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vendredi 7 décembre 2012

"Les Baumettes ce sont des oubliettes"



"Les Baumettes ce sont des oubliettes"

 
Lui était dans le bâtiment D. Le plus récent – il date de 1989 – et le plus "calme". Pourtant ses neuf mois passés dans l'établissement des Baumettes, le centre pénitentiaire de Marseille, dont il est sorti en 2006, l'ont profondément marqué. "On a essayé de me racketter mes baskets ou pantalon, mais je m'étais fait des potes balèzes. Et puis j'ai fait le guerrier. Quand les mecs savent que s'ils veulent vous agresser, il faudra se taper, ils réfléchissent. Si vous acceptez une fois, c'est terminé." Les escaliers, les douches et les espaces de promenade sont les endroits les plus redoutés. "Il ne faut jamais se déplacer seul, explique-t-il. Il n'y a ni caméras, ni surveillants dans ces endroits-là. Quand j'y étais, un type s'est pris trois coups de couteau dans les escaliers. Etre seul, c'est être une cible."

"Un soir, un arrivant s'est fait violer par son cocellulaire", raconte un autre ex-détenu sorti en février 2012 après six mois d'incarcération dans le bâtiment A, l'un des plus durs et des plus vétustes. "Dans l'aile, tout le monde hurlait, mais les surveillants n'ont pas bougé." Aux Baumettes, la violence entre détenus est quotidienne. "Moi, je me faisais taper des cigarettes. Au bout d'un moment, j'ai décidé d'arrêter de sortir en promenade pour faire mon footing pour ne pas prendre de risque. J'ai arrêté aussi d'aller dans les douches. Je me lavais avec l'eau froide du lavabo de ma cellule. Les douches c'est Apocalypse now, d'abord, c'est dégueu, mais c'est un vrai coupe-gorge où il y a des règlements de comptes", ajoute-t-il.

 Salle de douche de la maison d'arrêt des hommes.
"Cette violence entre détenus, c'est ce qui me dérange le plus", explique un membre du personnel soignant, qui a lui aussi souhaité garder l'anonymat. "Comme dans notre société, la violence en prison a changé de nature. C'est une violence décomplexée. Les auteurs ne voient pas où est le problème. Il y a par exemple beaucoup de violences à dix contre un. Il y a beaucoup d'agressions par arme blanche aussi. Et faute de témoignages, les auteurs ne sont pas toujours poursuivis. Quand on accueille une personne blessée, le plus souvent elle nous explique qu'elle est tombée pendant la promenade, ce qui parfois n'est pas plausible compte tenu des blessures."
 VIOLENCE ET INSÉCURITÉ

Selon lui, les agressions ont des raisons multiples. Du racket pur et simple à la demande menaçante de service. Parfois il s'agit de cacher un téléphone dans sa cellule, d'autre fois c'est pour faire entrer des objets interdits lors d'un parloir. La violence peut aussi tomber sur telle ou telle "balance" présumée ou plus simplement contre quelqu'un qui "n'est pas d'ici". Comprendre, pas de Marseille. "Il arrive que dix personnes fassent la loi dans un bâtiment", explique le soignant.

Celui-ci explique qu'"aux Baumettes, il n'y a pas de politique ultra-sécuritaire, comme dans certaines nouvelles prisons où il faut marcher en ligne, être bien habillé. Il y a beaucoup de connivence entre les surveillants et les détenus. C'est bien. Ça peut permettre d'apaiser certaines situations mais ça peut aussi créer de l'insécurité, notamment via une certaine tolérance à la libre-circulation. Qui plus est, il y a beaucoup de jeunes surveillants. C'est absurde, c'est comme dans le monde enseignant où l'on envoie les plus jeunes dans les banlieues défavorisées alors qu'il faudrait des personnels expérimentés pour gérer des situations complexes."

Se nouent alors parfois des relations compliquées entre des personnels et des détenus. Plusieurs témoignages parlent de trafics entre certains surveillants et des détenus. Certains font état de pressions, voire d'agressions sur des personnels à l'extérieur de la prison. "Il y a le grand banditisme à Marseille, explique le contrôleur général, Jean-Marie Delarue. Certains ont donc les moyens de menacer les familles restées dehors."

