposition pour que l'on évoque les
modalités d'un support de l'UE ». Mais pour que l'on engage cette
coopération, il faut qu'on ait une idée assez précise des éléments
majeurs de cette réforme, c'est à dire de ses objectifs, de ses
priorités et de ses modalités de mise en œuvre.
Au niveau économique, l'accord de libre-échange Maroc-UE est
dénoncé par les opérateurs marocains, notamment dans l'industrie, qui
ont du mal à lutter face à la concurrence européenne. Le déficit de la
balance commerciale entre le Maroc et l'UE s'aggrave : 4,2 milliards
d'euros en 2007, 5,9 milliards en 2010. Ce déficit va-t-il
inéluctablement continuer à se creuser ?
J'espère que non. Quel est le but d'un tel accord ? C'est celui
d'assurer des conditions de croissance et d'échanges qui soient libérés
de contraintes administratives et politiques. Parce que jusqu'à
aujourd'hui, on n'a rien trouvé de mieux dans le monde pour créer de la
richesse et de l'emploi que de libérer les forces économiques non
seulement sur le plan interne mais aussi au niveau international. Le
développement du commerce international a créé les conditions d'une très
grande richesse pour beaucoup de gens. La Chine par exemple a sorti 200
à 300 millions de gens de la pauvreté ces dernières années grâce en
partie à l'existence d'un commerce sans entrave ou avec des entraves
limitées.
Le Maroc a compris depuis longtemps que la seule façon de trouver les
conditions d'une croissance suffisante pour appliquer des politiques
sociales était d'ouvrir son marché et de s'ouvrir à l'économie mondiale.
C'est un choix stratégique, qui n'a pas été le même dans d'autres pays,
notamment arabes. Ce choix marocain vient à l'époque de la décision du
Roi Mohammed V, après l'indépendance, de s'engager dans une économie
ouverte et de choisir le multipartisme. D'autres ont choisi à l'époque
d'être plus liés à l'URSS, d'avoir des économies dirigées et un parti
unique.
Résultat, aujourd'hui, on constate une croissance économique sérieuse
du Maroc. Environ 5% de croissance ces dix dernières années ; avec
accumulation des richesses du fait aussi des investissements étrangers,
tout ça dans un pays qui n'a pas de pétrole. On a donc créé les
conditions d'une croissance qui a profité de façon certes inégale aux
populations mais qui, globalement, a créé des conditions d'amélioration
du niveau de vie de certaines catégories de personnes, notamment le
développement d'une classe moyenne.
Donc, est ce que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
Non. Pourquoi ? En grande partie parce que ce pays n'a pas réussi à
faire les changements profonds suffisants pour améliorer sa
compétitivité à l'extérieur. Comme le niveau de vie augmentait, la
richesse du pays a augmenté. Il y a eu de plus en plus d'importations,
importantes pour le consommateur marocain et facilitées par l'ouverture
des marchés. Par exemple aujourd'hui, le coût de l'électroménager a
baissé de moitié. Il y a eu des tas de produits, du fait de la
suppression des droits de douanes, qui sont devenus plus intéressants et
moins chers pour le consommateur marocain qui peut aujourd'hui, sur le
plan économique, mieux profiter de ces produits auxquels il n'avait pas
accès auparavant.
Le problème c'est que les importations ont augmenté mais pas les
exportations dans les mêmes proportions. De ce point de vue là, le bilan
n'est pas satisfaisant. "Que faire", disait Lénine ? Bonne question.
Mais il n'y a pas 36 solutions. Soit on change de modèle, on ferme les
frontières pour qu'il y ait moins d'importations et équilibrer la
balance commerciale. Mais généralement ça ne marche pas parce que celui à
qui on a fermé les frontières va prendre des mesures similaires. Et
tous les modèles et expériences que nous avons eus montrent bien que
l'alternative de l'autarcie mène à l'échec économique et souvent à la
pauvreté.
La seule solution c'est de mettre toute la priorité sur la
consolidation de secteurs qui peuvent être performants à l'export. Si on
veut que les gens de ce pays, continuent de profiter d'un relatif
bien-être matériel et que ce bien-être se répande et constitue une
classe moyenne qui ensuite permettra de payer des politiques sociales
pour résoudre les problèmes fondamentaux des plus pauvres de ce pays, il
faut une dynamique économique.
