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vendredi 18 décembre 2009

L'islam, c'est aussi la France


De la colonisation à la quête identitaire issue de l’immigration, dans un entretien publié dans Le Nouvel Observateur, l’historien explique la naissance d’une conscience musulmane.
Historien spécialiste de l’Algérie, Benjamin Stora enseigne à l’université Paris-XIII et à l’Inalco. Viennent de paraître : Le Mystère de Gaulle. Son choix pour l’Algérie, aux Editions Robert Laffont et Les Immigrés algériens en France, une histoire politique, en poche, chez Hachette Littératures
« L’islam, c’est aussi la France »
Entretien de Marie Lemonnier avec Benjamin Stora, Le Nouvel Observateur Nº2354, 17 /12/2009
Dans ses discours, le gouvernement tend à parler de l’islam comme d’une religion nouvellement implantée en France. Quelle est la réalité des faits ?

Soyons sérieux, l’islam a été la deuxième religion de France dès que l’Algérie est devenue française en 1830 ! Ensuite, la présence importante des musulmans en France date tout de même de 1920. La Grande Mosquée de Paris est édifiée en 1926, l’hôpital franco-musulman de Bobigny en 1935, le premier carré musulman en 1937. Ils étaient alors 100 000 sur le territoire, principalement des immigrés. Mais on ne les appelait pas des Algériens ni des musulmans, d’ailleurs on ne les appelait pas. Ils n’étaient ni français, ni immigrés, ni étrangers, ni sujets, parce que l’Algérie, c’était la France et que les « indigènes musulmans » n’avaient pas le droit de vote. Le problème de la non-visibilité de l’islam en France, c’est aussi le drame de la non-nomination des personnes. La première fois qu’on a utilisé le mot « algérien » dans l’espace public français date seulement de 1961. Malgré l’ancienneté de son histoire, on a d’abord considéré pendant très longtemps cette présence sous l’angle social. C’est-à-dire qu’on parlait de l’immigration, principalement maghrébine (Algérie et Maroc), comme d’une immigration de travail, qu’on examinait sous l’angle de la main-d’ oeuvre, de la reconstruction de la France et du logement. Cette façon de l’envisager impliquait bien sûr un retour. Le mythe du retour était du reste porté par tous, par la société française, mais aussi par les Algériens eux-mêmes, qui revendiquaient l’indépendance. A l’époque, l’islam n’était donc pas perçu comme une menace puisqu’il était en tendu pour tout le monde que les immigrés ne resteraient pas. Et au fond personne n’y a prêté attention, durant presque soixante ans.
• Comment vivaient-ils leur rapport à la religion ?
Beaucoup de ces Algériens, des années 1920 aux années 1960, étaient des ouvriers affiliés à la CGT ou au PCF, et avaient des pratiques religieuses très détachées de l’orthodoxie traditionnelle. Certains vivaient même en ménage avec des Françaises. Chacun était donc libre de pratiquer la religion comme il l’entendait. Cela se durcira pendant la guerre d’Algérie, où l’islam sera instrumentalisé par les nationalistes. Même si ceux qui militaient en Algérie se méfiaient des nationalistes émigrés, qu’ils suspectaient d’être européanisés et trop laïcisés.
• Quand passe-t-on de la précarité à l’installation définitive ?
Dans les années 1960 et 1970. Le second âge est celui de l’insertion dans la société française par les enfants, qui naissent ici. Le retour n’est désormais plus envisageable. Il s’agit de se faire admettre, de se taire peut- être aussi. C’est l’assimilation, qui signifie alors de se conformer au modèle dominant, de l’accepter tout en essayant de conserver dans la sphère intime ses pratiques religieuses, ses croyances, ses convictions politiques et l’attachement au pays natal. D’une certaine manière, cela représentait déjà une forme de progrès pour les anciens, qui avaient vécu très durement dans une ghettoïsation spatiale et sociale totale. Ce qui interpelle aujourd’hui, c’est l’effet de cette installation définitive, que l’on avait refusé d’imaginer.
• Parce que les revendications portées par les jeunes vont tout à coup les rendre visibles...
Effectivement, à partir de 1980 commence une troisième phase, qui n’est pas encore une phase de reconnaissance religieuse mais de reconnaissance politique. Les enfants de cette immigration et ses petits-enfants disent : c’est fini, nous ne repartirons pas, et nous sommes français. Ils sont devenus militants et mènent un combat citoyen pour l’égalité des droits, à travers la « marche des beurs » de 1983 ou des mouvements antiracistes. Cette bataille-là dure depuis une vingtaine d’années. Et ce n’est seulement que maintenant que la question qui se pose est celle de l’islam en France et de sa visibilité. Parce que les jeunes de cette nouvelle génération se considèrent français de manière évidente, banale, certaine, et qu’à partir de là ils se posent la question de leurs origines. Ils sont en quête de leur histoire, de leur généalogie personnelle familiale et collective. Or cette recherche vient se heurter, et même se fracasser, à la fois sur l’histoire coloniale, et donc sur l’histoire conflictuelle avec la France, la ségrégation et le racisme subis par leurs grands-parents et arrière-grands-parents, et à la fois sur l’islam. Car le rapport à l’origine passe aussi par la connaissance et la reconnaissance de pratiques cultuelles, sans quoi ce seront les courants religieux intégristes qui s’empareront du vide qu’on aura laissé.
• Vous êtes signataire de l’appel du site Mediapart « Nous ne débattrons pas », pourquoi ?
Ce sont les conditions d’organisation de ce débat qui me posent problème. Parce que cette discussion sur l’identité nationale a été décidée par le haut et non par la société, et que, dès que l’Etat veut se mêler d’écrire l’histoire à la place des historiens, il faut se méfier. En revanche, comme Jean Daniel, je suis favorable à l’ouverture d’un débat sur l’histoire de France, sur ses lumières comme sur ses ombres, afin d’intégrer dans un même récit national toutes les mémoires, y compris les mémoires blessées. Aux antipodes de la recherche de boucs émissaires.

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