par Mehdi Bennouna*, Yabiladi, 12/11/2014
Le 14 septembre 2006, le journal Libération annonçait en première page : « les tombes de Bennouna et Alaoui localisées »
(1). Le 23 septembre, une exhumation médiatisée des dépouilles est
effectuée pour procéder à un prélèvement afin d’identifier les corps par
comparaison génétique entre l’ADN des dépouilles et celle des membres
de leur famille. Les délais s’allongeront de mois en années, ponctuées
d’explications aussi diverses que variées qui essaiment le temps qui
passe. En janvier 2011, soit plus de 4 ans après l’exhumation et au
terme d’innombrables relances, le Conseil Consultatif des Droits de
l’Homme (CCDH), en charge du dossier, annonce que les résultats
d’analyse sont négatifs. Je demande un rapport d’analyse. Pas de réponse
jusqu’à ce jour, malgré de nombreux rappels.
Sit-in du Forum vérité et justice devant l'ancien centre de détention secret El Korbès, Casablanca, 27 mai 2001 / Ph. Frédéric Vairel |
L’analyse des
échantillons prélevés a-t-elle réellement eu lieu ? Devant l’absence de
rapport d’analyse et au vu des incohérences qui caractérisent les rares
communications du CCDH, rebaptisé entre-temps, le Conseil National des
Droits de l’Homme (CNDH) on est en droit de se poser la question.
Rappelons que les démarches pour retrouver la dépouille de Mehdi Ben
Barka n’ont même pas été entamées sous le prétexte fallacieux que son
enlèvement et son assassinat relèvent d’une affaire franco-française.
L’instance équité et réconciliation (IER) qui a précédé le CCDH,
précurseur du CNDH, avait déjà suscité des espoirs. Mais les acrobaties
procédurières pour dissimuler l’identité des auteurs de violations des
Droits humains ont fini par vider la notion d’ « équité » de toute
substance autre que celle des réparations matérielles censées solder les
abus du passé.
L’évidence s’est imposée avec le temps : le CNDH ne
jouit pas du concours des services de sécurité disposant des
informations ou en mesure de les récolter. Cet état de fait nous oriente
sur le rôle dévolu au CNDH dans l’esprit de ses commanditaires.
Qu’importe puisque les destinataires de son « travail de
réconciliation » ne sont pas les victimes des exactions commises, ni
leurs familles, ni les Marocains. Les destinataires de cet exercice de
marionnettes sont les observateurs étrangers attentifs aux avancées
démocratiques au Maroc qui pourraient avoir la fâcheuse idée de suggérer
à leurs gouvernements de conditionner certains accords de coopération
au respect des droits de l’Homme au Maroc.
Feu la réconciliation
Pour remplir ce rôle de marionnettes efficacement,
il faut un certain nombre de préalables. Tout d’abord, une figure
crédible. Quoi de mieux qu’un militant des droits de l’Homme s’étant
bâti une réputation en fustigeant les atteintes aux droits de l’Homme au
Maroc ? Mieux, un militant, membre de la Fédération Internationale des
Droits l’Homme et de ce fait ayant ses entrées dans le réseau
associatif. Utopique ? Non. Grâce à la servilité d’hommes aux
convictions monnayables, cela fait des années que l’absolutisme dispose
d’un arsenal plus varié que le recours exclusif à la violence pour
assurer sa pérennité.
Ensuite, il faut un vide juridique permettant
certains accommodements avec les obligations de l’Etat envers ses
citoyens. Comme le Maroc n’a jamais ratifié son adhésion à la cour
pénale internationale, l’impunité peut se perpétuer sans aucune voie de
recours pour les Marocains. Ratification que les membres dirigeants du
CNDH avaient exigée. Mais ça c’était dans une vie antérieure, avant que
leur statut de fonctionnaire ne leur indique la voie de la sage
compromission.
Le mensonge comme stratégie
Le troisième et dernier préalable indispensable est
de « maitriser l’information », ou pour parler clairement : mentir. Un
processus démocratique en devenir est un exercice délicat. Songer donc,
pour pratiquer des droits démocratiques, il faut savoir faire preuve de
responsabilité et de modération. Accorder des droits à une meute
accoutumée au régime du bâton, c’est dangereux. La meute pourrait
interpréter ses droits nouvellement acquis comme un signe de faiblesse
du pouvoir et se découvrir des velléités subversives. Il ne saurait en
être question. Seulement voilà, la stabilité politique interne et les
observateurs étrangers demandent des gages en matière « d’avancées
démocratiques ». A défaut de changement, l’illusion du changement fera
l’affaire. Un jeu de marionnettes habilement mis en scène, servira
d’expédient pour donner le change aux démocrates irresponsables et aux
observateurs étrangers.
N’en déplaise à la quiétude de la conscience des
marionnettes (mais les marionnettes ont-elles une conscience à part
Pinocchio ?) force est constater que dans les coulisses de cette habile
mise en scène, on continue de réprimer impunément. Un magistrat
rigoureux dans la qualification des délits et suffisamment indépendant
pour émettre un avis de droit conforme au code pénal, évoquera alors la
complicité de crime.
Oui, mais voilà, un tel magistrat siège à La Haye. Le jeu criminel des marionnettes peut donc se poursuivre impunément.
1- Mohammed Bennouna & Moulay Slimane El Alaoui
Mohammed Bennouna
et Moulay Slimane El Alaoui sont décédés le 5 mars 1973 à Amellago, lors
d’un des accrochages survenus dans l’Atlas, au cours d’une tentative
d’insurrection armée communément appelés « événements du 3 mars » ou
« événements de Moulay Bouazza ». Voir Héros sans gloire, échec d’une révolution. (Tarik Editions)
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