Donc je dirai qu'avec l'UE on est arrivé à une situation qui n'est
pas satisfaisante pour le Maroc. On va lancer à la fin du mois les
négociations pour un accord de libre échange complet et approfondi. Cela
devrait toucher, au-delà des échanges commerciaux, à des mesures qui
permettront une plus grande intégration économique, sur l'ouverture des
marchés publics, la lutte contre la contrefaçon, sur l'amélioration du
régime des investissements, etc.
Les négociations vont être longues mais cela devrait conduire à une
intégration économique sans entraves, qui devrait bénéficier à terme aux
citoyens marocains.
Avec la crise qui touche l'UE, on voit de plus en plus
d'entrepreneurs européens, artisans, professions libérales, qui viennent
ici pour essayer de décrocher des marchés. L'inverse n'est pourtant pas
toujours possible pour les professionnels marocains. Trouvez-vous
normal cette absence de réciprocité ?
Normal, certainement pas. Si on veut fonder les bases d'un
partenariat économique durable, il faut absolument que les accords
soient équilibrés. L'Europe n'a aucun intérêt à imposer des règles
injustes à ses partenaires lorsqu'elle se trouve dans une situation de
force. Et là, justement, toute la négociation que l'on a commencé sur
les services et qui je l'espère va intégrer les négociations sur
l'accord de libre échange complet et approfondi, visera à trouver ces
équilibres. Je dois dire pour respecter la vérité que dans les accords
commerciaux signés jusqu'à ce jour, il s'agissait d'accords
asymétriques, c'est à dire qu'on donnait plus d'avantages au Maroc
qu'aux européens dans la libre circulation des biens. Depuis le premier
jour dans l'accord sur les biens industriels, les produits marocains ont
pu rentrer en Europe sans droits de douanes, alors qu'il a fallu
attendre douze ans pour que les produits européens puissent entrer sur
le marché marocain. Pour l'agriculture, aujourd'hui les marocains
exportent mieux et plus en Europe sans droits de douanes
Sur la question des services que vous avez posée, c'est à voir. Nous
avons des règles. La prestation des services est libre tant qu'elle se
fait par des professions qui sont agréées et qui ont des diplômes dont
on peut mesurer l'équivalence. Mais tout cela est à négocier.
Est-ce que la signature par le Maroc de l'accord de réadmission est toujours un pré-requis souhaité par l'UE ?
C'est un autre chapitre qui est très important et qui concerne la
mobilité des personnes, au-delà des échanges économiques. Là aussi nous
sommes sur le point de signer un accord politique sur la mobilité des
personnes qui englobe les différents aspects de cette mobilité. C'est à
dire le renforcement de la migration légale pour que tous les migrants
qui sont dans une situation régulière puissent avoir les mêmes droits et
devoirs que les citoyens européens.
Deuxièmement, c'est la lutte contre l'immigration illégale. Et là
nous demandons aux marocains d'accepter le principe de réadmission,
qu'ils n'ont pas accepté jusqu'à aujourd'hui. Nous sommes des
partenaires matures et nous avons besoin de la coopération du Maroc et
d'autres pays extérieurs à l'UE pour limiter ce flux de migrants
illégaux que l'on ne peut pas absorber pour des raisons économiques ou
politiques. Malheureusement ces flux migratoires sont exploités en
Europe par des racistes et des xénophobes et conduisent à des situations
concrètes où des gens vont malheureusement donner leur voix à des
solutions politiques extrémistes inadéquates. Il y a 25% de chômeurs en
Espagne. C'est explosif sur le plan politique.
On aimerait bien recevoir "tous les damnés de la Terre" mais on ne
peut pas. On ne peut pas le faire sans remettre en cause nos propres
équilibres socio-économiques et politiques. Donc nous demandons à nos
partenaires, qui reçoivent tant de nous par ailleurs, de nous aider pour
contrer cette immigration irrégulière que l'on ne peut plus accepter.
Mais en contrepartie, on dit aux autorités marocaines (et c'est le
troisième volet de l'accord politique que nous allons signer bientôt)
que l'on facilitera le régime des visas pour les citoyens marocains.
J'ai toujours dit depuis que je suis ici qu'il n'est pas normal que l'UE
ne mette pas en place des systèmes de visas plus faciles. C'est à dire
que l'on ait pour les citoyens marocains des démarches qui évitent
l'humiliation de devoir aller chercher pour chaque voyage un visa dans
un consulat d'un pays membre.
