« Le cas d’Ali Aarrass est particulièrement éloquent.. »
Jours de détention : 1852
Voici de larges extraits de ce rapport qui porte le titre : « Des
avancées encourageantes et des défis importants . Soumission de la
liste des questions dans le cadre de l’examen du 5ème rapport périodique
du Maroc par le Comité contre la torture. »
« ..Malgré les
nombreuses recommandations des organisations de droits de l’homme comme
des divers organes des Nations Unies, la loi anti-terroriste 03-03 reste
toujours en vigueur dans sa forme initiale… De nombreuses personnes
(entre 500 et 850 selon diverses sources) restent à ce jour détenues
après avoir été condamnées en vertu de cette loi. » (pg 3)
Les suspects étaient
le plus souvent enlevés et maintenus au secret dans les locaux de la
DGST et en particulier au centre de Temara pour être interrogés pendant
plusieurs semaines, voire plusieurs mois avant d’être remis aux services
de la police judiciaire.
Les familles
n’étaient pas été informées du lieu où se trouvaient les personnes
arrêtées et les autorités niaient le plus souvent leurs détentions. Afin
de masquer ces détentions abusives, les dates d’arrestation étaient
modifiées dans les procès verbaux établis par la police judiciaire.
Ce modus operandi
avait pour objectif d’extorquer des déclarations des suspects sous la
torture ou diverses autres formes de contraintes. Les « aveux » étaient
consignés dans des procès verbaux de la police judiciaire qui serviront
de base aux poursuites pénales.
Si cette pratique
semble avoir régressé d’une manière notable depuis 2012, Alkarama
n’ayant pas depuis relevé de situations de ce type, les personnes
condamnées sur la base des aveux extorqués dans les conditions décrites
restent en détention à ce jour. » (pg 5)
«.. L’article
74, alinéa 8, du Code de procédure pénale fait obligation au Procureur
du Roi d’ordonner une expertise médicale dès lors qu’un acte de violence
ou des tortures sont portés à sa connaissance. L’article 134 alinéa 5,
oblige par ailleurs, le juge d’instruction à ordonner l’examen médical
immédiat de toute personne sur laquelle des signes de torture sont
relevés. Or il est aisé de constater que l’application de ces
dispositions légales relatives à l’ouverture d’une enquête judiciaire
sur des allégations de tortures et à l’instauration d’examens médicaux
ne sont pas garantis dans la pratique et que les poursuites contre les
responsables restent dans ces conditions illusoires.. » (pg 8)
« Dans les rares cas
où des enquêtes sont diligentées sur les allégations de torture, les
médecins chargés de l’expertise médicale rendent le plus souvent des
rapports non conformes aux standards internationaux et notamment du
Protocole d’Istanbul. Les médecins désignés pour mener l’expertise sont
des fonctionnaires relevant de la Délégation Générale de
l’Administration Pénitentiaire et de la Réinsertion et non du ministère
de la santé. Leur indépendance ne semble pas, dans ces conditions,être
totalement assurée.
Le cas de M. Ali
Aarrass, citoyen Belge d’origine marocaine, bien que déjà cité dans le
rapport alternatif soumis au Comité, nous semble particulièrement
éloquent sur l’absence de sérieux dans les enquêtes relatives aux
allégations de tortures à la lumière des derniers éléments relatifs à
l’expertise médicale qu’il a subi.
Rappelons qu’il avait
été arrêté à Algésiras, en Espagne le 1er avril 2008 et placé en
détention, avant d’être extradé vers le Maroc 14 décembre 2010, malgré
la demande expresse du Comité des droits de l’homme de ne pas
l’extrader, en raison des risques de torture qu’il encourrait au Maroc.
Dès son arrivé au Maroc, il a été détenu au secret pendant plus de dix
jours, gravement torturé et contraint de signer des aveux, en arabe,
langue qu’il ne lit pas. C’est sur la base de ces aveux obtenus sous la
torture qu’il a été condamné le 24 novembre 2011 à 15 années
d’emprisonnement ferme. Ce n’est qu’à la suite de la saisine du Comité
contre la Torture que M. Aarrass a fait l’objet d’une expertise médicale
pour vérifier ses allégations.
Le rapport
d’expertise médicale établi par trois médecins désignés par le Procureur
général près la Cour de Rabat concluant à l’absence « de traces pouvant être en rapport avec des actes de torture allégués »,
a été analysé par un expert indépendant de l’association IRCT
(International Rehabilitation Council for Torture Victims) qui en a
relevé les nombreuses failles et insuffisances.
Il souligne que ce rapport médico-légal est « bien
en deçà des normes internationalement admises pour l’examen médical des
victimes de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou
dégradants, tels qu’il sont définis par le Protocole d’Istanbul ».
« Conclusion. Les
changements législatifs introduits depuis 2011 et le processus de
ratification en cours, et en particulier du protocole facultatif à la
Convention contre la torture, prévoyant la création d’un mécanisme
national de visite des lieux de détention, constituent des signes
encourageants dans le renforcement de l’Etat de droit au Maroc. Par
ailleurs, le processus de réforme du système judiciaire constituera une
avancée particulièrement attendue qui doit aboutir à une indépendance
réelle du pouvoir judicaire. Cependant, le passif de la période ayant
suivi les attentats de Casablanca de 2003 marqué par le recours massif à
la détention au secret, à la torture et aux procès inéquitables,
dénoncés par toutes les organisations locales et internationales des
droits de l’homme, constitue encore un problème réel de société et doit
être reconnu. Ce problème ne pourra être dépassé qu’avec une prise de
décision courageuse de libérer les centaines de détenus condamnés à la
suite de procès inéquitables fondés le plus souvent sur des aveux
arrachés sous la torture et de garantir la non répétition de telles
pratiques. Nous espérons qu’un dialogue constructif entre le Comité et
les autorités marocaines permettra d’approfondir ces sujets de
préoccupation dans le but de combattre efficacement la torture et les
autres violations des droits fondamentaux qui la favorisent. » (pg 9-10)
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