Par Salah Elayoubi, 19/11/2013
Dans le premier des considérants, qui la fonde, la charte universelle des droits de l’homme stipule que « la
reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille
humaine et de leurs droits égaux et inaliénables, constitue le
fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. »
Dès son préambule donc et en quelque mots, la charte en question, met
en lumière l’un des piliers fondateurs de toute société humaine. C’est
en reconnaissant à son alter ego, la même dignité que l’on revendique
pour soi-même, que l’on bâtit des sociétés justes et démocratiques.
A contrario, c’est en refusant à leurs populations toute dignité, que
l’on ouvre la voie au despotisme et son cortège d’injustices,
légitimant dès lors, comme le souligne le troisième considérant de la
charte précitée que l’homme soit « contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression. »
Le budget de l’indignité
« Dignité pour tous ! », fut la revendication maîtresse du Mouvement
du vingt février. Elle signifiait et signifie encore, égalité de
traitement pour les puissants comme pour les plus faibles. A bientôt
trois ans du fameux soulèvement populaire, je réalise combien nous
sommes encore éloignés de toute dignité et combien l’épure de la
nouvelle constitution est conforme à l’esquisse que nous dénoncions:
scélérate, parce que nourrissant dans chacun de ses articles, le
dessein perfide, de reconduire à l’identique, sinon d’amplifier les
errements et les injustices du passé. Ce qui était supposé rendre le
Maroc meilleur, s’est révélé pure escroquerie. Un énième bonneteau
encore plus indigne que le dernier des tours de passe-passe, entrepris
au détriment du peuple marocain.
Et d’imaginer notre pays siégeant au Conseil des droits de l’homme de
l’ONU, aux côtés de l’Algérie, de l’Arabie saoudite, de la Chine, de
Cuba ou encore de la Russie, ne prêche pas pour l’optimiste, mais fait
plutôt craindre que cette élection ne soit perçue comme un
encouragement malheureux à cette inclination particulière de la
dictature marocaine et ses servants pour la dignité à géométrie
variable.
Pour se convaincre de tout cela, il fallait se trouver à la
commission des finances du parlement marocain de ce matin du 11 novembre
2013, au cours de laquelle il s’agissait d’examiner le projet de budget
du palais royal.
Une séance pour la forme. Clairsemée et expéditive, qui raconte
l’histoire indigne de douze députés qui, en moins de dix minutes et sans
coup férir, ont augmenté le budget d’un seul homme de huit millions six
cent soixante-dix-huit mille (8.678.000) dirhams (774.455 Euros), pour
mettre à sa disposition, deux milliards cinq cent quatre-vingt-cinq
millions quatre cent quarante-sept mille (2.585.447.000) dirhams
(230.734.295 Euros), quand des départements ministériels aussi sensibles
que la santé publique, l’éducation nationale, la jeunesse et les sports
ou encore la culture doivent passer par le chat de l’aiguille, pour
faire passer des budgets au demeurant dérisoires, au vu l’ampleur de la
tâche qui leur incombe.
Une boulimie soudaine et pantagruélique
Si l’énormité du budget ou plutôt du butin en question, met à rude
épreuve le mythe du « Roi des pauvres », soigneusement entretenu par un
entourage royal véreux, la disproportion de traitement entre le palais
et les autres départements, expliquent, en grande partie, le train de
vie surréaliste de la monarchie marocaine, l’enrichissement exponentiel
du roi et de sa famille, et la place qui est celle de notre pays, à la
traîne de tous les indices mondiaux du développement.
Et c’est précisément parce que le diable se cache dans les détails
que l’opacité, l’omerta et un halo de mystère enveloppent un peu plus,
d’une loi de finance à l’autre, les dépenses du palais, comme son budget
de fonctionnement qui équivaut à celui de quatre ministères réunis :
les transports et l’équipement, la jeunesse et les sports, la culture et
enfin l’habitat et l’urbanisme. Une ligne de crédit pharaonique, aux
desseins machiavéliques parce qu’elle finance la transhumance royale,
incessante, coûteuse et inutile et dont le seul but est d’entretenir un
mythe éhonté, celui du roi qui travaille. Un marketing indigne, financé
par les deniers du peuple.
D’autres détails trahissent encore le peu de scrupules que manifeste
Mohammed VI à puiser sans compter dans les deniers publics, comme cette
ligne pompeusement surnommée « Dotations de souveraineté ». Rien moins
qu’une caisse noire, mise à disposition du roi qui représentera cette
année cinq cent dix-sept millions cent soixante-quatre mille
(517.164.000) dirhams (46.153.517 Euros) que l’intéressé s’acharnera
sans aucun doute à consommer, comme de coutume, en totalité, sans que
personne ne vienne jamais s’enquérir de la façon dont les fonds ont été
épuisés. Une rubrique à la source des moyens dont se sert la monarchie
pour s’acheter les consciences Urbi et Orbi.
Et que dire de ces frais de bouche qui engloutissent deux pour cent
(2%) du budget de l’Etat après avoir fait l’objet d’une brutale
augmentation de plus de cinquante-cinq pour cent (55%), en 2001. A
croire que la disparition de Hassan II et l’accession au trône de
Mohammed VI, aurait déclenché chez ce dernier, une fringale soudaine,
confinant à une boulimie pantagruélique.
L’arène de la lâcheté
Une fois n’est pas coutume, une voix bien timide, celle du député du PJD, Abdelaziz Aftati,
du PJD s’est élevée pour réclamer que des administrateurs viennent
s’expliquer sur le montant de l’enveloppe pharaonique que le palais
projetait de s’adjuger. Peine perdue, car comme ces vieux singes à qui
l’on n’apprend plus à grimacer, nos parlementaires ont passé outre,
ayant appris à discerner chez leurs pairs, leurs gesticulations pour la
galerie. De simples faire-valoir qui font la façade démocratique du
régime marocain.
Abdelaziz Aftati ne démissionnera donc pas de sa députation. Le terme
démission ayant été banni du vocabulaire de nos hommes politiques. Le
terme courage aussi, la scène politique marocaine ressemblant de plus
en plus à une arène de la lâcheté.
Alors de tous ces chiffres astronomiques, je préfère n’en retenir
qu’un seul : deux cents. C’est le nombre de postes budgétaires que nos
parlementaires d’un autre âge ont octroyé au Palais royal pour l’année
2014, alors que la crise bat son plein et que tous les ministères en
sont à contracter leurs effectifs et manquent cruellement de moyens.
Deux cents postes,
Pour quatre cent dix millions deux cent mille (410.200.000) dirhams
(36.628.270 Euros), qu’on refuse cruellement à ces centaines de
diplômés chômeurs qu’on bat comme plâtre, parce qu’ils manifestent pour
leur droit à la dignité, dans le travail.
Deux cent postes et des millions de dirhams qui manqueront
cruellement dans l’Atlas, où l’on continuera, sans doute de mourir de
froid, d’inanition, d’enclavement et de misère, lorsque l’hiver sera
venu.
Deux cents raisons de conclure enfin, que le régime politique
marocain s’est structuré, pour se mettre au service d’un seul homme,
empruntant aux plus sinistres mafias, leurs coups de mains, leurs
brutalités, leur collecte de fonds, leur loi du silence, au point qu’il
n’a désormais plus rien à leur envier.
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Merci pour ce très bel article et d’avoir donné la parole aux chiffres.