Cette nécessité d'arriver à un accord pour que des catégories de
personnes – journalistes, hommes d'affaires, universitaires – qui vont
en Europe pour leurs activités professionnelles, puissent avoir des
régimes de visas qui soient des régimes de pluri-entrées qui leur
permettent d'aller et venir plus facilement. Tout cela, l'UE a enfin
compris que c'était important et elle va l'insérer dans les négociations
qui vont débuter je l'espère dans les semaines à venir.
L'accord de réadmission est accompagné d'une contrepartie
financière pour surveiller les frontières mais aussi pour gérer
l'accueil des migrants au Maroc ?
Oui, bien sûr. Tout cela est à négocier. Le Maroc, pour accepter
éventuellement la réadmission, demande à juste titre que l'on apporte un
financement à la mise en œuvre de cette politique. Et un des éléments
de coût, c'est évidemment la réception de ces migrants irréguliers qui
seraient arrivés en Europe par le Maroc sans les documents légaux
nécessaires. Pour qu'ils soient traités comme il se doit, dans des
conditions humaines indispensables, et donc des locaux, des formateurs,
et des gens pour le faire. C'est une évidence.
Des voix s'élèvent au Maroc comme en Europe pour dénoncer ce
rôle de « gendarme » que l'UE souhaite sous-traiter à ses voisins du
sud...
Écoutez, on peut tout dire, surtout quand on n'a pas de
responsabilité. Sur le plan humain je peux dire la même chose. Mais
quand on est dans une situation de responsabilité, que l'on doit
résoudre des problèmes, il faut prendre des mesures. Ce n'est pas de
gaieté de cœur que l'UE demande à ses partenaires d'accepter la
réadmission. C'est un des moyens pour régler un problème politique
majeur comme je vous l'ai dit tout à l'heure de très grand chômage, de
xénophobie qu'il faut enfin traiter. On ne peut pas se cacher et dire
simplement qu'on a de bons principes.. Regardez sur le Sahel, on a des
positions très communes avec le Maroc, on se soutient parce qu'on fait
les mêmes analyses. De la même façon sur un thème comme celui là, parce
que le Maroc est un partenaire privilégié, on est en droit de demander à
nos amis qu'ils nous aident pour faire face à ces difficultés. Il ne
s'agit pas d'être gendarmes, nous sommes tous dans le même bateau.
Aujourd'hui le Maroc lui-même est devenu un pays d'immigration. Il
faudra qu'il règle lui aussi ce problème. Et ce problème ne pourra pas
se résoudre uniquement avec des bons sentiments et des grands principes,
sans regarder la réalité. Ce n'est pas facile, c'est sûr, mais si
c'était facile nous aurions résolu le problème depuis longtemps !
Question centrale pour la diplomatie marocaine : le Sahara.
Est-ce que les deux dernières résolutions du Parlement européen (qui
critiquent la situation des droits de l'homme au Sahara et exigent la
libération des détenus politique sahraouis) ont eu un impact sur la
qualité des relations avec Rabat ?
Non, les autorités marocaines sont parfaitement au courant des
positions des uns et des autres sur cette affaire du Sahara occidental
qui, je le comprends, est le thème central et incontournable de la
diplomatie marocaine. Je souhaite pour ma part que l'on trouve une
solution assez rapide à cette question, selon les conditions et termes
agréés par les Nations-Unies. Je souhaite que ça aille vite car cela
libérerait la diplomatie marocaine d'un chapitre qui, à juste titre, la
mobilise beaucoup. Et cela lui permettrait, j'en suis sûr, d'être plus
active sur d'autres fronts où je suis persuadé qu'elle peut jouer un
rôle plus influent.
Il y a des gens en Europe qui ne partagent pas la thèse marocaine,
selon laquelle un statut d'autonomie serait la solution. Il y a des gens
en Europe qui appuient le Maroc et qui considèrent que c'est soit la
solution, soit une des solutions. Nous avons une diversité de points de
vue et il faut faire avec, on est en démocratie, chacun peut s'exprimer.
Après, il y a les positions politiques. Il est clair qu'un certain
nombre d'états membres, dont la France, soutiennent la position
marocaine. D'autres pays sont un peu plus distants. Ils ne la rejettent
pas complètement mais disent qu'il faut laisser le choix. Et puis il y a
la position commune, politique, de l'UE, qui consiste à dire que nous
ne prenons pas position sur le fond. Nous soutenons totalement M. Ban Ki
Moon et les Nations-Unies dans la recherche d'une solution politique,
mutuellement agréée, durable, etc.
