- Écrit par Lakome15/10/2013
La vision d'un kiosque à journaux marocains est trompeuse. À
contempler cette variété de journaux et de magazines, on serait excusé
de penser que les médias marocains sont libres. Mais ce pluralisme
formel cache un unanimisme éditorial sur les questions politiques les
plus importantes digne d'un régime autoritaire.
On appelle cela les lignes rouges. Selon la Doxa du régime marocain
et des élites qui le soutiennent, ces lignes rouges sont l'Islam,
l'intégrité territoriale et la monarchie. En réalité, l'une de ses
lignes est plus rouge que les autres: La monarchie.
Lorsqu'on affirme que l'Islam est une ligne rouge, ce qui est
vraiment dit est que la version de l'Islam voulue par la monarchie ne
doit pas être critiquée. Lorsqu'on dit que l'intégrité territoriale du
pays est sacrée, on veut dire que la gestion de la question du Sahara
par la monarchie ne doit être remise en question.
En fait, il n'est pas permis de remettre en cause les prérogatives de
la monarchie ou de critiquer sa façon de gouverner le pays. Cette
limite rend l'exercice d'un journalisme de service public impossible
puisque sa fonction première et la plus noble est d'informer les
citoyens sur la gestion des affaires publiques, donc de porter un regard
critique sur les détenteurs du pouvoir et leur façon d'exercer ce
pouvoir.
Pour retrouver une certaine liberté de ton sur ces sujets sensibles,
c'est sur Internet et les nouveaux médias online qu'il faut chercher. Il
n'en a pas toujours été ainsi. Les réseaux sociaux et la presse
numérique sont des phénomènes nouveaux. Et surtout la presse dite
traditionnelle a connu vers la fin des années 90 et le début des années
2000 une période faste qui a permis l'éclosion de nouvelles publications
indépendantes.
L'évolution de l'indice de liberté de la presse publiée par
l'organisation américaine Freedom House est à cet égard édifiante. De
1994 à l'année 2000, l'indice évolue positivement indiquant une
libéralisation croissante des médias. Après une petite stagnation,
l'indice se dégrade au point de passer en deçà de son niveau de 1994. En
d'autres termes, sous Mohammed VI les gains enregistrées dans le
domaine de la liberté de la presse lors des dernières années de règne de
son père ont été, au mieux, effacés.
Muselage de la presse
Comment le régime de Mohammed VI s'y est il pris pour museler une
nouvelle vague de médias indépendants? En commençant par utiliser les
bonnes vieilles méthodes. L'article 77 du code de la presse en vigueur
jusqu'en 2003 permettait l'interdiction de journaux sur simple décision
administrative du premier ministre. C'est l'application de cet article
77 qui permettra les premières interdictions survenues dès l'année 2000.
Sauf que cette méthode trop manifestement répressive gênerait une
mauvaise publicité pour un régime soucieux de préserver une façade de
libéralisme et de modernité. Viendront alors les procès en diffamation
en cascade à l'issue desquelles les journalistes poursuivis n'avaient
aucune chance d'être innocentés à cause d'une justice notoirement
contrôlée par le régime. Les condamnations à payer des dommages et
intérêts astronomiques vont se multiplier, mettant en faillite les
journaux visés et renforceront la tendance à l'auto-censure chez les
autres. Mais l'arme létale utilisée pour faire les voix dissonantes aura
été le boycott publicitaire massif dont seront victime les journaux
indépendants.
L'éclosion d'une nouvelle presse indépendante vers la fin des années
90 était directement liée à la naissance d'un modèle économique qui en
permettait la survie économique. La diversité croissante du capitalisme
marocain se traduisait par un marché publicitaire assez large et
diversifié pour fournir les revenus nécessaire à des entreprises de
presse éditorialement et économiquement indépendantes. Des entreprises
de presse qui cherchaient à enclencher ce cercle vertueux qui fait que
le bon journalisme attire les lecteurs, lesquels lecteurs attirent
l'argent des annonceurs, lequel argent permet de financer le bon
journalisme.
Cette dynamique a duré tant que le pouvoir politique, et donc, la
monarchie laissait faire. Mais dès que celle ci a décidé que cette
nouvelle presse était décidément trop irrévérencieuse et même subversive
dans le sens ou elle remettait en cause la nature autoritaire du
régime, instructions furent données aux grands groupes économiques, et
annonceurs principaux de la presse écrite, de cesser de travailler avec
ces nouveaux médias. Le roi étant lui même a titre privé l'homme
d'affaires le plus important du pays, le boycott des ses seules
entreprises constituaient un manque à gagner substantiel pour cette
nouvelle presse.
Les journaux revêches seront asphyxiés financièrement et là aussi
serviront d'exemple à ne pas suivre pour les autres médias qui se
garderont de mécontenter le régime. D'autant plus que si le régime sait
manier le bâton, il manie encore mieux la carotte. Les entreprises de
presse qui jouent le jeu sont grassement payées en retour, d'une manne
publicitaire qui n'obéit plus aux règles de marchés. On passe la pub
chez les médias favoris du régime même si leur lectorat est inexistant.
Les grandes entreprises du pays passent leurs annonces publicitaires
moins pour attirer des clients que pour s'assurer les faveurs du régime.
L'avènement de la presse numérique indépendante est une réponse a ces
contraintes économiques. Grâce a ses coûts de fonctionnement
relativement modiques, elle peut survivre avec un minimum de revenus.
Les poursuites entamées contre Ali Anouzla co-fondateur du site
d'information Lakome sont d'ailleurs une tentative du régime de mettre
sous le boisseau ce journalisme naissant qu'il a viré par la porte de la
presse traditionnelle et qui lui revient par la fenêtre de la presse
numérique.
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