Par Nadjia Bouaricha, El Watan, 13/10/13
L’autel des sacrifices qu’est devenue la Méditerranée, met à nu la
politique de l’Europe, forteresse qui de l’Afrique ne tolère que les
richesses et obstrue le passage aux personnes en détresse.
Des personnes, fuyant les dictatures et les conflits, partent chercher
la liberté et c’est un accès au «donjon», pour les plus chanceux, auquel
ils ont droit. Embarqués dans des felouques meurtrières, ces hommes,
ces femmes et ces enfants n’ont pas le même accès que ce gaz transporté
dans des pipelines traversant la même mer. Si les régimes abjects et
autoritaires poussent des milliers de personnes à fuir en tentant le
pire, la fermeture des frontières de l’Europe incite aussi au recours à
ces moyens extrêmes d’évasion. Le drame de Lampedusa a provoqué émoi et
consternation, mais peu d’actes ont suivi pour mettre un terme à ces
convois de mort horrible en Méditerranée.
Une réunion des ministres de l’Intérieur européens s’était tenue la
semaine dernière en réaction à cette tragédie humaine pour ne sortir
qu’avec la décision de renforcer le dispositif de sécurisation des
frontières de l’Europe appelé Frontex. L’approche prohibitionniste
l’emporte encore une fois sur celle de la solidarité. La politique
européenne de voisinage ne peut continuer à occulter l’échec du volet de
la politique d’immigration perçue comme un frein voire une négation de
la notion de bon voisinage. «Les politiques de fermeture des frontières
et le désengagement vis-à-vis des conventions internationales signées
par l’Europe, notamment la Convention de Genève de 1951 sur les
réfugiés, expliquent le fait que les migrants sont amenés à prendre de
plus en plus de risques pour rejoindre l’Europe, à mesure que les
contrôles s’intensifient», déclare à BFMTV, Alain Morice, chercheur au
CNRS et membre du réseau Migreurop.
Le Parlement européen s’attelle à mettre en place un nouveau système de
surveillance des frontières de l’UE, Eurosur, en renforcement du
dispositif Frontex qui a montré ses limites. Ce nouveau dispositif, qui
sera effectif en décembre prochain, est, selon ses concepteurs, «un
système paneuropéen de surveillance des frontières avec trois objectifs
principaux : réduire le nombre de migrants irréguliers qui entrent dans
l’ UE sans être découverts, réduire le nombre de décès d’immigrés
clandestins en sauvant davantage de vies en mer, et augmenter la
sécurité intérieure de l’ UE dans son ensemble en contribuant à la
prévention de la criminalité transfrontalière».
Le Conseil de l’Europe devrait se pencher, le 24 octobre, sur la mise
en application de ce système. «Je suis extrêmement sceptique. Plusieurs
dispositifs ont été mis en place en vue de protéger, sécuriser les
frontières de l’UE afin d’empêcher les vagues migratoires. Frontex en
est un. Et puis il y a eu Eurosur, créé en 2011, encore en discussion en
ce moment. Plusieurs personnalités, au niveau européen, estiment que ce
nouveau programme va permettre d’organiser des opérations de
surveillance. Mais le dispositif peut laisser craindre le pire, car il
entend protéger les frontières et non pas les personnes, qui seront
amenées à prendre de plus en plus de risques, comme c’est déjà le cas
aujourd’hui», note encore Alain Morice sur BFMTV, en soulignant les
pratiques purement sécuritaires et non pas de sauvetage des personnes
utilisées par les agents de Frontex. Migreurop a dénoncé la logique
sécuritaire de l’Europe. «Faut-il rappeler que si des Syriens en fuite
tentent, au risque de leur vie, la traversée de la Méditerranée, c’est
parce que les pays membres de l’UE refusent de leur délivrer les visas
qui leur permettraient de venir légalement demander asile en Europe»,
note le réseau d’ONG.
Le président du Conseil italien avait lui-même appelé à reconsidérer
l’immigration. «Ce n’est plus l’immigration économique des années 1990,
mais là, en l’occurrence, il s’agit d’une immigration politique», a-t-il
déclaré lors de sa visite à Lampedusa. L’Italie, qui compte revoir sa
législation sur le droit d’asile, propose la dépénalisation pure et
simple du délit de l’immigration clandestine. L’UE avalisera-t-elle une
telle proposition ? Pas si sûr, disent les ONG.
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