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Au large du Sahara occidental - territoire occupé par le Maroc depuis près de quarante ans -, Total et d’autres firmes internationales commencent à mener des activités de prospection pétrolière et gazière. Le tout dans des conditions très contestables du point de vue de la consultation des populations locales et du partage équitable des bénéfices éventuels avec celles-ci.
Les militants de la cause sahraouie dénoncent depuis des années le rôle de l’entreprise française dans la remise en cause de la souveraineté du territoire. Total est désormais aussi critiquée par certains investisseurs « éthiques », au premier rang desquels les fonds norvégiens.
Le fonds
souverain norvégien, quatrième actionnaire de Total avec un peu plus de
2% des actions (pour une valeur d’environ 3 milliards d’euros), a annoncé qu’il allait se pencher sur les activités de Total au Sahara occidental afin de vérifier leur conformité avec son code éthique.
Total bénéficie d’une licence couvrant une zone offshore de plus de
100 000 kilomètres carrés (la surface du Portugal) au large du Sahara
occidental, le « bloc Anzarane ». Originellement octroyée en 2002 par le
gouvernement marocain, elle vient d’être renouvelée, pour des
opérations de reconnaissance. L’entreprise française souligne n’avoir
pas encore, à ce jour, déposé de demande de réalisation de forages
exploratoires.
Selon les défenseurs des droits du peuple sahraoui - notamment l’ONG
Western Sahara Resources Watch (WSRW, « Veille sur les ressources
naturelles du Sahara occidental ») -, les licences octroyées à Total et à
d’autres firmes pétrolières et gazières sur le territoire sahraoui par
le gouvernement marocain sont illégales du point de vue du droit
international.
Les affaires sont les affaires
Ils estiment même que Total contribue dans les faits, en collaborant avec un « gouvernement d’occupation », à délégitimer la lutte pour l’autodétermination du peuple sahraoui : « L’industrie
pétrolière devient un obstacle qui empêche de faire pression sur le
Maroc pour qu’il accepte ce droit [à l’autodétermination] », déclare ainsi Erik Hagen, président de WSRW.
L’ONG a publié l’année dernière un rapport très critique sur le rôle de Total au Sahara occidental, intitulé « Injustice totale ». « Total
démontre un mépris complet des principes fondamentaux de la
responsabilité sociale des entreprises. La compagnie refuse d’engager la
moindre discussion sur les droits légitimes du peuple du territoire
occupé », déclarait alors Erik Hagen. Selon WRSW, Total refuse de
clarifier ses projets au Sahara occidental et se défausse de toute
responsabilité dans le conflit en arguant du fait qu’elle ne s’occupe
pas de politique.
En réponse à l’annonce du fonds souverain norvégien, Total a déclaré à Reuters que ses « activités
offshore au Sahara occidental, comme dans d’autres régions où [elle
opère], sont en ligne avec le droit et les standards internationaux
applicables figurant dans [son] Code de conduite, en particulier ceux
liés aux droits humains ».
Comme le soulignait un récent article du Monde (à propos de l’engagement de Total dans le pétrole de schiste russe en pleine crise diplomatique sur l’Ukraine), « la
politique de Total a toujours été de poursuivre ses activités dans des
pays critiqués tant qu’une interdiction émanant du gouvernement français
ou des Nations unies ne les interdisait pas, comme ce fut le cas en
Irak et en Iran ».
Désinvestissement
Le fonds souverain norvégien, qui gère un portefeuille de 600
milliards d’euros, a mis en place un certain nombre de critères
éthiques, qui l’ont conduit dans le passé à se désinvestir de 63
entreprises au total - principalement du fait de leur implication dans
le secteur du tabac, des armes nucléaires et des mines antipersonnel. Le
fonds réfléchirait actuellement à une extension de ses critères
d’exclusion, pour y inclure les compagnies pétrolières et gazières
opérant dans des pays à fort risque de corruption, les firmes impliquées
dans des atteintes aux droits des travailleurs dans le secteur textile,
ou encore celles impliquées dans la surpêche ou la destruction des
forêts. Il pourrait même renoncer à investir dans les énergies fossiles (un paradoxe dans la mesure où le fonds est issu des royalties pétrolières et gazières norvégiennes).
Le fonds norvégien s’était déjà désinvesti en 2005 d’une autre firme
pétrolière alors active au Sahara occidental, Kerr-McGee En juin 2013,
la firme norvégienne d’assurance-vie KLP avait, de son côté, également
annoncé son désinvestissement de Total en raison de ses activités au
Sahara occidental [1].
Une autre multinationale pétrolière bénéficie d’une licence
d’exploration au Sahara occidental octroyée par le gouvernement
marocain : la ’junior’ américaine Kosmos Energy. Celle-ci est
spécialisée dans les opérations de prospection « pionnières », et s’est
illustrée notamment dans la découverte et l’exploitation du champ
Jubilee, au large du Ghana [2].
Kosmo a déjà des activités de prospection avec BP au Maroc au large
d’Agadir et d’Essaouira, et a annoncé son intention d’entamer des
activités similaires en octobre dans la zone dite du Cap Boujdour, au
large du Sahara occidental.
« Intérêts et aspirations du peuple sahraoui »
Colonie espagnole jusqu’en 1976, le Sahara occidental a été ensuite
occupé par le Maroc, qui en revendique la souveraineté. Des années de
conflit s’en étaient suivies entre les forces armées marocaines et le
Front Polisario indépendantiste (soutenu par l’Algérie). Un
cessez-le-feu a été imposé par les Nations Unies en 1991, suite auquel
devait se tenir un référendum d’autodétermination. Lequel n’a jamais eu
lieu, les deux parties étant en désaccord sur le droit des colons
marocains à y participer. Aucun pays ne reconnaît à ce jour la
souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.
Suite à l’octroi par le Maroc en 2002 de licences de prospection
pétrolières au Sahara occidental, les Nations Unies ont publié un avis
ambigu, dit « Opinion Corell », qui reconnaît l’autorité administrative
de fait du Maroc et estime que les activités pétrolières ne seront
légales que si elles ne contreviennent pas « aux intérêts et aux aspirations du peuple du Sahara occidental ».
Le Maroc et les compagnies pétrolières se sont empressés de mettre en
avant les « retombées économiques positives » du pétrole pour légitimer
leurs actes. Les autorités marocaines assurent souhaiter un « partage
équitable des bénéfices » avec les Sahraouis - même si pour l’instant
ils soulignent surtout la création d’emplois, sans qu’il soit question
de retombées financières. En renouvelant, au début de l’année, les
licences de Total et de Kosmos, le gouvernement du Maroc a aussi promis que « les populations locales et leurs représentants seront consultés et associés »,
sans autre précision. Depuis la publication de l’Opinion Corell en
2002, rien n’a jamais été fait en termes de consultation formelle.
Les organisations de soutien aux Sahraouis estiment que la population
locale est opposée à l’arrivée des multinationales pétrolières, et que
les licences sont donc illégales dans les termes mêmes de l’Opinion
Corell.
Le territoire reste occupé par l’armée marocaine. Une grande partie
de la population sahraouie vit en exil et dans des camps de réfugiés. Le
Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture a confirmé, dans un
rapport de 2013,
l’usage généralisé de la torture et de la violence par les Marocains au
Sahara occidental. Dans ses conditions, peut-on considérer que les
Sahraouis sont libres de donner ou non leur consentement aux activités
de Total et autres ?
Photo : Western Sahara Resources Watch
Multinationales concernées
Contre-pouvoirs
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