« Le cas d’Ali Aarrass est particulièrement éloquent.. »
Jours de détention : 1852
Voici de larges extraits de ce rapport qui porte le titre : « Des
avancées encourageantes et des défis importants . Soumission de la
liste des questions dans le cadre de l’examen du 5ème rapport périodique
du Maroc par le Comité contre la torture. »
« ..Malgré les
nombreuses recommandations des organisations de droits de l’homme comme
des divers organes des Nations Unies, la loi anti-terroriste 03-03 reste
toujours en vigueur dans sa forme initiale… De nombreuses personnes
(entre 500 et 850 selon diverses sources) restent à ce jour détenues
après avoir été condamnées en vertu de cette loi. » (pg 3)
« ..A la suite des
attentats du 16 mai 2003, des milliers de suspects ont été arrêtés,
inculpés pour appartenance à un groupe terroriste, préparation d’actes
terroristes et/ou atteinte à la sûreté de l’Etat. Ils ont souvent été
arrêtés par des agents de la DGST, alors même que ces derniers n’étaient
pas habilités légalement à procéder à ces arrestations. Ils se
déplaçaient souvent en tenue civile dans des voitures banalisées. Les
personnes interpellées n’étaient pas informées des raisons de ces
arrestations sans mandats de justice.
Les suspects étaient
le plus souvent enlevés et maintenus au secret dans les locaux de la
DGST et en particulier au centre de Temara pour être interrogés pendant
plusieurs semaines, voire plusieurs mois avant d’être remis aux services
de la police judiciaire.
Les familles
n’étaient pas été informées du lieu où se trouvaient les personnes
arrêtées et les autorités niaient le plus souvent leurs détentions. Afin
de masquer ces détentions abusives, les dates d’arrestation étaient
modifiées dans les procès verbaux établis par la police judiciaire.
Ce modus operandi
avait pour objectif d’extorquer des déclarations des suspects sous la
torture ou diverses autres formes de contraintes. Les « aveux » étaient
consignés dans des procès verbaux de la police judiciaire qui serviront
de base aux poursuites pénales.
Si cette pratique
semble avoir régressé d’une manière notable depuis 2012, Alkarama
n’ayant pas depuis relevé de situations de ce type, les personnes
condamnées sur la base des aveux extorqués dans les conditions décrites
restent en détention à ce jour. » (pg 5)
« Les procès verbaux
d’enquête préliminaire établis par la police judiciaire qui se basent
sur des « aveux » faits sous contrainte ne sont très rarement rejetés
par le juge. Les condamnations pénales sont dans la grande majorité des
cas fondées sur ces seuls éléments de procédure. Le juge pénal
privilégie une interprétation de l’article 291 du Code de procédure
pénale considérant que les procès verbaux établis par la police
judiciaire « font foi jusqu’à preuve contraire ». La prise en compte de
ces aveux par les juges constitue cependant une violation manifeste de
l’article 293 du même Code qui prévoit expressément que toute
déclaration obtenue par la torture est frappée de nullité. » (pg 5-6)
«.. L’article
74, alinéa 8, du Code de procédure pénale fait obligation au Procureur
du Roi d’ordonner une expertise médicale dès lors qu’un acte de violence
ou des tortures sont portés à sa connaissance. L’article 134 alinéa 5,
oblige par ailleurs, le juge d’instruction à ordonner l’examen médical
immédiat de toute personne sur laquelle des signes de torture sont
relevés. Or il est aisé de constater que l’application de ces
dispositions légales relatives à l’ouverture d’une enquête judiciaire
sur des allégations de tortures et à l’instauration d’examens médicaux
ne sont pas garantis dans la pratique et que les poursuites contre les
responsables restent dans ces conditions illusoires.. » (pg 8)
« Dans les rares cas
où des enquêtes sont diligentées sur les allégations de torture, les
médecins chargés de l’expertise médicale rendent le plus souvent des
rapports non conformes aux standards internationaux et notamment du
Protocole d’Istanbul. Les médecins désignés pour mener l’expertise sont
des fonctionnaires relevant de la Délégation Générale de
l’Administration Pénitentiaire et de la Réinsertion et non du ministère
de la santé. Leur indépendance ne semble pas, dans ces conditions,être
totalement assurée.
Le cas de M. Ali
Aarrass, citoyen Belge d’origine marocaine, bien que déjà cité dans le
rapport alternatif soumis au Comité, nous semble particulièrement
éloquent sur l’absence de sérieux dans les enquêtes relatives aux
allégations de tortures à la lumière des derniers éléments relatifs à
l’expertise médicale qu’il a subi.
