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mardi 15 décembre 2009

Abdellatif Laâbi : des mots contre les maux

Par Hinde Taarji,14/12/2009
«Le poète a toujours raison»

Au-delà de la puissance de l’œuvre et de la force créative de l’écrivain et du poète, le Goncourt de la poésie à Laâbi, c’est toute cette histoire et tout ce parcours de vie qu’il salue. Emotion donc et chapeau bas à ce poète qui, malgré toutes les épreuves endurées, a toujours conservé sa capacité à aimer et à croire en l’humain.
Des nouvelles qui apportent du plaisir, il n’en tombe pas tous les jours. Il en est une qui, bien que délivrée dans le froid libellé du communiqué de presse, a dû susciter de l’émotion chez bien des personnes. Des hommes et des femmes appartenant à une génération dont la jeunesse, dans les années 70, s’est dopée à l’utopie d’un monde meilleur, plus juste et plus égalitaire. Reprise ensuite par les médias nationaux et internationaux, une dépêche de la MAP nous a ainsi appris que «le Goncourt de la poésie 2009 a été attribué mardi (1er décembre) à Paris à l’écrivain et poète marocain Abdellatif Laâbi pour l’ensemble de son œuvre». Pour la deuxième fois de son histoire, la prestigieuse Académie Goncourt a ainsi consacré un des nôtres, qui plus est un poète dont toute l’œuvre est un hymne à la liberté et à la justice. Laâbi «goncourdisé», quelle formidable revanche sur «la citadelle de l’exil» !
Le premier Goncourt à un Marocain, celui de la littérature, c’était en 1987 et le lauréat en était Tahar Ben Jelloun. Le plus célèbre des prix littéraires à un écrivain marocain d’expression française, un grand moment que ce fut là ! S’approprier la langue de l’Autre, l’ancien colonisateur, la réinventer, y ciseler des mots à soi, forgés à son histoire collective et atteindre l’excellence jusqu’à forcer la porte du temple, l’auteur de La Nuit sacrée fut le premier à réaliser cette prouesse. Forte de cette reconnaissance, la littérature marocaine d’expression française a vu s’élargir son éventail de lecteurs non marocains. Grâce au Goncourt, un livre tel que La plus haute des solitudes a été relu. Car, il est juste de le rappeler, avec cette langue de l’autre qu’il a faite sienne, Tahar Ben Jelloun a participé à tirer de l’ombre des êtres alors plongés dans un noir absolu. Après Driss Chraïbi et ses Boucs, il fut parmi les tout premiers écrivains à écrire sur la condition des émigrés maghrébins en France, contribuant ainsi à casser leur invisibilité.
L’attribution du prix Goncourt de la poésie à Abdellatif Laâbi est chargée d’une autre symbolique, aussi forte mais de nature différente. Au-delà de l’homme d’écriture, le Goncourt à Laâbi honore l’homme d’engagement. Il consacre une plume qui, toute une vie durant, fut au service de la lutte. Non pas la lutte pour les biens matériels ou pour le pouvoir mais la lutte noble, le combat de l’homme pour l’homme. Les mots contre les maux, telle pourrait être la devise de Abdellatif Laâbi, devise qui lui coûta de ne pas voir ses enfants grandir, privé qu’il fut de liberté pendant huit longues années.
Né à Fès en 1942, Abdellatif Laâbi a 14 ans à l’indépendance. Trop jeune pour participer à la lutte de libération mais suffisamment âgé pour avoir connu la condition humiliante du colonisé. Et donc pour s’éprendre à tout jamais du mot liberté.
Abdellatif découvre la lecture et la langue française à l’adolescence. Très tôt, il est atteint du «mal d’écrire». «Mon premier choc, raconte-t-il, fut la découverte de l’œuvre de Dostoïevski. Je découvrais avec lui que la vie est un appel intérieur et un regard de compassion jeté sur le monde des hommes». A vingt ans, Laâbi s’ouvre à la passion, celle des mots, du théâtre et d’une femme, la compagne rêvée d’une vie, Jocelyne, qu’il épouse à 23 ans. Sa sensibilité est à fleur de peau, réceptive et réactive à l’extrême. En 1965, les émeutes de Casablanca au cours desquelles des milliers d’enfants sont fauchés par les balles marquent son engagement en politique. Un an plus tard, avec d’autres poètes, il crée Souffles, une revue qui va cristalliser autour d’elle toutes les énergies créatrices de l’époque. D’abord lancée dans une perspective de renouveau poétique, la revue attire très vite vers elle des peintres, des cinéastes, des hommes de théâtre, des chercheurs.... Au-delà du poétique, c’est le politique dans toutes ses dimensions qui se donne à penser. «Ce minuscule opuscule contient de la dynamite. Les hommes qui nous parlent ont déjà laissé derrière eux le temps des gammes et des vocalises. Ils ont moins de trente ans, mais, à travers une expérience mouvementée, douloureuse du monde, ils témoignent d’une lucidité, d’une présence rare». (Politique-Hebdo, 1966). Souffles, qui sera interdite en 1972, ce sont trente numéros de questionnement sur la culture et de mise en exergue des maux de la société marocaine. Entretemps, Laâbi est devenu l’un des fondateurs du mouvement d’extrême gauche Ilal-Amam. En 1972, en même temps que la revue est interdite, Laâbi est arrêté. Jugé en 1973, le poète est condamné à dix ans de prison. Les «preuves» de son entreprise de «subversion», du complot fomenté contre le régime : les numéros au complet de Souffles.
Au-delà de la puissance de l’œuvre et de la force créative de l’écrivain et du poète, le Goncourt de la poésie à Laâbi, c’est toute cette histoire et tout ce parcours de vie qu’il salue. «Le poète a toujours raison/qui voit plus loin que l’horizon...». Émotion donc et chapeau bas à ce poète qui, malgré toutes les épreuves endurées, a toujours conservé sa capacité à aimer et à croire en l’humain.

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