Par Pascale Krémer, LE MONDE, 3/12/2012
Le diagnostic est sévère, il place la ministre de la jeunesse, Valérie Fourneyron, qui voit "tous les indicateurs se dégrader", devant "l'impérieuse nécessité d'agir rapidement". Fragilisation accrue, risques d'exclusion, creusement des inégalités entre jeunes sur fond de crise économique : le premier rapport de l'Observatoire de l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep) sur la situation de la jeunesse en France, qui sera présenté, mardi 4 décembre, lors de rencontres organisées au Conseil économique, social et environnemental, vient rappeler au président de la République le bien-fondé de sa priorité affichée de campagne et l'urgence d'une politique publique à la hauteur des promesses et de l'enjeu. Un conseil interministériel se prépare sur le sujet, dans tous les ministères ; il devrait se tenir en février 2013. Des mesures fortes seront annoncées, promet Mme Fourneyron.
Car les jeunes sont bien les premières victimes de la récession. Tous
ne la subissent pas aussi violemment. Plutôt que le portrait d'une
génération sacrifiée, ce rapport dessine la ligne de fracture entre deux
jeunesses qui s'éloignent l'une de l'autre.
La première est dotée de diplômes, ils continuent bon gré mal gré de
la protéger. La seconde en est dépourvue, elle est guettée par la
pauvreté. Ce sont ces 15 % de jeunes qui ne sont ni en études, ni en
formation, ni en emploi. Nulle part. Et que la puissance publique aide
peu. Le taux de pauvreté des 18-24 ans atteint 22,5 %. Depuis 2004, il a
progressé de 5 points. Au total, plus d'un million de jeunes sont
désormais confrontés à une situation de grande précarité.
Olivier Galland,
sociologue et directeur de recherche au CNRS, préside le conseil
scientifique de l'Injep, établissement public (créé en 1953, repensé en
2010) qui a notamment pour mission de dresser
tous les deux ans un état des lieux de la situation des jeunes en
France. Il évoque les conclusions du rapport auquel il a contribué.
Pourquoi avoir choisi le thème des inégalités au sein de la jeunesse ?
Ces dernières années, l'accent a surtout été mis sur
les inégalités intergénérationnelles. Or je ne crois pas à la théorie
de la "génération sacrifiée". C'est faire l'hypothèse que la génération des jeunes forme
un tout qui s'oppose aux générations aînées. Mais au sein même de la
jeunesse, l'hétérogénéité grandit. Dans les enquêtes et sondages, ni les
adultes ni encore moins les jeunes ne reconnaissent ce clivage
intergénérationnel. Les jeunes ne se sentent pas discriminés en tant que
génération. Sans doute parce qu'existent de très fortes solidarités
intergénérationnelles informelles à l'intérieur des familles - ce qui
renforce les inégalités entre jeunes selon qu'ils peuvent, ou non, être
aidés.
La famille demeure un soutien de poids ?
Les parents font des efforts extraordinaires pour les jeunes adultes,
qui ne sont pas les "Tanguy" que l'on décrit. Depuis quinze ans, l'âge
moyen de décohabitation n'a pas évolué significativement, il demeure aux
alentours de 20 ans. Contrairement au modèle nordique, où l'on part tôt
mais en étant ensuite très soutenu par la puissance publique, et au
modèle méditerranéen où l'on reste jusqu'à 30 ans chez les parents pour accumuler
des ressources, le modèle français est intermédiaire : on part assez
tôt mais en restant à proximité géographique, affective, matérielle de
la famille, dans un apprentissage progressif de l'autonomie.
Le rapport montre de grandes inégalités d'insertion dans l'emploi...
En France, s'exprime une sorte de préférence
collective pour les "insiders" déjà en emploi, très protégés par rapport
à ceux qui sont aux portes et subissent les à-coups de la conjoncture. A
l'instar des jeunes. Dans les pays où l'apprentissage est très
développé, ou le marché du travail est plus flexible, il y a partage de
la flexibilité entre les générations.
En France, la variable d'ajustement de l'économie, ce sont les jeunes : 22 % de la population
active mais 40 % des chômeurs, indiquons-nous dans le rapport. Sur six
millions de jeunes actifs, un million est au chômage au sens du BIT. Et
l'augmentation du chômage de longue durée est particulièrement
préoccupante chez ces jeunes (+ 5,6 % entre 2008 et 2010). Mais toutes
les jeunesses ne souffrent pas de la même façon. Le clivage se creuse,
dans l'accès à l'emploi, entre diplômés et non-diplômés.
Plus que jamais en temps de crise, les diplômes protègent du chômage ?
Selon les chiffres Insee cités dans le rapport, le
taux de chômage (2011) des 15-29 ans est de 9 % pour les diplômés du
supérieur, de 22 % pour les titulaires d'un bac, CAP ou BEP. Mais de 46 %
pour les non-diplômés. Le taux de pauvreté (disposer
de revenus inférieurs à 964 euros mensuels, en 2010) est de 30 % pour
les non-diplômés, contre 10 % pour les diplômés du supérieur. Dans
l'insertion professionnelle, le diplôme est devenu un avantage relatif
plus important qu'il ne l'était il y a vingt ou trente ans. Il reste une
protection extraordinaire contre le chômage. Les diplômés continuent,
même si c'est plus tardivement, de décrocher le Graal, le CDI. 80 %
l'obtiennent entre 25 et 30 ans. Sur dix, vingt ans, le phénomène de
dévaluation des diplômes n'est pas si marqué que cela. Et tous les
diplômes protègent. Certes, davantage à mesure que leur niveau monte.
Mais l'insertion professionnelle d'un titulaire de CAP ou de BEP est
plus proche de celle d'un diplômé du supérieur que de celle d'un
non-diplômé.
Lire l'intégralité de l'interview (zone abonnés) et Les critères d'accès au RSA-jeunes pourraient être assouplis
Pascale Krémer
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