Rappelons qu’il avait
été arrêté à Algésiras, en Espagne le 1er avril 2008 et placé en
détention, avant d’être extradé vers le Maroc 14 décembre 2010, malgré
la demande expresse du Comité des droits de l’homme de ne pas
l’extrader, en raison des risques de torture qu’il encourrait au Maroc.
Dès son arrivé au Maroc, il a été détenu au secret pendant plus de dix
jours, gravement torturé et contraint de signer des aveux, en arabe,
langue qu’il ne lit pas. C’est sur la base de ces aveux obtenus sous la
torture qu’il a été condamné le 24 novembre 2011 à 15 années
d’emprisonnement ferme. Ce n’est qu’à la suite de la saisine du Comité
contre la Torture que M. Aarrass a fait l’objet d’une expertise médicale
pour vérifier ses allégations.
Le rapport
d’expertise médicale établi par trois médecins désignés par le Procureur
général près la Cour de Rabat concluant à l’absence « de traces pouvant être en rapport avec des actes de torture allégués »,
a été analysé par un expert indépendant de l’association IRCT
(International Rehabilitation Council for Torture Victims) qui en a
relevé les nombreuses failles et insuffisances.
Il souligne que ce rapport médico-légal est « bien
en deçà des normes internationalement admises pour l’examen médical des
victimes de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou
dégradants, tels qu’il sont définis par le Protocole d’Istanbul ».
Il précise notamment que le rapport médico-légal, très bref, « ne
fournit presque aucun détail sur les examens effectués, et une
description très partielle des résultats de ces examens.[...] Aucune
tentative n’est faite dans le rapport pour corréler, ou non, les
résultats de l’examen physique avec les allégations de torture, ni
d’ailleurs avec des antécédents de traumatisme. [...] Il n’apparaît
nulle part que M. Aarrass ait consenti à cet examen, ni dans quelles
conditions ce dernier s’est déroulé (durée de l’examen, autres personnes
présentes, détenu menotté ou non etc). [...] Il relève l’absence de
diagrammes du corps d’appui et de photographies annexées au rapport qui
indiqueraient plus précisément la position anatomique et la nature des
marques indiquées[...]. Le rapport médical ne fait aucune mention d’une
évaluation psychologique ou psychiatrique, en dépit des problèmes de
concentration, la peur et le stress excessif décrits par la victime. Il
s’agit d’une omission importante de l’évaluation et du rapport, qui
démontre que l’examen n’est pas conforme aux normes internationales pour
l’évaluation des allégations de torture».
Ces
insuffisances ont également été soulignées par le Rapporteur spécial
sur la torture, M. Juan Méndez, à la suite de sa visite dans le pays en
septembre 2012. En effet, ce dernier relève après examen d’un
échantillon de certificats médicaux, « que la plupart des examens
médicaux sont effectués non pas par des experts médico-légaux mais par
de simples cliniciens figurant dans les listes d’«experts» des
tribunaux. Ces personnes n’ont aucune formation ou compétence spécifique
en matière de médecine légale. Les rapports médicaux produits à la
suite d’allégations de torture et de mauvais traitements sont de très
mauvaise qualité; ils ne sont pas conformes aux normes minimales
internationales régissant les examens médico-légaux auxquels ont droit
les victimes et ne sont pas acceptables en tant que preuves
médico-légales. Ni le personnel de santé des prisons ni les cliniciens
qui remplissent la fonction d’expert auprès des tribunaux n’ont la
formation requise pour évaluer, interpréter et documenter les actes de
torture et les mauvais traitements.» (pg 8-9)
« Conclusion. Les
changements législatifs introduits depuis 2011 et le processus de
ratification en cours, et en particulier du protocole facultatif à la
Convention contre la torture, prévoyant la création d’un mécanisme
national de visite des lieux de détention, constituent des signes
encourageants dans le renforcement de l’Etat de droit au Maroc. Par
ailleurs, le processus de réforme du système judiciaire constituera une
avancée particulièrement attendue qui doit aboutir à une indépendance
réelle du pouvoir judicaire. Cependant, le passif de la période ayant
suivi les attentats de Casablanca de 2003 marqué par le recours massif à
la détention au secret, à la torture et aux procès inéquitables,
dénoncés par toutes les organisations locales et internationales des
droits de l’homme, constitue encore un problème réel de société et doit
être reconnu. Ce problème ne pourra être dépassé qu’avec une prise de
décision courageuse de libérer les centaines de détenus condamnés à la
suite de procès inéquitables fondés le plus souvent sur des aveux
arrachés sous la torture et de garantir la non répétition de telles
pratiques. Nous espérons qu’un dialogue constructif entre le Comité et
les autorités marocaines permettra d’approfondir ces sujets de
préoccupation dans le but de combattre efficacement la torture et les
autres violations des droits fondamentaux qui la favorisent. » (pg 9-10)
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