Il faut donc s'habituer à des expressions qui ne sont pas forcément
favorables. Elles s'expliquent souvent par l'histoire mais ce qui est le
plus important, c'est la position officielle des autorités et
gouvernements de l'UE. Je veux dire de façon très claire que si jamais
on arrive -bientôt j'espère - à une solution acceptée, alors je pense
que l'UE fera les efforts nécessaires pour accompagner le mieux possible
la mise en œuvre de cette solution politique.
Cette question du Sahara peut-elle encore bloquer la coopération économique Maroc-UE, sur l'accord de pêche par exemple ?
On est en train de négocier un accord de pêche, j'espère que l'on va
bientôt conclure les négociations. Et les résultats de ces négociations
vont être présentés selon les modalités démocratiques, notamment au
Parlement européen. Je suis sûr qu'un certain nombre de représentants du
peuple, qui sont favorables aux thèses du Polisario, vont remettre en
cause la légitimité de cet accord parce qu'il va permettre la pêche de
poissons au large du territoire contesté. Je pense qu'ils ne sont pas
suffisamment nombreux pour l'emporter. Une analyse juridique à laquelle
je souscris dit qu'une autorité qui a la responsabilité de
l'administration d'un territoire peut exploiter un certain nombre de
biens et produits pour autant que cela ait des effets positifs sur la
population. C'est ça qui est essentiel. Certains au Parlement européen
vont le contester, il diront ce qu'ils auront à dire, et ensuite il y
aura le vote.
Vous quittez bientôt la tête de la délégation de l'UE au
Maroc. On aimerait avoir votre point de vue sur les différents scénarios
possibles de l'avenir des relations UE-Maroc...
L'avenir est bien sûr ouvert. Cela va dépendre des évolutions à la fois en Europe, au Maroc et dans le monde arabe.
L'Europe est à la croisée des chemins. Elle peut reculer dans son
processus d'intégration. Elle peut s'affaiblir du fait de la crise. Donc
le scénario selon lequel l'UE avance naturellement vers plus
d'intégration et vers une fédération solide d'Etats-nations, n'est pas
forcement le scénario qui va se dérouler. Si on est dans un scénario
d'affaiblissement relatif de l'UE à l'intérieur et à l'extérieur, il est
clair que cela aura une répercussion sur ses voisins parce que l'UE
aura un partenariat plus faible, moins ambitieux avec ses partenaires
dont le Maroc.
Mais ce n'est pas le scénario auquel je crois. Je pense que l'Europe
telle qu'elle est aujourd'hui va profondément se transformer et avoir un
noyau dur, une avant-garde de pays, sans les britanniques et d'autres
pays qui ne partagent pas l'euro. Ce groupe de pays va s'engager de
façon plus résolue vers une intégration politique qui permettra d'avoir
une cohésion européenne très forte, qui touchera les problèmes de
défense et consolidera fortement un projet stratégique de politique
extérieure, dont la politique de voisinage sera une priorité. C'est le
scénario probable. Je reste donc optimiste sur la consolidation et
l'approfondissement de nos relations avec le Maroc, mais cela va passer
par une réforme très profonde du fonctionnement de l'Union européenne.
Concernant l'évolution au sud, je suis pessimiste sur l'évolution
vers plus de démocratie, plus de libertés et plus de performances
économiques d'un certain nombre de pays au sud de la Méditerranée. Le
printemps arabe nous conduit à des situations où il y a des menaces
notamment de partis islamistes intégristes qui ne vont pas favoriser la
mise en œuvre de nos principes et de nos valeurs de démocratie, droits
de l'homme, société civile, etc.
Donc si nous considérons que la remise en cause et la fin des régimes
autoritaires existants auparavant était une nécessité et a constitué
une très bonne chose, nous nous trouvons maintenant devant une
difficulté et certains dangers sur les libertés fondamentales.
Il est clair que par rapport à cette réalité, les relations avec
l'UE, si ce scénario s'impose, vont se compliquer. Beaucoup de nuages et
de points d'interrogation s'accumulent.
Dans ce contexte, le Maroc : je reste très confiant car malgré ces
perturbations existantes dans le monde arabe, le Maroc va continuer sa
stratégie et garder le cap, qui est d'avancer dans la stabilité
politique vers l'amélioration des conditions de vie des citoyens sur le
plan politique, économique et social. Je pense qu'il n'y a pas
d'alternative. La politique n'est pas l'art du parfait, c'est l'art du
mieux.