 VÉTUSTÉ ET SURPOPULATION
A l'appel de la CGT et de l'UFAP (Union fédérale autonome pénitentiaire), près de trois cents membres du personnel de l'établissement ont fait grève à la mi-novembre pour demander "plus d'effectifs" et dénoncer le "manque de considération" dont ils font l'objet. "Aujourd'hui, les collègues survivent", explique Alaric Gayen, délégué local de la CGT, qui dénonce les faibles salaires, la surcharge de travail et les risques attenants. "On ne peut pas faire notre travail correctement. On ne peut pas passer assez de temps avec chaque détenu. Or, on est là pour faire de la sécurité, bien sûr, mais aussi de la prévention", dit-il. "Certains viennent travailler la boule au ventre", ajoute-t-il, tout en dénonçant la montée de la violence au sein de la prison. "Si ça n'explose pas, c'est grâce au professionnalisme des équipes", dit-il enfin. "Moi je les plains", dit un ancien détenu. Avec mon cocellulaire, on avait calculé combien de temps passera en détention un surveillant qui travaille pendant vingt ans. Ça fait pas loin de dix ans !", rigole-t-il.

Pour Claude Saumier, vice-président de l'Association nationale des visiteurs de prison et délégué interrégional sur la région PACA-Corse, il n'y a rien de neuf dans le constat établi par M. Delarue. "La vétusté et la surpopulation, ça fait de nombreuses années que c'est comme ça. Il y a d'ailleurs un projet de rénovation." Et, souligne-t-il, "l'administration pénitentiaire ne fait qu'appliquer des décisions de justice avec les moyens qu'on lui donne. Thierry Alves, l'actuel directeur des Baumettes, fait preuve d'une approche très humaniste. Mais quand il y a un coup de filet policier et qu'on envoie une dizaine de gars, il n'a pas le choix. Et puis, ajoute-t-il, depuis la fermeture de la prison de Draguignan en 2010, les Baumettes doivent accueillir encore plus de monde."

 Cellule de confinement de la maison d'arrêt des hommes.
S'ajoute à cette violence quotidienne et à la difficulté pour un personnel en manque d'effectifs à la gérer, une vétusté qui n'épargne aucun bâtiment. "C'est le Moyen Age", explique un ancien détenu. "Les rats font la taille d'un gros chat", décrit un autre qui pourtant se trouvait lui dans le bâtiment D. Il précise : "Ma cellule était infecte au niveau hygiène : les WC étaient effroyables, il y avait des poils plein le matelas et la couverture." Quant aux cafards, il en a identifié "trois races différentes".
 DES ACTIVITÉS EN ACCÈS RESTREINT
Eté comme hiver, les variations de températures compliquent la vie des personnes incarcérées et ont parfois des conséquences inattendues. Une ancienne détenue raconte que de petites vipères s'invitent parfois dans l'enceinte de l'établissement pendant la période estivale. En hiver, ce n'est pas mieux. "Le soir, il y a parfois des coupures d'électricité. Il fait un froid de canard dans la cellule. Les fenêtres n'isolent pas bien du tout de l'extérieur. Du coup, on branchait une plaque de cuisson, ce qui est interdit, pour chauffer la pièce", raconte un autre. D'après plusieurs témoignages, la vétusté de certaines cellules est parfois même utilisée comme un moyen de coercition contre les détenus les plus indisciplinés.

Si les personnes incarcérées sont les premières concernées, le personnel n'est pas en reste. Le soignant que nous avons interrogé explique par exemple que certains bureaux sont installés dans d'anciennes cellules réaménagées qui ont conservé les barreaux aux fenêtres. "Les murs, d'où de l'eau s'écoule, sont pourris. C'est un lieu très bruyant, très sale et les conditions de travail y sont très difficiles, explique-t-il.

Humidité dans un entre-deux cellules d'une coursive de la maison d'arrêt des hommes.
S'il y a bien des activités proposées aux personnes détenues, comme un centre de ressources multimédia ou une salle de sport, l'accès y est réservé à un petit nombre. Ainsi, faute de place, une ancienne détenue explique qu'elle n'a pas pu pratiquer le sport pendant un an. Seule occasion de se dégourdir pour elle, "la 'promenade camembert', de treize pas de longueur et dix pas de largeur". Idem pour les autres personnes interrogées qui n'ont pas réussi à exercer la moindre activité, malgré leurs demandes répétées. "Priorité est donnée aux longues peines", explique l'un. "Du coup, on s'occupe comme on peut. Vous savez, les Baumettes, ce sont des oubliettes. Alors on joue aux cartes, on fume des joints, on écrit aux proches et surtout on regarde beaucoup la télé. Nous, on avait une vieille Brandt de 32 cm."Alors que la situation n'a pas évolué depuis une vingtaine d'années, la visite des contrôleurs changera-t-elle quelque chose ? "On le souhaite, dit le soignant. Pour l'instant, des bancs ont été installés à l'entrée de la prison pour les familles qui patientent avant d'accéder aux parloirs."

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