Il y a des ingrédients dont dispose la société marocaine qui
faciliteront ce scénario positif. Mentionnons la stabilité politique,
une nouvelle Constitution, qui ouvre des possibilités d'amélioration de
la situation politique et de la défense des droits des individus,
l'existence d'un mouvement islamiste qui accepte les règles du jeu et le
cadre institutionnel, et qui n'a pas remis en cause ses relations
notamment avec l'UE et ses voisins, et il y a aussi une société de
liberté, certes imparfaite, mais qui permet l'expression démocratique à
travers une société civile active. Je crois que tout ce que je viens de
dire, affirme une certaine solidité. Nous savons que dans l'Histoire
rien n'est irréversible. Donc ce n'est pas parce que les choses
apparaissent aujourd'hui solides qu'elles le seront demain. De la même
façon que je disais tout à l'heure que l'Europe n'était pas assurée
totalement de progresser vers le mieux. Mais malgré l'irréversibilité,
mon analyse personnelle est que si le dynamisme de la société marocaine,
à travers sa société civile, ses mouvements associatifs et ses
défenseurs de la liberté, reste mobilisé pour qu'on ne revienne pas en
arrière, je pense qu'un bon avenir se présente. Et à ce moment-là, les
relations Maroc-UE ne peuvent que continuer et se consolider.
Pour ce qui concerne les relations Maroc-UE, je suis optimiste. Le
niveau atteint est celui de l'excellence, il faut le maintenir et
l'approfondir. Je suis toujours un peu sur la réserve quand j'entends
dire qu'il faut un accord nouveau. On a suffisamment à faire, beaucoup
de problèmes à régler. On a un cadre, des modalités suffisamment solides
et ambitieuses pour ne pas faire constamment dans la fuite en avant.
Réalisons nos engagements, ensuite on verra.
Vous quittez bientôt vos fonctions au Maroc. Quel est votre
meilleur souvenir et votre plus grand regret sur le plan professionnel ?
Des regrets, j'en ai deux : de ne pas avoir vu d'avancées plus
significatives et sérieuses dans la réforme de la justice. Pour moi
c'est fondamental. On ne peut pas assurer le sentiment d'égalité de tous
les citoyens face à la société et aux autorités sans indépendance de la
justice. C'est un facteur fondamental de la démocratie et de l'activité
économique parce que sans indépendance de la justice il n'y aura pas
les investissements nécessaires à ce pays. L'autre regret, c'est que
j'aurai souhaité un plan national de convergence pour que les marocains
puissent dire en toute liberté et en toute souveraineté quel est leur
niveau d'ambition pour la convergence réglementaire avec l'UE, traduit
dans les domaines qui doivent faire l'objet de cette convergence et dans
un calendrier.
Meilleur souvenir ?
C'est difficile de choisir quelque chose en particulier. Je dirai
tout de même les négociations et l'accord sur l'égalité hommes-femmes,
signé avec le ministère de la Famille. Un programme difficile à
accoucher. Ce sont 45 millions d'euros débloqués pour favoriser
l'égalité hommes-femmes dans ce pays, avec un volet qui consiste à
examiner dans la législation marocaine ce qui est discriminatoire et
voir ce qu'il est possible de changer, mais aussi des campagnes de
sensibilisation pour expliquer en quoi cette égalité est importante.
Qu'est ce que vous allez faire maintenant ?
D'abord je vais éprouver de la tristesse de laisser le Maroc, ce pays
auquel je me suis beaucoup attaché, surtout à ses habitants. Il y a une
solidarité dans ce pays qui est impressionnante et qui existe moins
dans nos sociétés occidentales modernes, où l'individualisme a pris le
pas sur tout. En Europe, on est beaucoup plus loin qu'une crise. On est
dans une rupture de civilisation. On est arrivé au bout d'un modèle, qui
s'est perverti par un individualisme et un matérialisme forcenés. On
est tout seul et on consomme. Et avec ça on est heureux. Ce n'est pas un
projet de société. D'autant plus qu'on ne peut même plus l'assurer !
Je vais travailler dans des thinks-tanks européens. Notamment avec
l'"Institut Jacques Delors", "Notre Europe", sur les questions du
devenir de l'Union européenne et de sa politique extérieure, en
particulier vis-à-vis du monde arabe.
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